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Citations sur On s'y fera (17)

Dans la cour, le lierre courait sur le mur, tout en bourgeons. De jeunes
pousses commençaient à sortir. Les arbustes élagués, courts et nets,
ressemblaient à de petits garçons un jour de rentrée des classes à l’école
primaire : cheveux coupés de frais, debout dans la file, attendant que le
surveillant donne l’ordre d’entrer en classe pour bourgeonner à leur tour
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Elle entra la première dans l’appartement qu’on ne
pouvait visiter sans lumière. La chambre à coucher n’avait pas d’ampoule. La
jeune femme attrapa la main de sa fille qui cherchait toujours à s’échapper. Elle
demanda à Arezou :
— Excusez-moi, à combien se monte le loyer ?
Elle n’avait encore rien regardé. Arezou s’approcha de la fenêtre du salon qui
donnait sur un puits de lumière central… sans lumière. Elle se rappela le sous-
sol de la maison de Tahmineh, ses briques, son bassin turquoise, sa grande
voûte, ses fenêtres qui, même au crépuscule, laissaient passer une lumière
diffuse. Elle entendit chuchoter le mari et sa femme dans la pénombre de la
chambre. Elle devinait leur conversation. « Comment pourra-t-on ? – On
économisera… – Un endroit moins cher… – Peut-être pourra-t-on obtenir
une réduction. »
Devant le mur en ciment du puits de lumière, Arezou s’imagina la fillette et
sa poupée. Dans ce mouchoir de poche, n’allait-elle pas étouffer ? « C’est tout
près de mon lieu de travail, avait dit la mère. » Le père, lui, travaillait sûrement
dans deux endroits différents. Il ne leur resterait probablement que le vendredi
pour emmener au parc la fillette et Grosse-tête. Puis la fillette grandirait. Aller
au parc avec papa maman finirait par la lasser. Au lieu de Grosse-tête qui ne
pouvait ni parler ni entendre, elle trouverait des amis qui, eux, sauraient. Il
faudrait à la jeune fille une fenêtre avec une plus belle vue, une maison plus
spacieuse, un endroit où, pendant la journée, il ne ferait pas nuit ; une maison
qui laisserait entrer la lumière, pas ce hall sombre et ces crottes de chien…
N’était-ce pas son droit ?
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Quelles nouvelles de cette chère Faezeh ?
Madame Metanati sourit sans desserrer les lèvres. Monsieur Metanati toussa.
Mah-Monir se précipita.
— Faezeh djan vit aux États-Unis. Elle est médecin.
Monsieur Metanati toussa un peu plus fort en se lançant dans de laborieuses
explications sur la spécialité médicale de sa fille. Arezou, qui avait toujours
aussi chaud, pensa : « Cette sotte de Faezeh pour qui je faisais tous les
problèmes de maths ! » Elle se souvint des propos de Sohrab : « Les gens ne
disent jamais la vérité sur deux choses : l’argent et la réussite de leurs enfants. »
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Sur la
photo, on distinguait une boutique par la fenêtre. Mais si floue que personne
n’eût été capable de reconnaître la boulangerie qui se trouvait de l’autre côté de
la rue. Elle était la seule à le savoir. Combien de fois n’avait-elle pas traversé la
rue en courant, par tous les temps, pour acheter la baguette du petit-déjeuner
ou du dîner ? La boulangerie était tenue par un jeune ménage originaire du
midi de la France. Ils venaient juste d’avoir un enfant. Le mari était debout
toutes les nuits pour cuire le pain et les gâteaux. Il dormait le jour pendant que
sa femme faisait tourner la boutique. Parfois, quand il n’y avait personne au
magasin, elle se confiait à Arezou :
— Le bébé n’a pas dormi de la nuit. Il ne m’a pas laissé une seconde de
répit.
— Va au moins faire une sieste après le déjeuner, lui conseillait Arezou.
— Et qui tiendra le magasin ?
