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EAN : 9782378561352
160 pages
Verdier (25/08/2022)
3.46/5   82 notes
Résumé :
Dans ce café d'un petit bourg où Jean-Luc et Jean- Claude ont la permission, tous les jeudis, de venir boire (sans alcool), les choses prennent ce jeudi un tour inhabituel.
D'abord, il y a ce gars, ce jeune gars aux cheveux si blonds, qui émerveille les deux amis parce qu'il vient d'Abbeville. Et puis demain c'est vendredi, le jour de l'injection retard de Jean-Luc, qui sent en lui quelque chose gronder. Peut-être un écho de la tempête qui vient de balayer to... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (32) Voir plus Ajouter une critique
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Le roman s'ouvre sur une étrange scène, un prologue qui place le lecteur en contact avec de mystérieux acteurs : une créature sauvage, un humain inerte, les deux en contact involontaire sous l'eau, sorte de mise en bouche qui précise un contexte très flou que l'on reliera ou pas avec le reste de l'oeuvre, quelques points communs avec un événement futur pouvant se dégager.

Puis on entre dans le récit, on fait connaissance de Yolande Baudier, qui habite à proximité du café où commence l'histoire, retraitée qui observe et constate l'arrivé d'un personnage qui entre au café.

Si le début peut paraître confus en raison de l'emploi de la troisième personne du singulier pour présenter ce premier acteur et décrire le comportement des personnages principaux, Jean-Luc et Jean-Claude, la situation s'éclaircit rapidement, même si les propos des deux amis installés au bar sont quelques peu incohérents, ce qui permet de les cerner.

Jean-Luc et Jean-Claude sont deux individus inséparables. Jean-Luc semble veiller tant bien que mal sur son ami Jean-Claude, diabétique. Les deux viennent d'un foyer, sont sous tutelle et curatelle, sont encadrés par un éducateur et connus de Jacqueline, la propriétaire du café qui connaît les interdits et s'impose pour les empêcher de transgresser.

Le contexte le permettant, les deux amis se retrouvent en voiture avec Florent, ce jeune homme qui consommait à leur côté chez Jacqueline, et se retrouvent dans une situation proche d'une aventure que l'on pourrait qualifier d'extraordinaire étant donné le peu de repères de nos héros qui se mettent en danger : les deux reçoivent un traitement médicamenteux indispensable à leur santé physique ou mentale.

Un beau roman sur le handicap, la fragilité de certains êtres qui ne peuvent s'aventurer dans des lieux inconnus sans subir de graves perturbations, un roman sur la détresse des personnes en situation de précarité. Si l'on s'attache rapidement à Jean-Claude et son ami parce qu'on imagine fort bien leur situation et les dangers qui les guettent, on a parfois du mal à cerner florent, intermédiaire en difficulté lui aussi, mais qui reste un personnage secondaire.

L'autrice nous offre également une agréable promenade en baie de somme, avec quelques repères sur sa faune, sa flore, ses dangers, un milieu sauvage qui ajoute une certaine ambiance au roman.

La fin brise hélas la routine du récit, la sortie scolaire et ses ados difficiles à gérer, scène avec des dialogues qui m'ont sortie du confort relatif dans lequel je m'étais installée semble plaquée n'aide pas à comprendre la situation de Jean-Claude. Comment est-il arrivé à là ? je n'en dirai pas plus pour éviter de divulgâcher.

Deuxième bémol : le prologue : s'il y a une similitude entre la scène de départ et la fin, on notera une incohérence entre la situation initiale et la situation finale.

