Citations sur L'Eau rouge (53)
Ils sont douze. Principalement des Splitois, certains originaires d'Omis, de Brac, des jeunes mais aussi quelques hommes plus âgés. Avant la guerre ils avaient chacun leur vie, ils étaient tourneurs outilleurs, commerçants, ouvriers d'une cimenterie ou d'une laiterie. Certains étaient mariés, avec des grands enfants, d'autres sortaient directement du lycée, encore innocents et benêts. Qu'importe ce qu'ils ont été, ce qu'ils ont fait, ils attendent maintenant que la guerre se termine pour pouvoir rentrer chez eux et retrouver le cours de leur existence. Car tous ont mis leur vie en suspens, comme une parenthèse au milieu d'une phrase. Tous attendent que cette corvée se termine enfin, que la parenthèse se referme. Tous sauf lui, Adrijan.
Parce qu'on ne dilapide pas ce que l'on n'a pas gagné.
Parce que notre génération est tout ce qu'il y a de plus puant.
On croit qu'on peut vivre sans travailler, dépenser ce qu'on n'a pas acquis, on croit que tout ce qui est bon nous est dû. Eh bien non ! Rien ne nous est dû ! Et pour ça, je ne vais pas vendre, justement pour que ça aille pire. Parce qu'ils méritent tous que ça aille pire.
Jusqu’à ce matin, Jakov pensait qu’ils menaient une vie normale, la vie d’une famille normale avec des problèmes normaux à deux balles. Durant toutes ces années, il a cru avoir une fille exubérante, dotée d’un sacré tempérament, qui n’en faisait qu’à sa tête. Il aurait bien aimé quelquefois que Silva soit plus tranquille, plus docile, moins rebelle. Mais c’étaient juste des petits problèmes d’adolescence. C’est ce qu’il pensait. Il sait maintenant qu’il s’est trompé.
Ils avaient formé plus que longtemps un couple heureux, et dans un couple heureux on n'a pas besoin des autres.
Il regarde des gens mentir à d’autres gens, lesquels savent que les premiers leur mentent tout comme les premiers savent que les autres savent qu’ils leur mentent. Et tout en se mentant les uns aux autres, ces gens se tapotent sur l’épaule, se sourient poliment et pensent qu’aujourd’hui encore ils se sont bien débrouillés.
(Points, p.303)
Dans cette guerre , il n’y a pas de victoire possible, les défaites sont seulement différées.
la foule des voisins, des cousins et des connaissances qui baissent les yeux devant eux, comme si Vesna et lui irradiaient un malheur radioactif.
Jusqu'à ce matin, Jakov pensait qu'ils menaient une vie normale, la vie d'une famille normale avec des problèmes normaux à deux balles.
Durant toutes ces années, il a cru avoir une fille exubérante, dotée d'un sacré tempérament, qui n'en faisait qu'à sa tête. Il aurait bien aimé quelquefois que Silva soit plus tranquille, plus docile, moins rebelle. Mais c'était juste des petits problèmes de l'adolescence. C'est ce qu'il pensait. Il savait maintenant qu'il s'était trompé.
Cet instant où Silva a dit Allez Salut! et fait virevolter sa robe vers la sortie, c'est la dernière fois qu'ils l'ont vu.
Le shopping-center est rempli de monde. Les gens courent un peu partout comme des animaux avides, comme s'il s'agissait du dernier jour au-delà duquel les magasins seraient fermés à tout jamais. Des familles entières défilent comme des meutes, traînant derrière elles des sacs et des sacs remplis de chaussures, de vêtements, de jouets et de nourriture. Çà et là il aperçoit leur contenu : des boites à chaussures, de longs chandeliers, des pots de mayonnaise, des filets de morue séchée. il découvre le visage impitoyable, horripilé des gens pressés, focalisé sur cette mise à sac ultime et décisive. Il regarde autour de lui, interdit, et il se dit que jamais, même pendant la guerre, il n'avait vu l'espèce humaine tomber aussi bas.