Citations sur Sous la vague (22)
On sait qu'elle [la mort] existe, qu'elle rôde et nous guette, et cette connaissance nous emplit de suffisance. On se croit sage et avisé. Mais sitôt qu'on y est confronté, on s'aperçoit qu'il n'en était rien. La mort est toujours une surprise.
- Voyez-vous, Eddy, ce qu'il y a de pire dans le fait de vieillir, c'est que ça ne résout rien du tout. On pourrait espérer devenir, avec le temps, plus sage - comment dire ? plus pondéré, plus tolérant, je ne sais pas, moi. Eh bien, je vous le dis tout net : c'est des conneries, passez-moi l'expression.
Eddy, imperturbable, répondit sans se retourner :
- Il me semble que c'est Oscar Wilde qui a dit : "Le problème de la vieillesse, ce n'est pas qu'on se fait vieux, c'est qu'on reste jeune".
De nos jours, les gens se marient vraiment n'importe où. Voyez-vous, Eddy, ce qui ne laisse pas de m'étonner, c'est même qu'ils persistent à se marier. Avec tous les tracas que ça cause ! Ça dépasse l'entendement.
- Croyez-vous qu'il [le faon] a survécu ?
- C'est possible, monsieur. Les animaux sont plus résistants qu'on ne croit.
- Et les hommes ?
Eddy haussa les épaules. Bertrand pensa qu'il ne répondrait pas. Mais au bout d'un long silence troublé, il finit par affirmer :
- Il me semble qu'au contraire, ils sont plus fragiles qu'on ne pense.
À l'intérieur de lui, un magma bouillant, de la lave en fusion, rien de stable, rien de pérenne. À l'extérieur, des choses organisées de l'espace et du temps, la normalité, passage des saisons, agencement des objets, lignes droites des ceps de vigne, courbures douces des allées, lignes pures. Même les feuilles des arbres où jouaient le vent de juin suivaient une danse précise et mesurée.
Si jeune et déjà syndiqué, songea Bertrand. La vie est un gâchis.
La maison immense semblait ronfler, comme chaque nuit. Une étrange respiration qui émanait des murs, des meubles de famille, des tableaux, des coussins même.
À son sens, plus vrai encore était le fait qu'il n'existât probablement pas de bonne personne. Ni pour lui, ni pour quiconque. Il n'existait que de belles erreurs, qui parfois duraient des années. Des illusions, des rêves, des mensonges, des espoirs montés les uns sur les autres en piles hasardeuses, hautes comme des pièces montées, qui un beau jour s'écroulaient parce que le caramel avait fondu et qu'on avait cessé d'y croire.
Le chaos est un état qui ne peut pas durer.
Au fond, il avait des goûts simples, se dit-il. Un instant, il s'imagina poivrot, installé sur un trottoir dans un fauteuil défoncé rongé par les vers, un litron de rouge à la main. Ça devait se supporter, à condition d'être en mesure d'écouter les Leçons de ténèbres de François Couperin. Ce qui pouvait s'avérer foutrement difficile.