Un roman court, qui laisse en tête une ambiance générée par ce périple en baie de somme, et le souvenir de deux êtres fragiles et attachants.
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Jean-Luc et Jean-Claude sont deux personnes placées sous curatelle renforcée et sous tutelle, qui vivent dans un foyer. Un jeudi après-midi, jour où ils sont autorisés à sortir, alors qu'ils sont dans le café du village dont ils connaissent très bien la patronne et qu'ils consomment des boissons non alcoolisées, ils font la connaissance de Florent, un jeune homme tout blond qui craint de ne pas avoir assez d'essence pour rentrer chez sa mère à Louviers et n'a pas assez d'argent pour en acheter. Jean-Luc tient absolument à faire un loto, mais la patronne refuse car le foyer lui a indiqué qu'il ne devait pas jouer à des jeux d'argent. Florent consent à les emmener à quelques kilomètres de là, à l'Intermarché, où Jean-Claude pourra jouer. C'est le début de leur errance. ● C'est un premier roman très réussi, d'abord par le style, magnifique. On se laisse emporter par la prose de l'autrice, par ses images à la fois pertinentes et superbes, qui ouvrent sur le conte merveilleux, comme dans ce paragraphe : « À force d'être secoué, Jean-Claude finit par revenir à lui. L'odeur profonde et légère de sous-bois et de roches digérées par des êtres microscopiques s'est insinuée dans ses narines et sous ses paupières. Un souvenir de papier journal posé sur un évier, et la terre sablonneuse y crépite en se détachant du pied du champignon. Des fragments de feuilles et des éclats de brindilles s'y déposent aussi. Il revoit la lame usée de l'Opinel du pépé qui gratte la peau chamoisée du chapeau. Ça sent pareil, la lisière humide, un parfum de cru et de mystère organique qui vient du sol et mêle dans ses volutes le spongieux et le poudreux, les étoiles vertes de la mousse et tous les filaments qui tissent sous la peau de la forêt une résille immense et parcourue. » ● Les personnages sont très réussis, la gémellité entre Jean-Luc et Jean-Claude ajoute à la vulnérabilité de ces deux personnages, qui s'en trouve comme multipliée. On sent que Florent n'est pas très loin d'être comme eux. La précarité de ces personnages nous émeut. Les personnages secondaires sont magnifiquement campés, comme la directrice du foyer, les deux gendarmes, ou encore la classe de collège, d'un réalisme stupéfiant, avec des dialogues qui claquent de vérité. ● L'intrigue nous emmène au bord d'un précipice dans lequel on ne sait jamais si les personnages vont tomber. le drame est sans cesse imminent : va-t-il avoir lieu ? ● Les deux premières pages sont déconcertantes ; elles trouveront une explication plus tard ; je n'aime pas trop cette entrée en matière déceptive qui risque de faire fuir le lecteur. ● C'est ma seule réserve (avec toutefois aussi quelques obscurités dans des formulations trop travaillées) car j'ai adoré ce roman riche et maîtrisé plein de tendresse et d'humour qui met en scène des personnages qu'on ne voit pas souvent dans la littérature.
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C'est bien écrit, les personnages étaient prometteurs, décalés, avec leur handicap psy qui rend leur rapport au monde et aux autres pas toujours évident, mais je suis restée sur ma faim. Finalement, on ne les côtoie pas tant que ça, Jean-Luc et Jean-Claude. J'aurais aimé mieux les connaître, savoir un peu plus ce qui se passe dans leur tête, voir leur belle amitié se développer… Laurence Potte-Bonneville n'aime pas creuser, du coup quand nos deux protagonistes ne rentrent pas dans leur foyer, on s'éparpille un peu dans les différents personnages qui les cherchent au lieu de les accompagner. Dommage. Certains ne manquent pas d'intérêt, comme Florent, bien dans la mouise socialement et sentimentalement, avec, à vingt-trois ans, un hématome à la place du coeur; face à nos deux amis, il oscille entre mépris, agacement, envie d'être gentil et une vraie forte émotion. Mais même la justesse et la subtilité qui me semblait caractériser l'écriture de Laurence Potte-Bonneville n'est pas tenue jusqu'au bout, le propos devient assez caricatural avec l'évocation d'une sortie scolaire.
Pas une lecture indispensable, malgré d'indéniables qualités.
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Comme chaque semaine, Jean-Luc et Jean-Claude franchissent la porte du bar, mais cette fois quelque chose a changé. Ils se laissent distraire de leur routine rodée par la présence d'un jeune homme, dont la blondeur surprend. Malgré les consignes qu'ils connaissent, ils succombent à la tentation de suivre l'inconnu qui accepte de les conduire au PMU voisin où ils pourraient jouer au loto. Un échange de veste, un quiproquo et les voilà livrés à eux-même loin du foyer qui les héberge et dans l'impossibilité de joindre quiconque. D'autant qu'ils s'éloignent du centre commercial pour se perdre dans la campagne, tandis que Jean-Claude commence à ressentir les effets de sa maladie. Pendant ce temps le jeune homme blond poursuit sa route, dans l'angoisse de tomber en panne d'essence.

