Le café est chaud, ce qui est sa principale qualité.
- Zut, je dis (dans les théâtres, je reste poli).
- Merde, dit Pannard (qui n'a pas mon élégance).
- Madame Gambette ! je crie encore une fois.
La porte de la roulotte s'ouvre et, drapée dans un châle à fleurs, elle paraît, clope au bec, moitié reine de revue, moitié clodo.
Avec des planches récupérées, des fonds de peinture et des châssis de fenêtres trouvés dans une décharge, il a construit une sorte de poème en bois, une baraque qui clame que, avec trois sous et beaucoup de jugeote, on peut se bâtir un palais et revendiquer la dignité dans la misère.
La justice ? C'est ce que nous cherchons tous, inspecteur ! dit Emilienne.
Tenir, tenir, ils n'avaient que ce mot-là à la bouche.
C'est une histoire pas belle, une histoire d'amitié brisée, de sous mal gagnés, de morts...
Garçon, ce pain tout doré, c’est pour mon anniversaire, intervient Madame Gambette qui a encore gardé suffisamment de neurones pour oublier d’être bête. Nous, les pauvres, nous n’avons pas les moyens de nous offrir de la brioche, et les gâteaux, je n’en parle même pas. Alors ce pain, tu vois, c’est mon jour de fête, ma minute gastronomique. Balto peut me l’offrir parce qu’il a trimé à la boulange, alors pas question que tu y mettes tes pattes, vu ?
- Il n’est pas mal, ton baratin, elle me dit enfin, mais en définitive, tu ne sais rien. Que pouic. Admettons que je veuille bien essayer de te croire, tu m’apportes quoi ? Pas besoin d’un zonard pour enquêter sur le père Escartefigues.
-Sauf que le mot de Victor m’incite à penser qu’il est impliqué d’une façon ou d’une autre là-dedans, et Victor, personne ne le connaît comme moi.
-Un point pour toi.
-Et si je suis impliqué dans cette histoire, peut-être y a-t-il des ramifications dans la Zone, or pour enquêter sur mon territoire, suffit pas d’être mignonne et d’avoir le culot en bandoulière. Il faut un guide pour montrer patte blanche et délier les langues.
Elle grimace une charmante moue sans me quitter des yeux, pesant les termes de ma proposition.
-En gros, tu me proposes une association, garçon ?
Je n’aime pas qu’elle m’appelle garçon. Ça fait mioche, mais là, en pleine négociation, ce n’est pas le moment de faire la fine bouche. Les cartes, c’est elle qui les a en main.
-C’est ça, je dis.
-Avec un zonard recherché par la police.
-On a rien sans rien.
-T’as quel âge ?
Je fronce les sourcils. Généralement sa question me déplaît. Pas question de lui avouer mes quatorze berges.
-Seize.
-Faut voir, elle dit. (…)
-Le double V m’incite à penser que tu n’es peut-être pas l’assassin et donc que je pourrais envisager de travailler avec toi.
-Une association ?
-Disons ça comme ça. Je fouille du côté de Timoléon Escartefigues et toi de ton frère, et nous mettons tout en commun. Et bien sûr, tu m’assures l’exclusivité absolue de ce que tu découvres. Mais à deux conditions.
-Lesquelles ?
-Primo, pas de baratin. Tu me dis tout clairement et c’est réciproque.
-D’ac. Et secundo ?
-Tu me tutoies.
-Si vous voulez.