— Eh bien, ton mari !…
— Mon mari ? Mais il n’a pas dormi de la nuit à cause de son travail.
— Eh bien, toi non plus ! S’occuper de son enfant, n’est-ce pas aussi du
travail ?
Elle regarda la photo. « L’enfant doit être grand maintenant. Comment
s’appelait-il déjà ? » Elle ne se souvenait plus. « Était-ce une fille ou un
garçon ? » Elle se souvenait seulement de la baguette dont elle croquait un
morceau en sortant de la boulangerie avant de rentrer chez elle en se disant :
« Quelle idiote, cette boulangère ! »
Elle regarda le bureau sur la photo. On ne le voyait qu’en partie. Mais elle se
souvenait très bien des livres, des carnets, du papier, du mug rempli de crayons
et de stylos. Le jour où elle avait pris cette photo, il pleuvait. Elle avait posé
l’appareil sur le bureau. Elle était allée vers Ayeh, lui avait demandé : « Qu’est-
ce que tu as dans la main ? » Ayeh avait ouvert la main : « Une chaussette de
papa, elle était là. » De son petit doigt elle lui avait montré le bureau.
« Ahhh ! » s’était écriée Arezou en prenant du bout des doigts la grosse
chaussette blanche toute sale et en la jetant par terre. Elle avait pris Ayeh dans
ses bras : « Ayeh va être en retard à l’école et maman à la fac. Si ton père
pouvait apprendre que la place d’une chaussette n’est pas sur le bureau ! »
Hamid changeait de chaussettes deux ou trois fois par jour. Une fois par
mois il rappelait à Arezou : « Ne lave pas les chaussettes à la machine, hein ?
Elles sont 100 % lin. Il faut les laver à la main. » Et Arezou lavait plus d’une
vingtaine de paires de chaussettes par semaine, à la main, au savon Le Chat, un
savon français qui ressemblait au savon iranien Ashtyani, avec cette différence
qu’il ne sentait pas mauvais.
Elle examina un coin du bureau. Combien d’années s’était-il écoulé entre
cette photo et le jour où elle avait tendu la main vers le bureau pour prendre
un stylo dans le mug et écrire sur un bout de papier « On s’en va ! » ? Elle avait
retiré son alliance, l’avait posée sur le papier, était sortie en tenant Ayeh d’une
main et sa valise de l’autre. Pendant tout le vol du retour vers l’Iran, elle n’avait
cessé de penser en pinçant les lèvres à la corbeille de linge sale pleine de
chaussettes 100 % lin. Elle regardait son doigt privé d’alliance en se disant :
« Quelle idiote j’ai été ! »
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Elle regarda autour d’elle, cherchant quelque chose à ajouter.
— Quelle belle cour !
C’était une cour pavée de briques avec un bassin hexagonal. La véranda était
soutenue par des colonnes à torsades. Les fenêtres du sous-sol étaient bordées
de céramiques. On eût dit une aquarelle. Dans la lumière pâle du couchant, les
portes donnant sur la véranda avaient pris une couleur crème. Elles étaient
ajourées de vitraux de couleur et munies de petits heurtoirs en forme de poing
fermé. Cette fois, Arezou dit du fond du cœur :
— Quelle belle maison !
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Un jour j’ai entendu ma mère dire à
Shirine que lorsque je suis née, papa faisait chambre à part pour ne pas être réveillé
par mes vagissements. Tous les matins, il se plaignait de ne pas avoir pu dormir. Un
jour, je le lui ai rappelé, avec mille précautions pour ne pas le froisser (pauvre
papounet, il est si sensible !) Il m’a répondu avec un regard si ingénu que j’en ai eu
le cœur tout ramolli : « Oui ! Il fallait que je me lève tôt pour aller à l’université. »
Je lui ai dit : « Bon ! Maman aussi devait se lever tôt pour aller à l’université. Mais
en plus, elle devait me conduire à l’école. » Papa m’a regardé comme si j’avais dit la
chose la plus incongrue : « C’était différent ! » Il y a un tas de gens qui ont la même
réaction. Quand ils critiquent quelqu’un d’autre ou qu’ils racontent des ragots à son
sujet, si on leur dit « Bien ! Mais toi aussi… », ils vous répondent en vous
regardant d’un air ahuri : « Oui, mais c’est différent ! » Cela ne vous est jamais
arrivé à vous aussi ?
