Je me suis réveillé vers midi et j'ai su d'emblée - à mon regard figé dans la contemplation du plafond, à la lourdeur de mes jambes, à la confusion de mes pensées - que ce serait une de ces journées qu'on habite comme un corps sans tête. Journées sans matinée ni lendemain, journées qui s'achèvent avant qu'on ait eu le temps d'en prendre possession, journées qui ressemblent trop à l'image que, parfois, je me faisais de ma propre vie.
Mon père aimait à répéter ce slogan d’un penseur qu’il avait vu passer à la télévision : « Communiquer n’est rien, c’est transmettre qui est important. » Plus d’une fois, il avait prétendu m’expliquer que mon problème, et de manière plus générale le problème des sociétés modernes, était d’avoir remplacé la transmission par la communication. Je vivais dans l’ingratitude, dans l’instant, dans le bavardage, alors qu’une vie devait se construire dans l’écoute, la durée, la fidélité. Je le laissais émettre ses opinions. Je vivais ma vie.
Je n'ai jamais ouvert une bible mais quand on m'en cite un extrait, je sens tout de suite d'où ça vient - comme quand je passe devant une poissonnerie. Ça doit tenir à la façon dont c'est écrit, au rythme, aux images qu'on n'est pas sûr de bien comprendre.
J'ai demandé à mon père qu'on le remette à l'eau. En riant, il a saisi le poisson par la queue et lui a fracassé la tête sur un rocher. J'ai levé les yeux vers lui, j'ai souri et j'ai serré sa main, très fort.
La nuit dernière, au bord du sommeil, j'ai pensé qu'il était peut-être là, le début, ou plutôt qu'il n'y a pas de début parce que je n'ai jamais fait que répéter le même choix, vivre et revivre la même situation, le même instant où je découvre que mon père n'est pas bon mais que je veux pourtant rester son enfant.