On s'attache rapidement à ces personnages fragiles et émouvants, qui tentent d'accéder à leurs rêves les plus fous, en toute innocence et avec une confiance terriblement risquée.
On ressent également de l'empathie pour le troisième personnage, dont on pourrait craindre le pire et qui reste énigmatique.

Le roman est loin d'être sombre, et la sortie scolaire qui croise la trajectoire de nos deux héros est suffisamment caricaturale pour faire sourire.


Ce premier roman met en évidence une capacité d'observation particulièrement fine , parfaitement retraduite dans les dialogues que l'on entend en les lisant.
En mettant en avant ce trio improbable, l'autrice réussit à construite une intrigue originale et percutante.

Ne pas se laisser perturber en lisant la première page, aux propos sibyllins : le sens viendra plus tard.

Très belle découverte.

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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La recommandation d'une libraire et ce titre tellement accrocheur de Jean-Luc et Jean-Claude m'ont décidé à lire ce premier roman.

Jean-Luc est sec, nerveux, ancien alcoolique. Il est placé sous curatelle.
Jean-Claude est un grand pataud qui adore fixer à toutes choses des prix qui se finissent en 99. Il est placé sous tutelle.

Ils sont copains depuis toujours et vivent dans un foyer à proximité de la Baie de Somme. Jean-Luc veille sur Jean-Claude, surtout à cause de son diabète.
Tous les jeudis, ils ont le droit d'aller boire un verre, mais sans alcool attention, dans le bar du village où ils résident. Mais un jeudi, leur petite routine dérape et les voilà partis pour l'aventure après avoir rencontré un jeune homme très blond qui les fascine et semble perdu dans ce petit café.

Portrait sensible de deux grands zozos d'une cinquantaine d'années et des gens rencontrés au cours de leur cavale, ce premier roman est plein de tendresse pour ses personnages cabossés. On s'attache à eux, on s'inquiète pour eux tout au long de la lecture. Ma seule réserve porte sur l'écriture dans la première partie du livre qui à mon sens, aurait mérité plus de simplicité.

C'est rare de rencontrer de tels personnages dans la littérature et je salue l'auteure d'avoir choisi de raconter la vie de ces deux zigotos et d'en avoir fait un portrait si attachant.

Ce premier roman est à l'image de son titre : drôle, émouvant, un peu décalé. Une jolie découverte.
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
À quelques mètres au-dessus d’elle, la tempête fait rage. Elle avait préféré replonger pour trouver des eaux plus calmes et cette rencontre fortuite aurait dû la conforter dans son désir de fuir, mais elle interrompt sa course désordonnée pour se maintenir en suspension et accompagner un instant le corps dans sa chute vertigineusement molle.
Elle palme, elle ondule, hésite et s’enroule en spirale autour de cette créature fascinante qu’aucune énergie ne semble plus mouvoir.

C’est trop gros pour être chassé, trop inerte aussi, mais elle identifie la silhouette pour en avoir vu de semblables effectuer à terre des sarabandes bruyantes et compliquées qu’elle observait à distance, toujours. Il faut se garder de leurs enjambées dévastatrices et du vacarme effroyable de leurs hélices.

