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Critique de klakmuf


Journaliste de gauche, et décédé en juillet 2019 (2 mois avant la disparition de Jacques Chirac !), Pierre Péan s'était rendu célèbre en 1994 avec son livre sur les jeunes années de François Mitterrand : « Une jeunesse française : François Mitterrand (1934-1947) ». Il y révélait la complexité de cet homme de droite, qui a été soutenu par le collaborationniste Eugène Schueller (le fondateur de L'Oréal), qui a reçu la francisque des mains du Maréchal Pétain et qui s'est, « en même temps », engagé dans la Résistance, a fait carrière et a conquis le pouvoir avec les forces politiques de gauche.

Avec «L'inconnu de l'Elysée », Péan s'est attaqué fin 2006 à lever une partie du voile entourant l'ancien Président de la République (1995 – 2007). Chirac est alors très impopulaire et fortement contesté par « son fils spirituel », Nicolas Sarkozy. Agacé par le flot d'articles et de livres accablant alors Jacques Chirac, Pierre Péan a mené sa propre enquête et conduit une série de douze entretiens avec Jacques Chirac, au second semestre 2006, c'est-à-dire à la fin de son second mandat de Président. Comme avec Mitterrand, il en ressort le paradoxe d'un homme politique faisant sa carrière avec des idées souvent proches de celles du camp adverse. Et tout comme Mitterrand eut un choix difficile, crucial et historique à faire, en son temps (1983, choix de l'Europe, de la rigueur budgétaire et du maintien dans le SME), Chirac a été confronté au début de son premier mandat à un dilemme similaire (1995, choix de l'Euro et de la rigueur budgétaire). Les deux hommes ont dû faire des choix politiques allant souvent à l'encontre de leurs convictions profondes.

Pour les anti-chiraquiens, ce livre pourra sembler complaisant. Car sans éluder les principales critiques proférées contre Chirac (échec dans la lutte contre la fracture sociale, immobilisme, faiblesses des convictions, affaires liées à sa gestion à la Mairie de Paris, etc.), Pierre Péan admet quand même avoir été séduit par l'homme. Il met surtout en avant, et cela reste un marqueur de son action présidentielle, son opposition courageuse et lucide à la guerre menée par les Américains en Irak, en 2003. Une guerre qui a eu des conséquences catastrophiques.

Avec ce livre, le journaliste jette aussi quelques traits de lumière sur des facettes peu connues de Jacques Chirac : sa grande connaissance des cultures d'Asie (Chine et Japon, surtout), du monde arabe, mais aussi des arts d'Afrique et d'Amérique. Une anecdote est révélatrice du personnage : alors que l'Europe et l'Amérique décident de commémorer, en 1992, le 500e anniversaire des voyages de Christophe Colomb, des voix s'élèvent de par le monde, et notamment chez les Amérindiens, pour rappeler la catastrophe humanitaire qui a suivi la « découverte » du Nouveau Monde. Alors Maire de Paris, Jacques Chirac refuse de s'associer à cette célébration occidentale : « Je n'ai pas d'admiration pour ces hordes qui sont venues en Amérique pour détruire », raconte-t-il. Rebelle déjà, il organise à Paris une exposition sur les Taïnos, un « peuple prospère et pacifique » de la famille linguistique Arawak (cf. Carmen Bernand) qui accueillit les Européens. Avec ce tropisme de Jacques Chirac pour l'Orient et pour les arts premiers, on touche du doigt ce qui le différencie des autres responsables politiques ; « cette culture parallèle l'a maintenu à distance des élites médiatico-intellectuelles de notre pays ».

Et « en même temps », Jacques Chirac était resté très français, et cela reste pour moi le côté le plus admirable et fascinant de cet homme. A la fois proche de la province (il n'a jamais perdu ses racines corréziennes) comme de la capitale (Maire de Paris de 1977 à 1995). de même qu'il existe des villes-mondes, Jacques Chirac semble avoir incarné une espèce d'homme global, côtoyant aussi facilement les paysans du plateau de Millevaches que les riverains de la Seine, se régalant pareillement de charcuterie française, de bière mexicaine, de sushis japonais, et se projetant dans des univers intellectuels et culturels lointains, passant de l'homme premier préhistorique aux oeuvres de Pouchkine (à 20 ans, il a traduit Eugène Onéguine), de la poésie du Manyoshu aux bronzes chinois, des sumotoris aux statuettes dogon, de l'art bouddhique aux sculptures Chupícuaro de Méso-Amérique (emblème de son Musée du Quai Branly). Pour lui, il ne devait en effet exister aucune hiérarchie entre les cultures, et cette aptitude à combattre l'ethnocentrisme en incarnant toujours pleinement sa propre culture me séduit beaucoup.

Je n'en dis pas plus et vous encourage à découvrir un peu de cet « inconnu de l'Elysée », qui a fréquenté et habité nos palais nationaux (avec Matignon et la Mairie de Paris) pendant quelque 40 années, entre 1967 et 2007.

Face à la mondialisation qui « change la donne et nous oblige à évoluer radicalement », essayons de garder à l'esprit, en conclusion, ce qui doit constituer, selon Jacques Chirac, les axes d'action prioritaires de tout Président de la République : l'aide au développement des pays pauvres, la protection de l'environnement et le dialogue des cultures.
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