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Critique de fabienne2909


Lire ce premier tome de la trilogie de Gormenghast, c'est plonger dans un univers unique, à part, un voyage dans un onirisme sombre, créé de toutes pièces par le peintre, romancier et poète Mervyn Peake. C'est un voyage hors normes dans cette famille aristocratique particulière que sont les d'Enfer (rien à voir avec Cruella), comtes de père en fils sur un territoire (à défaut de pouvoir lui donner un nom précis ; sommes-nous dans un pays particulier ? Un royaume ? Rien ne l'indique), et gardiens d'une tradition familiale plusieurs fois séculaire.

A l'ouverture du roman c'est le soulagement : la comtesse vient d'accoucher d'un garçon, Titus, plus d'une dizaine d'années après la naissance de l'aînée, Lady Fuschsia. La lignée va donc se poursuivre, la comtesse se mettre au vert avec ses oiseaux et sa mer de chats, la maisonnée tourner à nouveau au rythme de rites dont les origines et le sens sont depuis longtemps perdus, et les domestiques mener leur service tout en cherchant à se tuer (l'affreux cuisinier Lenflure – qui porte tellement bien son nom – et Craclosse, le majordome du comte d'Enfer, se vouant tous deux une haine sans bornes) ou bien à intriguer pour s'assurer une position dominante (le jeune, ambitieux et cruel Finelame).

L'intrigue du roman est plus que mince mais pour une fois ce n'est pas un inconvénient, bien au contraire, l‘intérêt du roman se situant dans l'univers que dresse Mervyn Peake, peuplé de personnages tous plus extraordinaires et extravagants que les autres, au premier rang duquel le château de Gormenghast, personnage principal incroyable avec ses tours crénelées dans l'une desquelles nage même une jument blanche et son poulain (normal…), ou d'où sort un arbre gigantesque… Gormenghast forme ainsi son propre écosystème, avec ses enceintes qui protègent ses habitants du monde extérieur, ceux-ci n'en sortant jamais et étant rarement en contact avec le peuple vivant à ses abords, les Brillants Sculpteurs, dont l'occupation principale est de réaliser des oeuvres dont certaines seront exposées dans la galerie du château que personne ne visite jamais. A l'instar du château, les personnages ont ainsi tous une particularité physique (Craclosse et sa démarche arachnéenne et claquante due aux articulations de ses genoux, l'obésité fantastique de Lenflure, le rire agaçant plein de dents étincelantes et carnassières du docteur Salprune, etc.) souvent un peu ridicules par certains aspects. Curieux monde dans lequel d'ailleurs le système de classe se trouve malmené et bouleversé, valetaille et maîtres passant leur temps ensemble, voire même inversé, avec les intrigues de Finelame qui réussit à dominer psychologiquement les deux vieilles jumelles, Lady Cora et Lady Clarice, après avoir fait ce qu'il voulait d'Irma Salprune, la soeur du docteur particulier de la famille.

Un monde régi aussi par l'absence de signification : les Brillants Sculpteurs échangent leurs oeuvres pour quoi ? Pouvoir se promener sur les remblais du château (quelle utilité ?). A quoi servent les rites ? On ne sait plus. Et l'incendie de la bibliothèque, orchestré par Finelame ? Que va-t-il en retirer ? du pouvoir, mais auprès de qui ? Aucune réponse précise n'est apportée.

Le récit est également servi par une écriture protéiforme, tantôt très réaliste dans ses descriptions, tantôt épique (la bataille de Lenflure et Craclosse), avec parfois des traits d'humour savoureux. Mervyn Peake était peintre et ça se sent, les images venant facilement en tête grâce à cette écriture volontiers hyperbolique et volubile confinant au cinématographique. J'ai ainsi eu l'impression de lire une rencontre entre Tim Burton (la scène des jeunes commis de cuisine m'ont fait penser aux Oompa Loompa de « Charlie et la chocolaterie »), Jean-Pierre Jeunet et Wes Anderson (pour « La famille Tenenbaum » et ses membres si particuliers). Un voyage détonnant et original, que je n'aurais pas découvert sans la superbe critique de @HundredDreams que je remercie chaleureusement et dont je vous conseille la lecture (si ce n'est pas déjà fait).
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