Elle a beau l’effleurer de ses nageoires, il demeure indéchiffrable. Elle ne comprend pas pourquoi il a renoncé à nager. Il serait si simple de contracter ses muscles et de se remettre en mouvement pour éviter les débris qui crèvent la peau des vagues et risquent à tout moment dans leur chute de les harponner ou de les assommer.
Pour pouvoir plonger, encore et encore, elle a ralenti le rythme de son cœur et il ne bat plus qu’à de longs intervalles, lui rappelant à chaque pulsation qu’elle est seule et qu’elle ignore jusqu’où les autres ont bien pu dériver, et où elle peut bien être.
De s’arrêter ainsi, au milieu du tumulte, ça la calme presque. Le corps poursuit sa lente descente que rien ne semble affecter.
« J’ai faim », lui dit-elle.
Il ne répond pas.
« J’ai peur », lui dit-elle.
Il pivote d’un quart de tour. Autour d’eux câbles arrachés, caisses en morceaux, tôles tordues sombrent en zébrant les profondeurs. Des millions de bulles d’air enveloppent leurs angles tranchants dans une effervescence innocente.
Il lui reste peu de temps. Elle va devoir remonter bientôt pour respirer mais elle ne sait où refaire surface. Elle a nagé si loin du banc. Et en vérité, elle meurt de faim car depuis des heures elle n’a rien pu capturer dans ce chaos liquide.
« J’ai faim », insiste-t-elle. Et elle appuie le bout du museau sur ce torse impassible.
Elle va bientôt manquer d’oxygène. Ça n’a pas l’air de l’émouvoir et sous sa légère poussée, il se contente d’esquisser un vague mouvement de recul. Son ciré ouvert s’évase en corolle derrière ses épaules et sa tête.
Des plis du vêtement émerge un très joli merlan qui s’y était réfugié. Une onde de joie parcourt ses moustaches. D’une brève ondulation, elle atteint le poisson et le saisit dans sa gueule.
Elle voudrait le remercier mais il continue de s’enfoncer, délivré de toute vitalité et toute peur. Les bandes réfléchissantes qui ornent sa veste luisent faiblement tandis que son poids l’entraîne vers le fond sans à-coups ni entraves. Elle suit du regard la disparition progressive de cette étrange bigarrure.

1
« Allez, à lundi, madame Baudier.
— À lundi », fait-elle depuis le portail pendant que l’infirmière ouvre la portière de sa Clio.
L’averse vient de cesser et les gouttes filent leur petit chemin froid le long des losanges du grillage. Ça sent le jardin mouillé. Elle referme le portail en suivant du regard la voiture qui démarre et s’en va, de l’eau de pluie plein la paume.
Il ne fait pas bien chaud, dans les neuf et quelques, mais elle a mis son gros gilet pour profiter un instant du dehors et du frais. Ceux qui travaillent sont au travail, les gamins à l’école, en face pas un chat dans le café, une voiture traverse le bourg par-ci par-là, elle se laisse un peu aller dans le creux de l’après-midi, avant de se remettre à faire « son petit fourbi » comme elle dit au téléphone à sa fille.
C’est bientôt l’heure d’été.
Le passage à l’heure d’hiver lui fiche toujours un coup au moral. Elle et les vaches, plaisante-t-elle, ça ne leur réussit pas ce jour dont on leur tire en douce une heure de sous les pieds dès Toussaint. C’est un grignotement qui la fatigue. Il paraît que c’est la dernière année à cause de l’Europe, elle attend de voir.
Quant à l’arrivée du printemps, elle ne sait plus trop ce que ça lui fait.

