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Critique de AnnadeSandre


Francesco Pittau est un écrivain et un concepteur fertile. Très.
Sur son livret de famille sont répertoriés depuis une vingtaine d'années pas moins d'une centaine d'albums pour la jeunesse, des recueils de poésie (jeunesse et grandes personnes) et des nouvelles que l'on peut également lire sur son blog.
Son approche des chapelles éditoriales est relativement oecuménique, puisqu'il publie ses textes indifféremment aux éditions Gallimard, Albin Michel, Seuil, aux Grandes Personnes et aux Carnets du Dessert de Lune.
Imaginez le jour où l'INSEE recensera la population en comptabilisant les ouvrages des écrivains au même titre que leurs enfants : les enquêtes auront à ce moment-là une durée indéterminée, et ce sera de la faute de Francesco Pittau.
Rendez-vous compte que cet écrivain est un polygame de l'imagination. Ses différents imaginaires le fécondent à chacun des cycles ovulatoires de son lobe occipital et de son précuneus — de quoi rendre jaloux toutes les Harper Lee et tous les Jerome David Salinger du 6ème arrondissement de Paris. Quand on étudie une bibliographie, même très longue, on ne réalise pas très bien à quel point la prolificité peut parfois être délétère. Souvenons-nous pour illustrer ce propos de cette andouille britannique de Thomas Austin qui fit venir en Australie douze couples de lapins de Grande-Bretagne pour câlinourser un chouia son mal du pays : cinquante ans plus tard, 600 millions de ces grandes oreilles avaient envahi 60% du territoire. Autant vous dire que la France a peur...
Oui, Francesco Pittau est un tantinet énervant, car en plus d'avoir la vocation, il a le talent. Il excelle dans tous les genres jusques et y compris le genre romanesque. C'est d'ailleurs de son dernier roman dont il est question dans ce billet.
Le texte s'ouvre sur un samedi d'automne, au début des années soixante. Un Peau-Rouge tente de sauver son scalp en piquant un sprint sur le balatum d'une cuisine et pourtant, nous sommes plongés au coeur de l'intimité d'une famille d'immigrés italiens. Tête-Dure n'est pas celui que l'on pense ; Tête-Dure est le surnom du fils de la maison et quand la violence du quotidien le déborde, il s'évade en territoire indien avec ses personnages de plomb. Dès cette scène d'ouverture, le mode de fonctionnement de cet enfant de six ans va être démontré au moyen de son jeu de prédilection.



Tête-Dure est un petit garçon qui a déjà intégré les codes de la famille et de la classe sociale dans lesquelles il évolue : les dominants sont violents avec les dominés, et les dominés respectent cette règle de fer. le mari bat l'épouse, la mère bat l'enfant, le patron exploite l'ouvrier.
La conscience politique s'exprime au bistrot, se forme en écoutant la radio par bribes. L'ivresse à coups de Celta Pils permet de cracher la haine de ce système broyeur entre des hommes qui pensent garder un minimum de respect et de dignité dans leur virilité et leurs habits du dimanche. Les immigrés détestent leur pays d'accueil comme des rats pris au piège, leurs femmes se réfugient dans la religion et mettent leur fierté d'esclaves domestiques au service de leurs maris.



Le père est communiste et anticlérical, raciste, antisémite et paranoïaque. La mère est dévote et hystérique. Tête-Dure est un objet ballotté au gré des humeurs des adultes. C'est pourtant devant ses yeux d'enfant soumis que les scènes de ce récit égrènent des pépites de poésie également sonore. L'enfant observe le tout avec une acuité incroyable. Particulièrement auditif, il restitue les ambiances qui bruitent avec des onomatopées et des néologismes d'une musicalité intense. Et c'est là la force du style de Francesco Pittau dans ce roman qui éclaire deux journées pourtant sombres où la misère, la violence et la bêtise rompent la moindre molécule d'oxygène.
Au milieu des insultes, de la crasse, de la vindicte, des menaces et des coups, ça « clic-cliquette », ça « tiquetique » et ça « frtt-frtt » dans une rhapsodie chuchotante.
Quand le père, écrasé par la frustration et ses contradictions, fuit dans l'alcool, le jeu et ses rêves de rentes, la mère se recroqueville autour de son ventre et de ses vertus de femme pieuse et ménagère. Les voisins, les familles, les enfants, les chiens, tous sont assujettis, et quand quelqu'un croit tenir un bout de laisse, il en profite pour frapper celui dont le cou est dans le collier.



Francesco Pittau est un excellent conteur, un narrateur à l'empathie aiguë qui utilise aussi bien les multiples focales de la caméra d'un cinéaste amoureux de ses personnages, que les cinq sens des organes de la perception qu'il frotte habilement, telles les cordes d'un violoncelle.
Des copeaux de Mark Twain additionnés d'un zest d'Ettore Scola, le tout mijoté dans une marmite en peau de tambour.
Lien : http://anna-de-sandre.blogsp..
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