Waouh ! Quelle claque !
Ecrit au présent, les mots de Manon s'écoutent comme une histoire qui se raconte, là, maintenant. C'est dynamique, prenant, dérangeant, d'un réalisme cru et épuré. Les mots sont percutants et le récit interpelle. On ne peut sortir indemne de cette lecture.
Manon côtoie les siens. Les siens ? Son frère, sa soeur, son père. La mère est dans le coma suite à un accident. Ils sont là, présents, confrontés à un douloureux évènement. Les coeurs à vifs, ils vont exprimer leurs griefs, leurs jalousies, chacun luttant pour s'extirper de l'enfance que la situation rappelle. Chacun se heurte et s'affronte, éprouvé par sa propre vie, ses expériences, son histoire au sein de la fratrie et ses relations avec leur mère. La situation est complexe suscitant, colère, chagrin et désarroi. Quelle décision prendre face à cette vie dans la mort qui laisse le corps de leur mère vide de son essence ?
« Ce n'est pas un meuble, des fringues dont on se débarrasse. Tu as toujours été comme ça, à vouloir faire l'ordre par le vide. Une poupée au bras cassé, une tasse ébréchée … Tu passes tout à la poubelle. »
Manon est lucide, ose et exprime l'inacceptable. Les sentiments s'opposent : ce que l'on sait juste, ce que l'on refuse, ce que l'affect rend impossible.
« Ce qui en train de se jouer là dépasse la situation de maman. Il n'est pas seulement question d'euthanasie mais bien du lien que chacun d'entre nous entretient avec elle. Il est question d'être encore un enfant, une bonne fille, un bon fils. Et qu'est-ce que ça veut bien pouvoir dire, être une bonne fille ? »
Ce corps, ce fardeau n'est plus leur mère. C'est un choc. La description est brute, nette, sans fioriture. Les mots n'enrobent pas, ne cachent pas. Les limites du corps médical, régi par des lois économiques déshumanisantes, sont évoquées : la patiente « n'entre pas dans les cases » ! La neurologie : non. le long séjour : non. Il y a un coût, une rentabilité. Ce sera le domicile. La famille, seule face à son désarroi. Sans cadre.
Les langues se délient. Cette mère, qui était-elle vraiment ? Quels étaient ses désirs, ses choix ? Qu'aurait-elle souhaité ?
D'une franchise déconcertante, Manon déculpabilise face à la mort, face à la maternité – la sienne, celle de sa mère - Elle est une femme, une fille, une soeur, une mère, une épouse et nous révèle ses limites. Elle va grandir, murir et s'émanciper de cette famille qui demeurait, malgré son éloignement, un poids.
« Personne ne m'avait prévenue qu'une fois adulte, il ne me resterait plus qu'un champ restreint où je ne ferais que me débattre, un mince goulet d'oxygène entre boulot, loyer ou prêt, couple et enfant. Et voilà que se profile aussi la mort de ma mère ? Une mort que, peut-être, il me faudra décider de précipiter ? Non, vraiment, je préfèrerais me tirer. »
Charlotte Pons signe un premier roman absolument exceptionnel. Les rapports humains sont disséqués et analysés avec justesse et finesse. Ni plaidoyer, ni jugement, juste une description des faits et des rouages de l'esprit. Une exploration des relations familiales et de la souffrance.
Lien :
http://aufildeslivresblogetc..