Elle ne rentre pas tout de suite, pour faire provision de lumière grisée, se ravigoter l’âme au miroitement des flaques.
Par la vitrine en face, elle aperçoit Jacqueline qui passe un coup de balai, bonjour de la main, et retourne s’activer derrière son comptoir.
Une petite voiture bleu foncé ralentit devant le café, et s’arrête le long du trottoir dans un bourdonnement d’infrabasses. La portière avant éraflée et la démarcation tracée par l’essuie-glace dans la crasse incrustée malgré la pluie récente ne lui échappent pas.
Elle déchiffre l’inscription absconse du bandeau autocollant posé au ras du coffre sur la lunette arrière. Herbalife. J’ai la forme maintenant. Demandez-moi comment. Ma foi oui, je me demande bien comment, pense-t-elle.
Le moteur et le bourdonnement s’interrompent et un jeunot tout blond sort de la voiture, il porte des baskets d’oiseau des îles, et une veste ouverte sur son polo, bien trop légère pour le temps qu’il fait, marquée Adidas en long en large et en travers.
Ça rentre au café en plein milieu de l’après-midi, ça n’a pas l’air de courir après le boulot même si ça a la forme maintenant. Est-ce que ça a vraiment la forme, d’ailleurs ? Les temps sont durs aussi pour les jeunots, et puis on les a trop habitués. À quoi au juste, une incertitude l’effleure, elle ne sait pas trop. À leurs téléphones et à leurs baskets peut-être, ou à manger sans horaires. Comme elle n’a pas eu cette chance, d’être grand-mère, elle ne sait pas trop. Ces cheveux blonds c’est bien joli quand même.
Elle fait demi-tour pour rentrer chez elle. Elle contemple les tiges de ses rosiers emperlées de pluie. Elle a eu la main un peu forte en les taillant. Comment vont-ils s’en sortir cette année ?
Elle se réjouit à la pensée des pélargoniums qui vont refleurir sur la fenêtre de sa cuisine. La corvée ça va être de les remonter de la cave. Elle essuie ses pieds sur la grille, et puis sur le paillasson à l’abri de la marquise.
Tant qu’on peut respirer sur le pas de sa porte c’est qu’on reste libre, pas vrai, autonome c’est ça qui compte. Sentir autour de soi l’air tout embaumé d’eau. Autonome.

2
Il laisse refroidir son café au lait.
On va le savoir que c’est vigilance orange. Ça tourne en boucle au fond de la salle. Rues inondées, voitures à demi immergées. Le gros bordel vers les Avendières et Villers-les-Pots, élus locaux, l’autoroute fermée à hauteur de Genligny. On voit la carte avec les prévisions météo.
Avec les dents, il coupe une petite peau au ras de l’ongle de son index. Il a pu brancher son portable qui recharge. La patronne lui apporte son sandwich au pâté. Derrière lui la porte s’ouvre, elle claironne un « Bonjour messieurs » et retourne derrière son comptoir. Elle va peut-être arrêter de le mater.

Ils sont deux à rentrer, un petit mec engoncé dans une doudoune blanche on ne voit que ça et ses oreilles décollées, qui va s’asseoir au bar pendant que l’autre, un balèze, reste debout. Un ours et un rat entrent dans un bistrot, le début d’une bonne vanne.

Ils auraient le temps de s’installer à une table mais Jean-Claude préfère le comptoir, ça lui rappelle les virées à Abbeville. Il ne s’asseyait jamais.
« Mais c’est vrai qu’on est déjà jeudi ! Qu’est-ce qu’ils prendront aujourd’hui ces messieurs ? » Elle leur sourit. Lui, il se tourne vers l’écran, cale ses coudes sur la table et mord dans son casse-dalle. Il est jeune, il a le ventre vide depuis le petit déj’, il a faim. C’est normal. Et maintenant, on le lâche.

