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Critique de tilly


tilly
30 décembre 2017
Pour commencer, deux comparaisons certainement discutables (les commentaires sont là pour ça, discuter), mais ça m'aide pour vous situer le genre de ce roman singulier : Brautigan, Harrison.
Richard pour l'écriture fragmentée, allusive, élusive. Jim pour les grands espaces, les mouches (pêche à la) sèches, les contes et légendes amérindiens.

Sauf que là on est plus au nord, et tout au bord des terres de l'est du Canada, à l'embouchure de la Ristigouche que les saumoneaux (les taqawans, en langue mi'gmaq ou micmac) remontent en quittant l'océan pour revenir au lieu exact de leur éclosion (trois ans plus tôt), et devenir à leur tour les acteurs de la survie de l'espèce.
Là aussi où vivent aujourd'hui dans une réserve quelques centaines de descendants Mi'gmaqs, pêcheurs-chasseurs amenés par la grande migration multi-millénaire des peuplades autochtones d'Amérique, venant du détroit de Béring.
Ristigouche, Gaspésie, sont les lieux, les noms, les sons, de Taqawan.

Juillet 1760. Louis XV a envoyé une petite flottille pour aider la Nouvelle-France et Montréal contre les Anglais. L'affrontement naval se déroule dans la baie des Chaleurs, à l'embouchure de la rivière Ristigouche. Les navires français piégés, se sabordent. Les soldats rescapés sont secourus par les Mi'gmacs, mais finissent par se rendre aux Anglais. Eric Plamondon a publié en 2013 une belle novella (Ristigouche) qui a cet épisode pour arrière-plan historique ; il n'y est pas question cette fois de saumon, mais de beluga échoué !

Juin 1981. le gouvernement de Québec envoie les forces de l'ordre dans la réserve Restigouche saisir les filets des Mi'gmaqs qui contreviennent soi disant à la règlementation sur la pêche au saumon (dans les faits, c'est le gouvernement fédéral, Ottawa, qui administre les réserves indiennes, le conflit est donc éminemment politique, les Mi'gmaqs en sont les fusibles). L'affrontement très inégal dégénère, nombreux blessés et arrestations parmi les Mi'gmaqs. Une deuxième descente a lieu quelques jours plus tard, aggravant la situation. le 25 juin 1981 dans une conférence de presse, René Levesque, premier ministre du Québec, reconnait que " l'image d'une grosse troupe qui crée un corps de débarquement, cela reste une décision, le moins qu'on puisse dire, discutable, ce qui a été fait. "

Je n'étais pas partie pour faire si long sur le contexte géo-politico-historique de Taqawan, j'aurais peut-être pas du... surtout ne pensez pas que Taqawan est un roman historique, ou politique, ou géographique ! Un peu quand même, mais pas que.
Pareil, je pourrais m'étaler sur les sonorités Plamondon, ce toune québécois si délicieux : le chiard, le choke, mon jeep, ma job, à soir, toé mon p'tit crisse, etc.. Mais vous iriez croire que Taqawan est un roman de terroir ! Un peu, mais pas que.

On a l'habitude si on a déjà lu Plamondon (Trilogie 1984, 2013) de son tour-de-main très personnel pour évoquer une époque : rapprocher des événements authentiques épars, des données factuelles d'importance inégale, apparemment sans lien avec le thème principal ; faire de brefs allers et retours dans le temps et l'espace ; consacrer chaque fois un court chapitre standalone à ces mini-histoires, pour créer au final une mosaïque subtilement évocatrice, une sorte de mind-map littéraire, de lecture heuristique.
C'est moins marqué ici que dans la Trilogie, mais quand même... Cela sert aussi à accentuer la dramaturgie, à illustrer le décalage entre points de vue. Ainsi quand Céline Dion interprète à la télé le 19 juin 1981 une chanson écrite par sa maman ; elle a 11 ans : “ [...] pendant que quelques milliers de québécois regardent Céline à la télé pour la première fois, des centaines d'Amérindiens fortifient les barricades autour de la réserve Restigouche en prévision d'une seconde descente. ”
Un peu plus loin, le pourquoi d'un superbe texte sur la recherche du droit-fil dans un tissu est moins évident... sauf qu'à la fin se révèle in extremis la métaphore de la quête de justice. Il y fait aussi le lien, via la description d'une machine à coudre, avec Mayonnaise (Trilogie 1984, 2, 2013) où l'on apprenait tout sur l'invention qui fit la fortune d'Isaac Singer et naître une des premières multinationales de l'histoire moderne. C'est ça la manière Plamondon.

Dans Taqawan, il y a moins d'histoires de progrès technologiques que dans la Trilogie 1984. C'est beaucoup plus organique, biologique, animal, naturel. Les paysages, la rivière, les bêtes que l'on pêche, celles que l'on chasse, les histoires chamaniques que l'on raconte encore, d'initiations, de totems, de rêves prémonitoires.

Une autre chose change significativement par rapport aux précédents livres de Plamondon : l'importance donnée à l'intrigue romanesque, au moins à égalité si ce n'est plus, avec la toile de fond sociale et historique.
Il est temps que je le dise : Taqawan est un roman d'action, un roman noir, presque un polar, sous des allures de western eastern moderne ! Avec une victime (une jeune fille Mi'gmaq violentée et re-violentée), un affreux traître, et un trio de justiciers aussi dissemblables que déterminés. le final n'a rien a envier en violence angoissante à Délivrance de Dickey/Boorman (un chapitre intitulé Némésis dans Taqawan).

200 pages intenses, indispensables.
#jesuisristigouche !
Lien : http://tillybayardrichard.ty..
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