Le temps souffre d'un besoin d'incarnation
[...]
J'écris à la lumière d'une lampe
Les absolus les éternités
et leurs alentours
ne sont pas mon propos
J'ai faim de vivre et aussi de mourir
Je sais ce que je crois et je l'écris
l'acte
Avènement de l'instant
l'acte
le mouvement dans lequel s'érige
et se défait l'être total
Conscience et mains pour saisir le temps
je suis une histoire
une mémoire qui s'invente
Je ne suis jamais seul
Je te parle toujours
tu me parles toujours
J'avance dans le noir et je plante des signes.
(extrait de "Vrindâban").
Versant est
LIT DE RIVIÈRE
Entends la palpitation de l'espace
Ce sont les tambours de l'été
Les pas de la saison en rut
Sur les braises de l'année
C'est son bruit d'ailes et de crotales
Sous sa robe de racines et d'insectes
La terre crépite
La soif s'éveille élève
Ses grandes cages de verre
Là tu chantes ta chanson furieuse
Ta chanson heureuse
D'eau captive
Tu chantes nue
De pollen le visage
Les seins et le ventre tachés
Sur le paysage aboli
Ton ombre est un pays d'oiseaux
Que le soleil disperse
D'un geste
p.81
EXPIRATION
1
Ciels de fin du monde. Il est cinq heures.
Ombres blanches : oiseaux ou voix ?
Contre ma tempe, battements de moteurs.
Temps de lumière : mémoire, tour lézardée,
Pause vacante entre deux clartés.
La ville d'elle-même se détache,
Toutes pierres devenues pensées.
Désincarné, le monde n'est plus visible.
Dévoré par la lumière. En ta mémoire
Mes os seront-ils incandescence du temps ?
p.40
Blanc (extrait)
Éblouissement :
Je ne pense pas, je vois
— Non ce que je vois.
Je vois les reflets, je vois les pensées.
Les précipitations de la musique,
Le nombre cristallisé.
Un archipel de signes.
Aérophanie,
Bouche de vérités,
Clarté qui s'annule en une syllabe
Diaphane comme le silence :
Je ne pense pas, je vois
— Non ce que je pense,
Visage en blanc de l'oubli,
Splendeur du vide.
Je perds mon ombre,
J'avance
Parmi les forêts impalpables,
Les sculptures rapides du vent,
Ailleurs multipliés,
Défilés qui s'effilent,
J'avance,
Mes pas
Se dissolvent
Dans un espace évanescent
En des pensées que je ne pense pas.
p.104-105
Blanc (extrait)
Du jaune au rouge au vert,
Pèlerinages aux clartés,
La parole se penche sur des tourbillons
Bleus.
Vire l'anneau ivre,
Virent les cinq sens
Autour de l'améthyste
p.103
MADRIGAL
Plus transparente
Que cette goutte d'eau
Entre les doigts de la plante grimpante
Ma pensée tend un pont
De toi-même à toi-même
Regarde-toi
Plus réelle que le corps que tu habites
Fixe au centre de mon front
Née pour vivre sur une île.
traduit par Yesé Amory
p.82
je cherche sans trouver, j'écris dans la solitude,
il n'y a personne, le jour tombe, l'année tombe,
je tombe avec l'instant, je tombe au fond,
invisible chemin sur des miroirs
qui répètent mon image brisée,
je marche sur des jours, des instants parcourus,
je marche sur les pensées de mon ombre,
je piétine mon ombre en quête d'un instant,
Versant est
MAITHUNA
Langue bourgogne de soleil flagellé
Langue qui lèche ton pays de dunes insomnieuses
Chevelure
Langues lanières de fouet
Langages
Dénoués sur tes épaules
Entrelacés
Sur tes seins
Ecriture qui t'écrit
Avec des lettres stylets
Te nie
Avec des signes tisons
Vêtement qui te dévêt
Ecriture qui te vêt d'énigmes
Ecriture où je m'enterre
Chevelure
Grande nuit subite sur ton corps
Jarre de vin chaud
Répandue
Sur les tables de la loi
Nœuds de hurlements et nuées de silences
Grappes de couleuvres
Raisins
Ecrasés
Sous les pas gelés de la lune
Pluie de mains de feuilles de doigts de vent
Sur ton corps
Sur mon corps sur ton corps
Chevelure
Feuillage de l'arbre d'ossements
L'arbre aux racines aériennes qui boivent la nuit dans le soleil
L'arbre charnel
L'arbre mortel…
p.88-89
PAS DE TANGHI-GARU
Terre tailladée :
L'hiver la marqua de ses armes,
Vêtements d'épines : le printemps.
Montagnes de mica. Chèvres noires.
Sous leurs sabots somnambules
Le schiste reluit, absolu.
Soleil fixe, cloué
Dans l'énorme cicatrice de pierre.
La mort nous pense
p.62