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Il fit asseoir Arezou sur un des sièges de gauche. Lui-même et le frère de
Tahmineh allèrent s’asseoir au premier rang. L’amphi se remplissait
progressivement. Il n’y avait plus de place. Ceux qui arrivaient encore durent
s’asseoir sur les marches ou rester debout à la porte. Arezou jeta un regard
circulaire. Elle aperçut à côté d’elle la femme âgée à la tête de chat qui lui
souriait. On rangea les fleurs et les gâteaux sur la scène, derrière la longue table.
L’homme au costume crème s’y installa, face au public, tournant le dos aux
bouquets de fleurs et aux paquets de gâteaux. La foule était muette.
— Bonjour ! dit l’homme. Je m’appelle Behzad ; je suis un drogué.
Arezou crut avoir mal entendu.
— Bonjour Behzad ! répondit la foule.
« Il le dit comme ça, aussi facilement ? » Behzad parla de l’institut, de son
évolution, des mois et des années de lutte pour se sortir de la drogue, de tous
les anniversaires de sevrage et de toutes les renaissances qui suivraient. Arezou
se pencha vers la femme et dit tout bas :
— Vous aussi…
— N’aie pas honte, lui répondit-elle. Pose ta question. Oui, dit-elle en riant,
ma fille et moi.
Elle la lui montra, semblable à un petit chat. Debout à côté de la porte, elle
essayait de trouver des places, assises ou debout, pour les nouveaux arrivés.
— Moi, c’était l’opium. Ma fille, tout ce qu’elle trouvait, jusqu’à ce qu’elle
passe à l’héroïne. Au début, c’était le pied. Après, ce fut l’enfer. Maintenant, on
est guéries. Pour moi, ça fait un peu moins de deux ans. Ma fille, tout juste
deux.
On aurait dit qu’elle parlait de la fin d’un rhume.
— Ne t’inquiète pas, lui dit-elle en riant. Et toi ?
Arezou montra le premier rang. Le frère de Tahmineh baissait la tête comme
s’il cherchait à voir le bouton de son col de chemise.
— Ceux qui ont tenu jusqu’à trente jours, dit Behzad.
Des mains se levèrent dans la salle. Behzad fit signe à la première main.
— Je m’appelle Majid, je suis un drogué.
— Bonjour Majid, répondit la foule.
— Cela fait vingt-six jours que j’ai arrêté.
— Bravo ! applaudit la foule.
— Je m’appelle Naghmeh, dit la deuxième main. Je suis une droguée. J’ai
tenu trois mois.
Et ainsi de suite, la troisième, la quatrième, la cinquième main, Ali,
Shahram, Soudabeh, six mois, une année, trois ans, neuf ans. La foule saluait,
applaudissait. « Ayeh veut aller à Paris, songea Arezou, elle a ouvert un blog,
elle ne se confie pas à moi… » Elle regarda Sohrab qui écoutait les
témoignages. Le frère de Tahmineh regardait les fleurs. Il ressemblait à un petit
chat apeuré ne sachant pas si on l’appelle pour lui donner sa pâtée ou un coup
de pied. « Et si un jour, Ayeh… », songea Arezou. Les applaudissements, les
sifflets, les hourras et les bravos la firent bondir sur son siège. Un jeune garçon
de quinze ou seize ans était en train de souffler deux bougies sur un petit
gâteau. La femme âgée lui dit tout bas :
— C’est le plus jeune de nous tous. Il se shootait à l’héroïne depuis l’âge de
dix ans.
