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« Ils sont là, le chétif et l'inanimé, et la pluie glisse et s'épand sur le vide du grand pré. Ils se tiennent là, abandonnés l'un à l'autre, corps transis sous cet arbre effeuillé. Ils se sont affaissés sans points cardinaux et sans force et Jean-Claude respire à peine, par saccades, les yeux fous sous ses paupières qui frémissent. Une ligne à haute tension les enjambe avec ses bottes de sept lieues et poursuit sa trajectoire égoïste pendant que la pluie ruisselle que les joues de Jean-Luc et sur ses phalanges tatouées jusqu'à en diluer le bleu, en emporter les lettres comme des alevins qu'un courant éparpille, et les voilà seuls, gisant sur ce bord de route alors qu'il est bien tard, et le paysage les engloutit peu à peu. » Avec sa palette expressionniste, un choix de mots et d'images savamment fondus les uns aux autres, un rythme de prose alternant séquences longues (comme ici) et phrases très courtes, Laurence Potte-Bonneville nous offre un premier roman d'atmosphère, émouvant et parfaitement maîtrisé.
Jean-Luc et Jean-Claude, dont les noms donnent son titre au livre, sont deux gentils paumés, des Laurel et Hardy un peu félés, résidents sous tutelle d'une institution spécialisée, des caractériels habituellement inoffensifs, mais qui peuvent devenir méchants quand ils sont contrariés. le jeudi est leur jour de sortie, et nous les rencontrons au café du village où ils consomment un soda et un chocolat chaud en discutant avec la tenancière, évoquant la passion qu'éprouve Jean-Claude pour les phoques, son désir de pouvoir un jour nager avec eux. Et Jean-Luc, le gringalet, de veiller sur Jean-Claude, son ami corpulent, lui rappelant la menace de son diabète… Rien donc de très inquiétant dans ce début. Mais, ce jour-là, quand ils arrivent au café, un jeune homme blond est déjà dans la salle, un inconnu, étranger au bourg, avec qui, bientôt, ils nouent conversation. La patronne, cependant, interdit à Jean-Claude de jouer à la loterie, et les deux compères, furieux, quittent le café. Mais leur nouvel ami, les prenant en pitié en les croisant sur la route, les fait monter dans sa voiture. C'est le commencement d'une cavale, au cours de laquelle, et tandis qu'on se mobilise pour les retrouver, ils rencontreront les clients interloqués d'un Intermarché, un ramasseur de champignon, gardien passionné de la faune et de la flore menacées dans ce coin de la baie de Somme, une classe d'élèves presque trop vivants, une dame phoque farouche mais attendrie… Ce court roman se lit comme un conte, avec une part de merveilleux pourtant plausible, nous invitant sans mièvrerie, mais avec une vraie force poétique, à reconnaître en nous notre face sauvage, pour mieux réapprendre à communiquer avec la nature. Et cette injonction-là, on peut bien encore l'écouter, non ?
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Un premier roman assez singulier, la langue est belle mais le récit pas toujours facile à suivre. On saute brutalement d'un personnage à l'autre et on ne sait pas toujours qui parle ni de quoi on parle, parfois le propos lui-même est plus vague et on ne sait pas trop où on nous emmène. Cela fait certainement partie du style du roman, mais cela peut parfois entraver un peu la lecture.
Au-delà des personnages peu communs, le récit lui-même l'est aussi d'une certaine manière. On croise la route d'un garçon un peu paumé et un peu fauché, on suit la fugue involontaire de deux résidents d'un foyer, on partage les pensées d'une phoque déboussolée par une tempête et de bien d'autres personnages qui déboulent dans le récit à un moment ou à un autre.
Le roman permet d'aborder le sujet du handicap, assez peu présent en littérature, et de délivrer un message écologique mais à sa façon, sans didactisme et avec fantaisie. C'est beau, c'est drôle, c'est émouvant, c'est réussi.
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Ce #premierroman décrit avec une immense sensibilité une journée particulière dans la vie de deux amis, qui, sur une impulsion  vont faire un pas de côté dans leur vie bien réglée d'adultes placés en foyer. Jean-Luc et Jean-Claude  prennent soin l'un de l'autre et lorsqu'ils vont au bistrot du village comme chaque jeudi, ils ont prévu ensemble la consommation sans alcool qu'ils vont prendre. Ils n'avaient pas prévu la présence d'un jeune homme très blond qui les intrigue, dès qu'ils apprennent qu'il est d'Abbeville, ils n'ont plus envie de le quitter. Il a une voiture,  il va les emmener, puisque la patronne ne les autorise pas à jouer au loto, ils iront jusqu'à la ville. Et les voilà partis pour un road trip tragi-comique où ils vont se retrouver seuls loin de leur foyer, livrés à eux-même, les phoques de la baie ( la passion de Jean-Claude) en ligne de mire... Évidemment en fin d'après-midi à l'heure où ils auraient dû rentrer, au foyer, c'est la panique...

