La trilogie de Wielstadt, tome 2 : Les masques de Wielstadt

Il n'y a pas pire aveugle que celui qui veut croire.

La veille au soir, le sort l'avait désigné pour assurer avec trois autres le dernier tour de garde. Les paupières lourdes, il errait parmi les bâtisses dont ne subsistaient que des grands murs cernant le vide, des escaliers montant vers des étages disparus et des toitures effondrées, des arches perçant des façades orphelines, des fenêtres hautes où nichaient des oiseaux.

- Sachant qui je suis et ce que vous êtes, je ne vous dois rien...
- Ce que je suis ? repris Börgartz d'une voix frémissante d'indignation.
- Oui.
- Et... Et qu'est-ce à dire ?"
Börgatz se leva, comme pour mettre Osiander au défi de s'expliquer. Il frémissait de colère. Un tic agitait sa joue et sa paupière.
"Je veux dire que tu es un petit être contrefait et incapable. Un bossu ridicule indigne du nom d'homme. Un gnome dont la place est sur les tréteaux des foires. De quel ventre plein d'ordure es-tu donc sorti ? Pourquoi ne t'a-t-on pas écrasé sous le talon encore vagissant et jeté aux chiens ?"

Trois silhouettes sortirent des ténèbres environnantes. Elles n'y étaient pas dissimulées : elles en naquirent. Kantz sentit la paume de sa main tatouée le démanger; le pentacle commença à palpiter en rougeoyant.
"À bientôt, chevalier ! Je t'étriperai un autre jour. Ou une autre nuit!
- Lâche ! Reste et combat !"
Mais Kantz n'interpellait déjà plus que le vide, tandis que les silhouettes approchaient. Elles avaient l'apparence de spadassins tout drapés et encapuchonnés de noir. Des masques aveugles, en cuivre, leur étaient rivetés sur la face, découpés de manière à ne laisser voir que le menton et une bouche maigre, crevassée, desséchée. Une bouche de cadavre.

Il croyait avoir souvent observé la mort en face. Il savait à présent qu'il s'était trompé. La Camarde est une maîtresse jalouse qui n'autorise qu'un regard. Un regard qui ne trompe pas.

Pour le chevalier, la prière n'était pas un moyen, et certes pas celui d'obtenir quoi que ce soit du Créateur ou de ses saints. Elle était une fin, l'expression d'une piété sincère et humble, un pèlerinage spirituel dont la destination compte moins que le voyage, ses rencontres et ses embûches.

Il entendit bientôt madame de Ludehn qui lui parlait depuis la pièce voisine.
"Veuillez me pardonner de vous faire attendre, Monsieur le Chevalier.
- Je vous en prie, Madame.
- Je suis à vous dans un instant. Mais vous savez que, lorsque l'on est une femme et coquette, l'on ne finit jamais de se préparer..."
Le chevalier ne sut quoi répondre. Une galanterie aurait certainement été d'à propos.
"Chevalier? fit la voix de la baronne.
- Oui, Madame?
- Je ne vous entendais plus.
- C'est que je ne disais rien, Madame."

Du gâteau?
Chandelle se découvrit soudain une faim de loup et oublia le reste .Le halo palpitant d'impatience , elle trépigna tandis que Katz sortait sans hâte un mouchoir de sa poche, le déployait sur la table et révélait la moitié d'un macaron particulièrement prometteur , doré à point et fleurant bon l'amande.