Arezou sentit qu’elle avait froid. Elle était sur le point de pleurer. Avait la
tête qui tournait. Elle regarda dans la direction de Sohrab qui se retourna
comme si quelqu’un l’avait appelé. Arezou prit un gâteau dans le paquet qu’on
lui tendait. Elle ne se souvint pas si elle avait remercié ou non.
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Mon vieux, cette écriture du persan, quelle
calamité ! Quand je veux écrire begand (disent)3 ça fait comme begand (crève) !
Quand je veux écrire bedan (donnent) ça fait comme badan (le corps)4. Maman et
tante Shirine pestent tout le temps contre les jeunes qui écrivent en persan familier.
Quelquefois, je me demande pourquoi nous faisons ça. Est-ce que c’est plus
familier ? Plus facile ? Ou bien peut-être parce que la génération d’avant écrivait
d’une façon si compliquée que nous ne comprenions rien à ce qu’ils voulaient dire
(crève toi-même) et qu’on se tuait à déchiffrer deux lignes, alors maintenant on les
emmerde. Maman dit : « La jeunesse de maintenant est totalement inculte. » Tante
Shirine lui répond : « Comment auraient-ils pu acquérir la moindre culture ? »
Qu’en pensez-vous ?
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L’autobus s’arrêta à la station suivante. La section des femmes se vida
presque : celles qui descendaient étaient pour la plupart de très jeunes filles
portant guimpe, blouse et pantalon. La place à côté d’Arezou se libéra. La mère
de l’enfant s’y assit.
— Jusqu’à la station de l’École infirmière, dit-elle, le bus est généralement
bondé. Quand toutes les petites infirmières seront descendues, on sera
tranquilles.
Elle ne fit aucun geste pour reprendre l’enfant qui regardait toujours Arezou
fixement. Il avait les deux joues gercées, de longs cils. Sa mère fourra tout son
barda sous ses jambes, rajusta son tchador en poussant un grand soupir.
— Merci mon Dieu ! s’exclama-t-elle en se tournant vers Arezou.
D’habitude, je monte toujours à la station École infirmière, mais là, je viens
d’aller chercher du sucre à la coopérative. Vous en avez pris aussi ?
Arezou resta un instant interdite. Elle ne savait au sujet des coupons de
vivres que ce qu’en disaient Naïm et Nosrat quand ils se disputaient sur la
denrée annoncée, la date ou le numéro d’ordre. Une femme au foulard brodé
de perles demanda à la mère de l’enfant :
— À quel numéro en sont-ils ?
— 642 et 643, répondit la grosse femme qui tenait la barre.
Le bébé se mit à geindre. Sa mère le reprit dans ses bras. Histoire de dire
quelque chose, Arezou lui demanda :
— C’est votre premier ?
Celle-ci ricana :
— Oh non ! Le quatrième.
Sans se gêner, elle ajouta :
— J’ai beau répéter à ce minus qu’il doit se faire stériliser, il ne veut rien
entendre. Il craint sans doute pour sa virilité !
— Pourquoi n’y vas-tu pas toi-même, dit Arezou à voix basse. Il y a un tas
d’endroits où on fait l’opération gratuitement, non ?
La femme remit dans la bouche du bébé la tétine qui était épinglée à sa
chemise.
— L’opération est gratuite, ma sœur, mais après, il faut rester huit ou dix
jours à l’hôpital. Qui va travailler pour payer les chaussures, les vêtements, les
livres et les cahiers d’école pour les enfants ? Sauf votre respect, leur maquereau
de père ?
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Arezou jeta un coup d’œil dans la cour. Tous les arbres avaient perdu leurs
feuilles, sauf le pin au milieu de la pelouse. Le jour où son père avait rapporté
le plançon qu’il avait planté là, Arezou l’avait arrosé avec son petit arrosoir. « Ta
mère adore les pins ! », lui avait-il dit. Puis il était tombé malade et il avait dû
s’aliter ; il regardait dans la cour par la fenêtre en disant : « Comme ce pin a
poussé ! Prends bien soin de ta mère. »
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