Ils sont terriblement touchants ces gars fragiles et vulnérables qui courent après leurs rêves avec une naïveté inquiétante.
L'écriture de l'autrice douce, fine et vibrante d'humanité les enrobe de tendresse tout en décrivant avec une acuité précise et juste les rencontres qu'ils vont faire et les réflexions de la directrice du foyer. L'humour n'est jamais loin, les dialogues sont très vivants, l'histoire inédite...

Il émane de ce roman original un charme fou !
Une sélection des 68 Premieres Fois 2023
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Un premier roman singulier, avec plusieurs thèmes notamment le handicap, l'écologie, le savoir-vivre avec les autres. C'est court certes, mais on a envie que Jean-Luc et Jean-Claude s'en sortent, qu'ils réalisent leurs rêves. Tous les personnages ont une vie, un quotidien, qui va croiser celui des 2 héros, et à leur manière les aider, les sauver.
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Jean-Luc et Jean-Claude sont tous deux pensionnaires d'un foyer pour personnes vulnérables, sous curatelle, ou du moins qui se sont révélées incapables de vivre seules.
Mais aujourd'hui, c'est jeudi, et le jeudi, Jean-Luc et Jean-Claude ont l'habitude d'aller au café du village. Cette sortie est leur respiration, leur bol d'air, de liberté. Oh bien sûr il faut respecter un certain nombre de règles pour ne pas paniquer, ne pas sombrer, pour vivre tout simplement.
Et ce n'est pas toujours facile. Mais aujourd'hui c'est un peu la fête, Jean-Luc dans sa doudoune blanche immaculée et Jean-Claude avec ces prix arrondis à neuf cent quatre-vingt dix neuf, forcément, veulent acheter un billet de loto. Mais Jacqueline est inflexible, elle n'a pas le droit de leur vendre de billet. Qu'à cela ne tienne, et s'ils allaient tout simplement à la ville voisine.
Dans ce café de village, il y a Florent, il s'est arrêté là sans doute par hasard, voyageur fauché et déprimé il rencontre ces deux-là et va au devant de quelques surprises.
Au fil des pages, le lecteur rencontre de nombreux autres personnages, dont une mystérieuse narratrice que le comportement de ces deux hommes interpelle...
C'est un court voyage du côté d'Abbeville et des plages su lesquelles quelques phoques font le bonheur des touristes que nous propose l'autrice, mais surtout du côté de ces personnes faibles et naïves à qui il pourrait arriver des problèmes s'ils croisent la route de gens mal-intentionnés. Petit voyage en absurdie aussi, dans ces scènes de vie où la logique et la raison n'ont aucune place, mais où personne ne veut faire de mal à personne.

https://domiclire.wordpress.com/2023/09/13/jean-luc-et-jean-claude-laurence-potte-bonneville/
Lien : https://domiclire.wordpress...
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Voici un premier roman dégoulinant d'humanité et de bons sentiments.

Deux hommes atypiques, l'un protecteur l'autre perdu parfois dans son monde. Ils sont liés par la plus belle des amitiés, celle qui ne demande rien en retour. le jeudi est leur journée rituelle où la liberté est à portée de mains. Une balade, un café et une boisson (sans alcool) commandé. Pas trop de sucres surtout, c'est important. Mais ce jeudi ne sera pas comme les autres.


Ce jeune homme qui vient d'Abbeville. La tempête qui a secoué le coin, ses phoques un peu déstabilisés et la gérante qui ne veut pas lui laisser faire son loto. Définitivement ce jeudi est hors norme. Jusqu'à quel point ?


Laurence Potte-Bonneville signe un premier roman où les émotions sont omniprésentes. La colère, la peine, la tristesse, l'espoir, la peur et le bonheur ancrent le récit dans une réalité surprenante. Elle aborde le handicap avec un oeil scrutateur et décortique ces petits éléments, qui pour la plupart des personnes ne signifient rien, mais qui pour certains ont une importance cruciale. C'est un roman osé. Oui car parler de handicap et immerger le lecteur dans le processus de pensées, il faut un certain courage et audace. Mais à mes yeux c'est ce qui le rend magnifique. Cette humanité qui dégouline ici et là. Cet humour et cet amour, surtout et d'une certaine manière, pur, qui existe tout simplement parce qu'il ne peut en être autrement.


