Leurs coeurs anorexiques se nourrissent de miettes.
Adèle peint des trompe-l'œil sur ses bleus à l'âme et s'invente des histoires à dormir debout. Mathilde se frotte la tête sur l'air du "même pas mal ", encore et encore, jusqu'à ce que la douleur devienne croûte, puis corne. De celles qui vous embrochent au détour d'un cauchemar. A bien des égards, ces deux-là sont sœurs. Des crâneuses à la peau tendre, de vraies championnes du bluff. Peut-être même Mathilde, il y a si longtemps que le souvenir lui échappe, a-t-elle été la jumelle d'Adèle.
L’air, saturé d’eau, charrie un pot-pourri dont les notes de tête mentholées lui écorchent les sens et affolent des souvenirs fragmentés. La vision de l’enquêtrice se trouble, son centre de gravité est aspiré dans la houle interne qui lui bringuebale l’estomac.
Les cœurs anorexiques se nourrissent de miettes.
La pression, c’est bien connu, est un phénomène qui s’exerce du haut vers le bas.
J'étais dans ma famille comme un voyageur dans un hôtel de longue escale, apprivoisant ses repères spatiaux, aimable avec le personnel, mais isolé des choses et des êtres par les ailleurs qui sont les semelles de sa vie, le sable de ses pensées.
Avec la conscience de ma différence s'est imposée la nécessité de paraître semblable.
En ce domaine, j'ai développé des compétences d'expert en close-up . Ce que j'étais incapable de produire de manière innée, je le fabriquais par mimétisme, avec cette touche créative qui tient du génie de l'illusion. Ainsi ai-je réussi à donner le change sans que cela me coûte d'effort. Avec le temps, j'y ai même pris du plaisir. Le jour, j'endossais les multiples rôles auxquels nous contraint le frottement avec ces autres dont j'avais pris le déguisement.
Les nuits étaient toutes miennes et j'étais à la nuit.
« Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »
Charles Baudelaire
Par les cirques, les crêtes et les moraines, en toute saison et par tous les temps, il cause, mais en dedans. il adresse des messages silencieux à la montagne. elle lui répond avec le seul langage qu'elle connaisse. fleurs, torrents, bêtes, nuages, rocs et brumes, voilà son vocabulaire, et la patience, sa grammaire. il range ses missive avec un soin amoureux dans la mémoire de son appareil photo.
— J’appelle Franck et…
— … Je peux l’accompagner, enfin… Si vous êtes d’accord, commandant.
Les yeux bleus de Muller ne sont que supplication. Le vieux flic laisse échapper un demi-sourire empreint d’amertume et d’un zeste d’envie. Il donnerait cher pour troquer la tension dans ses cervicales contre l’excitation et la montée d’adrénaline qu’il perçoit chez l’élément le plus inexpérimenté de son équipe.
— Eh bien, file ! Qu’est-ce que tu attends !
La volonté n’est pas un muscle que l’on contracte à l’envie.