Une chose correspond à l'autre : la dépolitisation notoire du Mexicain s'accorde pleinement avec son évidente amoralité, avec l'irrémédiable flemme qu'il éprouve à la simple idée de s'indigner face à n'importe quelle forme d'injustice. Dépolitiser, ce n'est pas seulement convaincre tous les citoyens de l'inutilité de s'intéresser aux affaires publiques, du caractère inexorable des décisions, excluant d’emblée toute intervention de la volonté collective. Dépolitiser, c’est aussi priver une société de repères moraux, de sa capacité d’indignation. C’est anéantir la vie morale comme affaire de tous en la ramenant à un niveau individuel : c’est donc la mort de la morale sociale et l’incitation à la moralité petite-bourgeoise, fondée sur le besoin d’interdire, et jamais, comme dans le cas de la véritable morale, sur la capacité de choisir.
Carlos Monsivais, La culture en Mexico, 17 avril 1968
Voici l’écho du cri de ceux qui sont morts et le cri de ceux qui sont restés. Voici leur indignation et leur protestation. C’est le cri muet qui est resté coincé dans des milliers de gorges, dans des milliers d’yeux exorbités d’effroi le 2 octobre 1968, la nuit de Tlatelolco.
« Éstos son los agitadores : ignorancia, hambre y miseria » (Voilà les agitateurs : ignorance, faim et misère)
« Tout ça c'est la faute de la mini-jupe » (Leopoldo, employé de la poste)
« Al hombre no se le domina, se le educa » (on ne domine pas l'homme, on l'éduque)
La démission du recteur est un acte de civisme seulement comparable à celui d’Octavio Paz renoncera quelques semaines plus tard à son poste d’ambassadeur du Mexique en Inde parce qu’il ne pouvait pas représenter un gouvernement qui assassine son peuple.
Il n’y avait pas d’armes au CNH, personne n’espérait d’insurrection armée ni de rébellion.