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Critique de hcdahlem


Les courriers du bout du monde

Entre le 16 mai et le 26 septembre 2017, Irma Pelatan a rédigé une lettre quotidienne a «Tout résident de l'île La Passion-Clipperton». Au-delà de l'exercice de style, ce roman nous permet de découvrir l'histoire de ce confetti de France dans le Pacifique nord. Ludique et très documenté.

Ce roman singulier, sans pagination, mérite que l'on s'arrête sur sa genèse. C'est en attendant la réponse des éditeurs auxquels elle avait envoyé son premier manuscrit et qu'elle guettait sa boîte aux lettres désespérément vide que l'idée a jailli d'en remplir une autre, très loin. À Clipperton. «Une île française, un anneau blanc posé comme un nombril au milieu du Pacifique Nord. Une île déserte, inaccessible, et pourtant inexplicablement pourvue d'un code postal».
Après avoir déniché sur leboncoin.fr un stock de 425 enveloppes au liseré tricolore et s'être munie d'un crayon, elle se lance le défi de rédiger tous les jours un courrier qui sera adressé à: Tout résident
98799 La Passion-Clipperton
C'est avec ce type de contraintes que les membres de l'Oulipo adorent jouer. Voire compléter, comme le propose Jacques Jouet, le bien-nommé. «Tout le projet serait résolument une sorte de bouteille à la mer à l'envers, vers l'île déserte. Il reprendrait les quatre contraintes jouetiennes: écrire chaque Jour ; renoncer à corriger le texte une fois le jour écoulé; adresser ledit texte, daté et localisé, à une personne choisie; enfin le confier à l'efficience des services postaux, pour le faire directement parvenir à son destinataire.»
Voici donc cette oeuvre singulière, écrite entre le 16 mai et le 26 septembre 2017 et accompagnée d'illustrations qui documentent le projet, comme la pile de lettres revenues à leur destinataire après un voyage assez extraordinaire autour de la planète.
Mais venons-en à cette correspondance. Quand Irma prend la plume, elle s'est déjà beaucoup documentée, a recherché la bibliographie disponible, s'est fait une idée de ce coin perdu du Pacifique nord. Idée qu'elle va pouvoir discuter avec son mystérieux correspondant. Comme tenter de comprendre ce qui se cache derrière la formulation choisie par les autorités, «L'atoll ne comporte aucune population humaine permanente», et qui peut vouloir dire que les habitants sont de passage ou qu'ils ne sont pas humains, ce qui laisse peu de place à un échange épistolaire, vous en conviendrez.
Mais Irma ne renonce pas pour autant à son projet. Elle nous raconte ce qu'elle sait de ce confetti, de sa découverte et de son histoire jusqu'à son statut actuel discuté en commission à l'Assemblée nationale - la retranscription de ces échanges vaut le détour - et qui fixe que «l'île est un domaine de l'État, comme un logement de fonction ou un Camion militaire. Clipperton est placée sous l'autorité directe du Chef du gouvernement.» Qui a bien d'autres préoccupations et confie ce dossier à un fonctionnaire du nom de Gutzwiller, ce dernier n'imaginant pas ses pouvoirs. Car, avec beaucoup de malice, Irma nous propose de réfléchir à quelques questions assez vertigineuses sur la finitude, la propriété, la solitude ou encore la justice. Elle nous parle des Mexicains qui ont posé le pied sur ce territoire, des Américains de l'USS Cleveland qui venaient ravitailler la maigre colonie avant de s'en désintéresser et de l'exploitation du guano qui sera elle aussi vite abandonnée, tout comme les tombes portant les inscriptions Pollo et Perkins, deux noms voués à l'oubli. «Clipperton, au fond, c'est ça: l'expérience si puissante de la finitude, de la solitude sans nom.»
Si on en apprend beaucoup sur Clipperton au hasard de ces lettres, on en apprend aussi beaucoup sur la vie de la romancière durant son expérience. Ses rencontres à Corny-sur-Moselle où se sont regroupés quelques passionnés de Clipperton: Georges, Christian, Ludmilla et les autres, ses voyages qui vont la conduire d'Aix-en-Provence, où elle assiste à un mariage, à la Méditerranée sur laquelle elle vogue quelques jours et même sur ses petits ennuis de santé. Des informations que l'on échange effectivement avec un ami.
Irma Pelatan, que l'on avait découverte avec L'odeur de chlore, nous revient avec ce petit bijou joliment ciselé qui donne toutes ses lettres de noblesse à cette littérature qui de Georges Perec à Raymond Queneau, en passant par Hervé le Tellier ajoute un aspect ludique à l'originalité du propos. On se régale!
S'il y a bien un Prix littéraire «Envoyé par la Poste», suggérons à ce service public de lancer un Prix spécial pour tous les auteurs qui mettent la correspondance épistolaire au premier plan. Irma Pelatan en serait une digne lauréate, elle qui donne toute la noblesse aux lettres !

Lien : https://collectiondelivres.w..
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