Citations sur L'ascendant (14)
Je suis monté me coucher. J'ai pris deux comprimés. C'était devenu une habitude.
Juste avant de m'endormir j'ai vu ce qu'il y avait à l'intérieur de ma tête : un oeuf. Cet oeuf contenait le sommeil. Je savais qu'il suffisait de le casser, comme pour préparer une omelette, et aussitôt le sommeil s'écoulerait, se répandrait partout dans mon cerveau.
"La plupart des hommes perdaient leur temps à élaborer des fantaisies, des illusions qu'ils essayaient de faire accroire aux autres, et ils mouraient après avoir fait semblant de vivre"
Cet homme que j'avais cru si bien connaître, par coeur et même jusqu'à l'écoeurement, comme ces chocolats industriels dont on imagine avant même de les avoir croqués la consistance collante et crémeuse, cet homme était devenu une énigme. Tout était flou, susceptible d'interprétations multiples et contradictoires, tout baignait dans le clair-obscur d'une cave éclairée par la flamme d'une bougie.
Je vivais dans l'ingratitude, dans l'instant, dans le bavardage, alors qu'une vie devait se construire dans l'écoute, la durée, la fidélité. Je le laissais émettre ses opinions. Je vivais ma vie.
Et voilà que mort il m'imposait de vivre la sienne.
Pour la première fois je prenais conscience de l'importance que j'avais eue, peut-être, dans la vie de mon père. Je n'avais imaginé qu'il pouvait avoir besoin de moi; sans doute est-ce une chose que tout enfant a du mal à concevoir. Si je m'étais comporté autrement, si j'étais resté auprès de lui, si seulement j'étais venu le voir plus souvent, y aurait-il eu la cage ? Absurde. Ils étaient nombreux les hommes seuls, veufs, les vieillards brouillés avec leurs enfants : ils prenaient un chien.
Le même instant où je découvre que mon père n'est pas bon mais que je veux rester son enfant.
"Communiquer n'est rien, c'est transmettre qui est important". Plus d'une fois, il avait prétendu m'expliquer que mon problème, et de manière plus générale le problème des sociétés modernes, était d'avoir remplacé la transmission par la communication. Je vivais dans l'ingratitude, dans l'instant, dans le bavardage, alors qu'une vie devait se construire dans l'écoute, la durée, la fidélité.
C’était là, je crois, que je me sentais le plus à l’aise. Ailleurs, où que je me trouve, quoi que je fasse, mes pensées me ramenaient toujours vers la cave, comme sous l’effet d’une gravitation mentale. Mais dans la cave, je ne sentais plus l’attraction de la cave. Dans la cave je n’avais plus besoin de penser.
J'ai écarté les bras en signe d'impuissance. J'aurais pu pourtant prévenir immédiatement la police. Il était encore temps de faire cesser la situation - terme commode, discret, sur lequel je m'appuyais pour désigner le crime dont je commençais à devenir coupable.
... _ les yeux de mon père. Ses yeux verts qui viraient au jaune à la lumière du soleil. La fixité, l'attention de ce regard où il n'y avait pas de place pour ce que mon père appelait "des sensibleries" ; un regard clair, aigu, face auquel je m'étais toujours senti transparent.