C'est juste l'histoire de deux types embringués dans l'histoire de leurs vies et qui n'ont pas eu de chance à la loterie de la vie. Mais peu importe car le bonheur est dans les choses simples comme prendre une boisson tous les jeudis et parfois expérimenter une escapade insolite.


Le seul bémol et que j'ai eu du mal à identifier les protagonistes ou peut-être étais-je tout simplement pas assez concentrée. J'ai refermé ce court roman les larmes aux yeux, émue au plus haut point.
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« Jean-Luc et Jean-Claude » est une histoire d'amitié entre de quinquagénaires, l'un en curatelle, l'autre en tutelle qui décident un jour de trouver un PMU qui validera leur ticket de loto ; cela signifie ne pas rentrer au foyer qui les héberge, partir à l'aventure dans un monde autre que celui où ils ont leurs habitudes, se faire conduire par un chauffeur inconnu, découvrir les plages, les sorties scolaires et les phoques ; à leurs yeux candides, cette vie qu'ils ignorent est souvent étonnante, parfois hostile, en tous cas bien plus exaltante que leur routine étriquée et sans surprises.

Dans ce road movie lyrique et sensible, sans la moindre once ni de pathos, ni de bons sentiments, l'écriture fluide et réaliste se met au service de personnages touchants, fragilisés physiquement ou mentalement ou les deux.

Comment ne pas penser aux tandems d'amitiés célèbres que sont Bouvard et Pécuchet, Lennie Small et George Milton, Estragon et Vladimir... Quelles belles références, quel plaisir de lire ce beau premier roman !

https://68premieresfois.wordpress.com/
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Un premier roman réussi, parce que la voix, le style sont singuliers. La narration s'organise autour de Jean-Luc et Jean-Claude, deux hommes handicapés en sortie. Ces deux-là croisent plusieurs personnes, dont un jeune homme blond, et la vie de tous se trouve perturbée. J'ai beaucoup aimé les comparaisons originales de l'autrice pour saisir les sensations et les situations au plus près, et me suis attachée aux personnages, y compris et surtout le dernier - ou plutôt la dernière - qui apparaît. Merci à @68premieresfois pour cette découverte.
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L'un est sous curatelle, l'autre sous tutelle, ils vivent dans un foyer.
On les retrouve dans un café, ils ne sont pas en fuite , c'est leur "permission" du jeudi.
Ce duo d'anti-héros de notre époque rencontre un jeune homme qui, sans le vouloir, va les perturber dans leur quotidien bien cadré, les entrainant dans une fuite non programmée.
C'est une jolie histoire, tendre , un peu burlesque , qui a le mérite de pointer la difficulté d'être " différents ".
Le tout dans le décor tempétueux de la baie de Somme, avec ses phoques et ses marées.
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❝J'ai une fois de plus la confirmation qu'il ne sert à rien de commencer sa journée en essayant d'imaginer ce qui va se passer.❞
Jonas Jonasson, le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire

❝Les fissures dans cette histoire n'attendaient qu'une secousse pour s'élargir, un frisson du dehors, la peau d'un autre gars, et finir par tout disloquer.❞

Les premières pages de l'excellent premier roman de Laurence Potte-Bonneville vous dérouteront peut-être comme elles m'ont déroutée. Ne vous laissez pas impressionner : Jean-Luc et Jean-Claude est comme ses personnages, qui refusent un jour de rentrer sagement au foyer et prennent la tangente : loufoque, imprévisible et attachant.

Jean-Luc et Jean-Claude sont pensionnaires des Glycines, un établissement sis dans un bourg non loin d'Abbeville et de la baie de Somme. le premier sous tutelle, le second sous curatelle, les deux sont de grands enfants un peu naïfs en déphasage avec le monde qui les entoure. Ces ❝deux gosses d'une cinquantaine de balais❞ aussi peu assortis que l'étaient Laurel et Hardy en leur temps ont une vie réglée comme du papier à musique. Ils ne sauraient déroger à leur habitude d'aller chaque jeudi au bistrot tenu par Jacqueline prendre un chocolat chaud pour Jean-Luc, alcoolique repenti, et un Orangina Light pour Jean-Claude, diabétique à surveiller.

