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Critique de boudicca


Pour son nouveau roman, Judith Perrignon s'est penchée sur une figure féminine emblématique du XIXe siècle, prolongeant ainsi le travail qu'elle avait déjà initié avec sa série documentaire réalisée France Culture et consacrée à Louise Michel. Pour bien comprendre le personnage, il est dans un premier temps nécessaire d'évoquer le contexte historique qui l'a fait connaître. Ce contexte, c'est celui de la Commune de Paris, insurrection au cours de laquelle les habitants de la ville affirmèrent leur volonté de ne pas céder à la Prusse (avec laquelle la France est alors en guerre depuis 1870) et d'instaurer une république démocratique et sociale. Cette guerre civile de soixante-douze jours est restée dans l'histoire pour une multitude de raisons, qu'il s'agisse de la modernité des lois qu'elle a entériné (séparation des églises et de l'état, reconnaissance de l'union libre, égalité salariale entre instituteurs et institutrices, démocratisation et laïcisation de l'enseignement…) ou de la sanglante répression qui suivi la reprise du pouvoir par les Versaillais. Enfin, la Commune est restée dans les mémoires grâce aux figures emblématiques qui y participèrent, parmi lesquelles la fameuse Louise Michel, institutrice âgée d'une quarantaine d'années en 1871, qui sera condamnée au bagne pour son rôle dans l'insurrection et qui deviendra une figure incontournable de la gauche du XIXe. L'histoire tumultueuse de la militante nous est racontée ici par le biais des archives, et notamment des archives de police, qui constituent une grande partie des sources concernant la vie et l'influence en surplomb de Louise Michel sur la vie politique française de l'époque. L'autrice retranscrit ici une partie de ces sources policières, parmi celles qu'elle a trouvé les plus significatives.

Minutes de procès, rapports de la préfecture de Paris, notes rédigées par des indics de la police… : les sources émanant des autorités sont nombreuses et nous instruisent sur la surveillance étroite sous laquelle le pouvoir garda la militante jusqu'à la fin de sa vie, ainsi que la crainte qu'elle pouvait susciter. Ces rapports se révèlent toutefois insuffisants pour comprendre la personnalité de Louise Michel ni sa détermination à livrer son combat. L'autrice a ainsi également puisé dans les mémoires de l'institutrice, rédigés alors qu'elle était emprisonnée, ainsi que sur les nombreuses lettres de sa main qui ont été préservées. Parmi elles, beaucoup sont adressées à un certain Victor Hugo, le poète et la révolutionnaire ayant entretenu une relation épistolaire pendant de longues années. L'ouvrage nous donne ici un aperçu de cette correspondance, l'autrice ayant à nouveau sélectionné quelques uns des textes parmi les plus révélateurs de la pensée et de la personnalité de Louise Michel. Les articles de journaux qui lui sont consacrés sont eux aussi édifiants, la révolutionnaire n'ayant pas hésité à parler à la presse (et même à monnayer ses interviews), et celle-ci donne souvent d'elle une image surprenante, insistant sur sa fougue et certaines excentricités de sa vie privée (son amour pour les chats, par exemple). Cette diversité des sources consultées et reproduites par l'autrice constitue l'une des principales qualités du roman qui nous offre une plongée, certes brève, mais néanmoins très instructive dans la fin du XIXe. le choix de mettre au premier plan les archives permet également de petites digressions, Louise Michel étant loin d'être la seule personnalité fascinante de l'époque. Judith Perrignon nous instruit ainsi de temps à autre sur le parcours surprenant d'autres femmes militantes, quasiment toutes occultées par la figure de la révolutionnaire, mais qui mériteraient elles aussi d'être étudiées.

Enfin, l'autrice convoque pour compléter son portrait les avis d'historiens et historiennes qui viennent éclairer ou nuancer toutes ces sources. le travail de Judith Perrignon est donc scrupuleusement documenté, et le portait qui résulte du brassage de toutes ces sources est finalement assez contrasté. Les nombreuses anecdotes témoignant du caractère et des habitudes de Louise Michel (elle dilapide systématiquement l'argent qu'on lui prête en le redistribuant aux plus indigents, ou encore refuse la grâce du pouvoir et demande à rester en prison avec ses camardes), de même que les extraits de certains de ses discours permettent aisément de comprendre les raisons pour lesquelles la révolutionnaire a marqué durablement ses contemporains. Dotée d'une sacrée verve, déterminée à être de toutes les luttes et à ne jamais renier ses idéaux, Louise Michel impressionne par son exaltation et la force de ses convictions. Ce qui frappe, aussi, c'est le nombre de personnalités historiques avec lesquelles elle est en désaccord politiquement mais qui la soutiendront pourtant toute leur vie. C'est le cas notamment de Victor Hugo, mais aussi de Clemenceau, qui lui enverra des mandats tout au long de sa détention au bagne de Cayenne, ou encore d'Henri Rochefort, dont elle finira toutefois par s'écarter en raison de son antisémitisme. Ralliée aux idées anarchistes et par conséquent peu désireuse de jouer le jeu des élections, Louise Michel restera tout au long du XIXe une figure tutélaire importante mais gardera ses distances avec les figures montantes du socialisme français. Enfin, parmi les nombreux aspects de la personnalité de la révolutionnaire évoqués, l'autrice porte un regard critique sur la manière dont l'histoire l'a retenue, la réduisant souvent aux relations qu'elle a entretenu (ou plutôt pas entretenu) avec les hommes, ainsi qu'en témoigne d'ailleurs son surnom de « vierge rouge ».

Avec « Notre guerre civile », Judith Perrignon signe une biographie édifiante de Louise Michel, figure emblématique de la Commune et plus largement de la gauche française du XIXe. Pour son roman, l'autrice a consulté un nombre impressionnant d'archives dont certaines sont en parties reproduites ici, ce qui permet de s'immerger pleinement dans cette période historique assez méconnue et qui fait pourtant partie des fondements de notre vie politique actuelle.
Lien : https://lebibliocosme.fr/202..
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