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Janus Africa », c'est l'histoire d'un homme double, vieux maître de musique amateur de jeunes filles, magnifique salaud, dont on découvre les ambiguïtés mais aussi les souffrances de banni au cours d'une narration qui alterne présent et passé, qui joue avec les mots comme un torrent qui déborde, où la vie tangue en tous sens, où les lignes deviennent des cordes sur lesquelles d'un coup d'archet-plume
Christine Payeux fait vibrer le lecteur.
Deux parties, deux temporalités : le passé, du point de vue de la jeune Elsa et le présent, du point de vue d'Elsa adulte qui découvre les carnets de Boyer, vingt ans après sa mort. Les deux parties se répondent et s'opposent : le couple Esther / Boyer et le couple Elsa / Marc ; Boyer le maître vénéré / Boyer l'homme avec ses failles, ses perversités, ses névroses ; la Loire humide et brumeuse / les pierres sèches du désert. le titre
JANUS AFRICA prend son sens dans ce double éclairage d'un homme à deux visages, mari et amant, père incestueux et fils débordé par sa mère, artiste brillant et professeur manipulateur pervers.
Le cheminement analytique du récit au cours duquel les personnages, même les plus secondaires, gagnent en lucidité, fait écho au cheminement dans le désert. D'abord l'évolution d'Elsa, de l'adolescente qui peine à s'avouer son amour, à la musicienne accomplie qui accepte l'origine de son art tout en enterrant ce qu'elle a de sombre. Ensuite l'évolution d'Esther, qui tente d'expliquer à sa soeur combien Boyer a ruiné sa vie et qui se reconstruit dans l'amour d'une femme. Enfin l'évolution de Boyer lui-même qui revient dans son journal sur ses névroses et leur origine.
Le motif de l'ensevelissement est un motif récurrent : Orphée et Euridice (l'Orfeo de Monteverdi que joue la musicienne), l'enterrement du grand-père lubrique et bien sûr le premier chapitre du roman, l'enterrement de Boyer ; l'ensevelissement symbolique des carnets en Afrique permettra enfin à Elsa d'accepter et de préférer l'oeuvre à l'homme.
Entre le torrent de phrases longues, presque sans ponctuation, et les phrases diffractées, éclatées, du journal de Boyer, proches du poème en prose, osant les jeux de mots et les néologismes, le texte frôle parfois le silence dans des phrases simples chargées de sens.
Ce roman raconte une histoire sombre en apparence mais en réalité pleine d'espoir et de renaissances : celle d'Elsa après l'épisode symbolique du sauvetage en plein désert et l'ensevelissement des carnets, mais aussi celle d'Esther et d'Hélène qui se reconstruisent, l'une, par l'amour d'une femme, l'autre par la peinture et l'amitié. Seul Boyer sombre (et encore, son oeuvre lui survit). A la fin du roman, ne reste que la musique victorieuse, qui permet enfin de libérer les démons enfouis par un double aveu : celui d'Elsa à Marc (double scène traumatisante de l'adieu à Boyer : sa mort, ses pulsions sexuelles) et celui de la fille de Boyer à Elsa dans l'épilogue où l'on découvre le père pédophile et incestueux.
Elsa
Rouvière. Professeure Agrégée de Lettres