❝Ils sont deux à rentrer, un petit mec engoncé dans une doudoune blanche on ne voit que ça et ses oreilles décollées, qui va s'asseoir au bar pendant que l'autre, un balèze, reste debout. Un ours et un rat entrent dans un bistrot, le début d'une bonne vanne.❞

Le début d'une bonne vanne ? Qui sait ? Sûrement le début d'un bon roman dont on ne sait où il va nous mener. Pour plagier Jonas Jonasson, il ne sert à rien de commencer cette lecture en essayant d'imaginer ce qui va se passer, car ce récit, ouvert au vent de tous les possibles, va de surprise en surprise dès lors que la routine de Jean-Luc et Jean-Claude, faite de petits riens prédictibles et rassurants, se trouve contrariée. Tous deux se révèlent incapables de faire face et de réagir de manière appropriée. Ils évoluent chaque jour sous l'oeil attentif de personnes qui, au foyer comme ailleurs, veillent sur eux. C'est parce qu'elle veille sur eux que Jacqueline refuse de leur vendre la grille de loto qu'ils réclament, car ❝Les jeux c'est pas possible. C'est pas permis❞ et c'est parce qu'elle la leur refuse que Jean-Luc et Jean-Claude quittent le bar et sortent dans la pluie, le vent et le froid — une vigilance orange est en cours — pour se mettre en quête d'un commerce plus conciliant qui accepterait de prendre leur pari. Florent, jeune blondinet maigrelet venu là pour sa pause sandwich, est comme eux, solitaire un peu perdu, sur un fil. Est-ce par gentillesse ? par pitié ? toujours est-il qu'il accepte de les conduire jusqu'à la ville voisine à bord de sa petite voiture bleu foncé aux essuie-glaces paresseux et à la portière éraflée, sur laquelle plastronne un autocollant ❝J'ai la forme maintenant. Demandez-moi comment.❞ qui prête à sourire.

Mais voilà que la situation dérape et les routes des trois hommes se séparent sur le parking d'un Intermarché. Nos deux compères se retrouvent livrés à eux-mêmes. Peut alors commencer un road movie impromptu et cocasse dans lequel Laurence Potte-Bonneville excelle à donner une atmosphère uniquement par la présence du paysage en ce jour où il fait

❝un temps à ne pas mettre un chien dehors, si chargé d'humidité que les couleurs de fin d'hiver se diluent en longues traînées vineuses le long des écorces ou dans le flou sépia des bosquets encore nus. […]
Entre deux rafales, les prairies et les talus saturés de pluie reprennent leur souffle et se préparent au prochain assaut, et puis le vent revient ébouriffer sans ménagement les plaques d'herbe rescapées de l'hiver et les fourrés de ronces engourdies. Il insiste, il veut mordre, et la campagne éreintée fait le dos rond quand il cingle son pelage hirsute.❞

Ce mauvais temps n'est qu'un aléa de plus car, pour Jean-Luc et Jean-Claude, l'ailleurs n'a besoin d'être ni éloigné ni battu par les vents pour être périlleux. La vigilance orange n'est pas que météorologique. Croyez-moi, voir Jean-Luc traverser un rond-point suffirait à donner des sueurs froides à n'importe qui. Cette échappée dans le ❝chaos liquide❞ révèle leur fragilité et leur inadaptation au monde au-delà des chambres grises du foyer. Jean-Claude est le premier à s'en inquiéter :

❝Jean-Luc, faut qu'on rentre. Jean-Luc, je suis fatigué.❞

L'inquiétude gagne aussi la directrice qui ne les voyant pas revenir est obligée de prévenir la gendarmerie et les autorités de tutelle, d'ouvrir une fiche d'événement indésirable alors que c'est précisément un événement désirable qui pousse les deux compères à partir à l'aventure ❝Faire les andouilles, faire les sauvages❞ et réaliser enfin leur rêve d'aller voir les phoques à la pointe du Hourdel.

❝Aller voir les phoques, les voir nager, souffler l'eau par leurs narines étranges, les regarder disparaître dans les vagues, s'étonner de leurs longues moustaches et de leurs nageoires comme des pieds, s'imaginer jouer avec eux, parmi eux dans l'écume, on ne se noierait pas, capter leur doux regard indifférent, s'allonger sur les rochers, le long de leurs flancs criblés de sable, et reprendre son souffle, s'ébrouer ensemble. Faire les andouilles, faire les sauvages.
Aller voir les animaux, les rejoindre, être rejoint par eux, en avoir encore un peu peur et intercepter une lumière d'eau dans leurs prunelles, rouler dans les mêmes vagues, on ne se noierait jamais, patauger dans la même boue, ondoyer parmi eux, se couler, frissonner avec eux, partager le harcèlement des mouches, se laisser parcourir par le long tremblement d'un muscle.
Se plonger dans leur odeur si puissante, caresser leurs peaux épaisses et étanches, devenir nage, devenir galop, se fondre parmi les animaux, s'accrocher à leurs flancs, à leurs crinières, ne plus jamais les lâcher et faire corps avec eux, frotter le front contre leurs crins, se couler dans leurs bancs, s'étourdir dans leur flot, les aimer si fort, s'oublier dans leur troupeau et ne plus penser qu'au grondement de leur course, se rouler comme une andouille, comme un sauvage.
Se dissoudre.❞

