Ceux qui entendent contrôler les lectures des autres voudraient en fait s'arroger plusieurs monopoles : celui de la découpe d'un corpus d'œuvre ou d'extraits soigneusement sélectionnés et de leur agrégation ; celui du sens qu'il convient de donner à ces morceaux choisis.
Parfois, c'est même une seule phrase emporté dans un carnet ou dans sa mémoire ou même oubliée, qui a rendu le monde plus intelligible. Une seule phrase qui a heurté ce qui était comme arrêté sur l'image pour lui redonner vie.
Le soir j'aime à me reposer dans le coin de mes livres. C'est mon refuge.
En réalité chaque lecteur est quand il lit le propre lecteur de soi-même.
C'est à l'occasion d'un voyage, de l'enfermement en pension, d'une guerre, d'une hospitalisation, que plusieurs ont pris goût aux livres.
Aujourd'hui encore des gens se cachent pour lire, à faire des mots croisés.
Il y a toujours des gens qui passent et c'est - Ah oui, elle ne fait rien pendant que son mari se crève au travail.
En lisant, on vole du temps aux activités - utiles. Nos interlocuteurs se réfèrent ainsi à cette prescription séculaire - il ne faut pas perdre son temps, il ne faut pas rester inoccupé.
Ils évoquent la mémoire de cet éthique, longtemps garante de la survie, qui faisait du travail la valeur suprême et bannissait l' oisiveté.
Dans des sociétés peu lettrées, lire un livre, c'était s'égarer dans un monde dangereux, affronter le diable.
Une telle peur fait sourire de nos jours où tout un chacun chant les plaisirs de la lecture et déplore les méfaits de l'illettrisme. Et portant...En France, en ce début du XXI -ème siècle, des garçons qui adorent la poésie lisent clandestinement pour éviter que leurs copains ne se moquent d'eux ou ne leur cassent la figure.
Les cultures se rencontrent, se fécondent, s'altèrent, se reconstruisent.
Le geste de la culture est lui-même un geste de mêlée : c'est affronter, confronter, transformer, détourner, développer, récompenser, combiner, bricoler.