[...] Si nous nous considérons comme une société civilisée, et que nous envoyons les plus courageux et les meilleurs d’entre nous dans le chaos de l’enfer, nous devrions nous soucier passionnément de ce qu’il advient d’eux lorsqu’ils survivent et rentrent chez eux. Mais dès qu’une guerre est terminée, nous ne voulons plus en entendre parler, et nous en voulons à ceux qui nous obligent à regarder en arrière et à y réfléchir. Si nous savions à quoi nos soldats, nos médecins, nos ambulanciers font face, nous ne pourrions le supporter. Nous ne pourrions plus envoyer ceux que nous aimons au combat. Seule l’ignorance nous permet de le faire, et la terreur de ce qu’il nous arrivera si nous ne nous battons pas, si nous ne gagnons pas. Mais, une fois que tout est fini, nous voulons oublier. Et prendre soin des victimes nous rappelle le coût de la guerre. Pour elles, il n’y a pas de fin. Nous nous sentons coupables, et cela nous déplaît. C’est encore pire si nous ne voyons pas pour quelle raison nous nous sommes battus.
[...]Les seuls individus qui n’échouaient jamais étaient ceux qui ne cherchaient pas à se surpasser, qui ne tentaient rien de difficile, rien qui fût susceptible de leur coûter personnellement, de menacer leur bien-être ou leur foi. N’était-ce pas là le plus grand échec de tous ?
[...]les préjugés étaient universels, basés sur la race, la religion, la classe sociale, l’éducation, ou encore des dizaines d’autres caractéristiques. Ils semblaient tous nés de la peur de la différence, de la conviction que celle-ci représentait un danger, si nébuleux fût-il. Il suffisait de peu de chose pour les déclencher : une langue inconnue, la pensée que les étrangers parlaient de vous, riaient de vous, complotaient d’une manière ou d’une autre. Les autochtones voyaient leur quartier changer, craignaient que ces nouveaux venus ne leur volent leurs emplois et leurs femmes.
Pire, ces gens aux croyances différentes les poussaient à remettre en question leur place et leur importance dans le monde, ébranlaient les certitudes dans lesquelles ils avaient grandi et, laissant place aux ténèbres du doute, menaçaient jusqu’à leur identité.
Certains parlent du passé comme s’il était toujours avec eux, comme un vêtement invisible. D’autres semblent vouloir s’en défaire, ne jamais regarder en arrière.[...]
« Personne ne peut changer le passé, disait-il. L’avenir, si. Tout ce qu’on fait le façonne d’une manière ou d’une autre. »
La peur n’est pas toujours rationnelle, Mrs. Haldane. Elle est parfois absurde, totalement infondée.
Pensez-vous que l’un de nos « voisins » nous haïsse à ce point ? Pourquoi ? Nous n’avons rien fait pour nous différencier des autres. Nous respectons la loi, nous payons nos loyers et nos impôts. Nous ne volons personne ! Quel mal y a-t-il à venir d’ailleurs ? Nous n’avons même pas l’air d’être des étrangers, contrairement aux Chinois, aux lascars ou aux Africains. Londres est fait de gens de partout.
Nous sommes des étrangers pour eux, bien qu’ils vivent dans notre ville. Ils seront polis, mais ils ne nous confieront rien, si vous voyez ce que je veux dire. Ça se comprend.
De la rage ! Il faut une force considérable pour embrocher un homme de la sorte. Sur le champ de bataille, c’est la charge qui vous donne l’élan nécessaire. Celui qui a commis ce meurtre était soit en furie, soit terrifié. Et, puisqu’il tenait la baïonnette et qu’on peut supposer qu’il l’avait apportée, et que rien ne suggère que ce pauvre Fodor ait eu la moindre arme pour se défendre, la rage me semble plus probable.
Dans le monde d’où il venait, les femmes ne jouaient pas les médecins, ne géraient pas l’argent du foyer et ne prenaient pas de décisions. Et il était beaucoup trop vieux pour avoir besoin d’une mère.