Le temps s'écoule, lent ; la pluie enveloppe tout de son ❝drap froid❞ que déchirent des rencontres plus ou moins probables. Nos deux fugitifs rencontreront aussi bien une femme peu amène qu'un ramasseur de morilles plein de sollicitude, les deux compères étant sa seule cueillette du jour car pour les morilles, c'est encore trop tôt :

❝Ils sont là, le chétif et l'inanimé, et la pluie glisse et s'épand sur le vide du grand pré. Ils se tiennent là, abandonnés l'un à l'autre, corps transis sous cet arbre effeuillé. Ils se sont affaissés sans points cardinaux et sans force et Jean-Claude respire à peine, par saccades, les yeux fous sous ses paupières qui frémissent. Une ligne à haute tension les enjambe avec ses bottes de sept lieues et poursuit sa trajectoire égoïste pendant que la pluie ruisselle que les joues de Jean-Luc et sur ses phalanges tatouées jusqu'à en diluer le bleu, en emporter les lettres comme des alevins qu'un courant éparpille, et les voilà seuls, gisant sur ce bord de route alors qu'il est bien tard, et le paysage les engloutit peu à peu.❞

Des élèves en sortie pédagogique et une phoque pleine de larmes croiseront aussi leur chemin. Quant à Florent après les avoir laissés derrière lui, il a pris en stop une jeune fille qui venait de rater son car et pour laquelle il a accepté de faire un détour jusqu'à Villers-la-Côte alors même que sa jauge d'essence n'est pas en forme et qu'il n'a plus un sou vaillant en poche. Ils parcourront ensemble quelques kilomètres le temps de partager une paire d'écouteurs et quelques chansons.

Laurence Potte-Bonneville a l'art de donner chair à tous les personnages, principaux comme secondaires, bancals ou non, par petites touches, sans trop en dire ; de leur donner la parole dans des dialogues si bien écrits qu'ils paraissent ne pas l'être, écrits. Au lecteur d'apprendre à faire sans, sans aucune description approfondie de ces rencontres de hasard, de la complicité éphémère qui en naît le temps de poser un autre regard sur d'autres personnages en plus de bousculer la trajectoire du récit sans qu'il ne se passe grand-chose ni que cela soit ennuyant. Il y a ce qui nous est dit et ce que l'on devine, telles les allusions à l'eau, à la dissolution et à l'engloutissement qui parsèment le texte et vont se loger jusque dans les chansons fredonnées :

❝La petite est comme l'eau, elle est comme l'eau vive...❞

Autant de bons indices pour qui saura les voir. C'est dans les ❝fissures de l'histoire❞ que cet épatant roman évite les clichés et nous invite à réfléchir sur la différence, celle des handicaps indétectables au premier regard, tout en interrogeant notre façon de percevoir l'entour, d'être au monde et avec son prochain. En cela Jean-Luc et Jean-Claude est à rapprocher d'autres duos de la littérature française ou étrangère. Je pense à Bouvard et Pécuchet pour sa truculence et pour la tendresse que Flaubert et Laurence Potte-Bonneville ont à l'évidence pour leurs deux grands enfants pleins de naïveté. Je pense aussi au tandem inoubliable de Des souris et des hommes de Steinbeck. La façon dont Jean-Luc veille sur son ami rappelle la manière inquiète qu'a George de veiller sur Lennie, lequel comme Jean-Claude est en quête irrationnelle de douceur au point d'aller vers le danger.

❝C'est donc ça se faire du souci ? Un papier de soie, qu'on déplie sous la pluie ?❞

Avec son écriture fine, drôle, sensible et tendre, ce premier roman installe la tension presque à notre insu ; les dégâts de la tempête annoncée ne sont pas les seuls que l'on redoute et l'ivresse ressentie n'est pas uniquement due aux vapeurs du rhum que Jean-Luc a fini par dégoter. On est attendris par nos deux égarés du quotidien, par leur amitié forte qui remonte au temps d'avant leur placement aux Glycines, par leurs enthousiasmes et leurs colères de gamins en cavale.
Le roman refermé, on souhaite aller voir au-delà de la grisaille des jours, emprunter les si bien nommés itinéraires de délestage et se prendre à rêver d'être nous aussi capables de redécouvrir la part de merveilleux avant que le vaste monde ne poursuive sa course folle.

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