La vie, c'est une boucle temporelle, plus ou moins grande, plus ou moins longue, qui se referme avec une attache parfois abîmée. Que reste-t-il, quand cette grande boucle, qui devient longe, puis collier, puis bracelet, se perd dans un fond de tiroir, n'évoquant plus les remous de la vie de son ou sa propriétaire ? le disparu, l'absent, le défunt, bref, le mort, laisse s'évaporer peu à peu le chapelet d'anecdotes carrelant son passage.
Mathieu Persan est un illustrateur de génie, un conteur de couleurs brossées au papier de coeur. Il n'y a donc rien de surprenant à trouver dans ce premier roman une sensibilité extrêmement touchante. S'agit-il d'une autobiographie ? le narrateur démarre ce roman avec les derniers jours de sa maman, atteinte d'un cancer. J'ai craint de me noyer dans une histoire bourrée de mélancolie et de sanglots ; j'ai passé un très tendre moment avec cette famille, et avec cette femme, qui decida un jour de prendre son destin en main, un destin simple : devenir mère et aimer ses enfants et petits-enfants.
"La vie, on nous aurait donné la choix, je ne suis pas sûr qu'on aurait tous sauté le pas. On vous balance comme ça dans un corps que vous n'avez pas choisi, dans un endroit du monde qui a de bonnes chances de ne pas être des plus accueillant, dans une famille qui a une chance sur deux de devenir un nid à emmerdes, le tout sur un caillou perdu au milieu d'un univers dont votre toute petite conscience ne pourra jamais prendre la vraie mesure, et avec une seule et unique certitude : vous crèverez à la fin et, si vous avez la chance que la logique des choses soit respectée, vous devrez également choisir un jour le slip du cadavre de votre mère.
Mais bon, pour faire passer la pilule, on vous convaincra depuis tout petit, dans les écoles, les églises, les temples, les journaux, à la télé, que la vie c'est sacré et que si on vous l'a donnée, c'est un cadeau qui ne se refuse pas. Et s'en séparer, dire «Non, sans façon, j'ai essayé mais ça ne me plait pas plus que ça», c'est sacrément mal vu. Parce que c'est beau la vie, merde! Les couchers de soleil, les bières en terrasse, un baiser sous un porche, une musique qui fait se dresser les poils sur les bras, un arbre, une raclette, une bonne bouteille,
Roland-Garros un dimanche ensoleillé de juin, un film qui fait pleurer, une bonne partie de jambes en l'air, une bouffe entre amis, c'est quand même chouette, non ? La vie, ça se chérit. Même une vie de merde, ça se chérit. C'est comme ça. Il faut faire avec."
Le deuil est abordé avec beaucoup de délicatesse et dans la suite de l'humour de cette maman. Une queue de comète dont on sait, quand on la voit passer, que l'image s'effacera progressivement de notre rétine, mais que ce n'est pas grave, parce qu'il ne pourra plus jamais rien vous arriver.