C’est Jean-Luc qui passe la commande, ils font toujours comme ça. Ils décident à l’avance sur le chemin de ce qu’ils vont prendre. Ça dépend du temps qu’il fait et aussi de ce qu’ils ont pris la semaine d’avant. C’est Jean-Luc qui s’en souvient pour eux deux parce que Jean-Claude ne se rappelle pas ce genre de choses. Pour aujourd’hui ils se sont mis d’accord, Jean-Claude avait encore envie d’un coca mais Jean-Luc a proposé de prendre plutôt un Orangina Light à cause des insomnies et du diabète. Christiane a bien répété tout à l’heure « attention au sucre Jean-Claude », mais ça n’était pas la peine, Jean-Luc n’oublie pas ce genre de choses.
« Alors pour lui, un Orangina Light s’il vous plaît, et pour moi un chocolat chaud. »

La doudoune a parlé. Sans bouger et d’une traite. Une gelée de voix nasillarde et qui tremblote. Il n’a absolument rien compris à ce que le mec bafouillait, sauf à la fin cho-co-la-cho, mais faut croire qu’elle, elle a tout capté.
« On vous met la musique ? Si ça dérange pas le jeune homme. Ça vous dérange pas ? »
Le jeune homme c’est lui. C’est à lui qu’elle parle. Il repose son sandwich sur l’assiette en faisant non de la tête. « Non, ça me dérange pas. »
Elle met Radio Nostalgie. Il boit son café au lait. Il finit son sandwich, va pisser.
En sortant des toilettes, il voit Doudoune balancer la tête à droite à gauche en remuant les lèvres, les yeux mi-clos.
J’ai trop saigné – chtoong tom
sur les Gibson – chtoong tom
J’ai trop rôdé – dans les – tobaccoraudes
L’autre est toujours debout, son verre d’Orangina à la main, les yeux rivés à l’écran.

Sa cuillère écume la mousse de lait. Jean-Luc connaît cette chanson presque par cœur.
Bonne ! Bonne ! Bonne !
Sous la mousse, la surface calme du chocolat lui fait penser à des choses puissantes, raccord avec cette musique. Bonnes.
La guitare est rugueuse et sauvage, chtoong tom, et la voix de J.-J Goldman s’épaufre dans les aigus.
Pas mal de feelin’
et de
décibe-els
Le chaud de la boisson se répand sous sa peau. Les lettres bleues sur ses phalanges tambourinent contre le zinc. C’est jeudi.
Jean-Jacques G. et Jean-Luc, on est ensemble, à fond. J’ai pas oublié les paroles de cette musique, bonne, bonne, bonne. Je bois à longs traits le chocolat fumant comme un cheval fourbu. Je suis venu ici pour retrouver mon calme. Demain
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Aller voir les phoques, les voir nager, souffler l'eau par leurs narines étranges, les regarder disparaître dans les vagues, s'étonner de leurs longues moustaches et de leurs nageoires comme des pieds, s'imaginer jouer avec eux, parmi eux dans l'écume, on ne se noierait pas, capter leur doux regard indifférent, s'allonger sur les rochers, le long de leurs flancs criblés de sable, et reprendre son souffle, s'ébrouer ensemble. Faire les andouilles, faire les sauvages.
Aller voir les animaux, les rejoindre, être rejoint par eux, en avoir encore un peu peur et intercepter une lumière d'eau dans leurs prunelles, rouler dans les mêmes vagues, on ne se noierait jamais, patauger dans la même boue, ondoyer parmi eux, se couler, frissonner avec eux, partager le harcèlement des mouches, se laisser parcourir par le long tremblement d'un muscle.
Se plonger dans leur odeur si puissante, caresser leurs peaux épaisses et étanches, devenir nage, devenir galop, se fondre parmi les animaux, s'accrocher à leurs flancs, à leurs crinières, ne plus jamais les lâcher et faire corps avec eux, frotter le front contre leurs crins, se couler dans leurs bancs, s'étourdir dans leur flot, les aimer si fort, s'oublier dans leur troupeau et ne plus penser qu'au grondement de leur course, se rouler comme une andouille, comme un sauvage.
Se dissoudre.
(pp.58-59)
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Ils sont là, le chétif et l'inanimé, et la pluie glisse et s’épand sur le vide du grand pré. Ils se tiennent la, abandonnés l'un à l'autre, corps transis sous cet arbre effeuillé.
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C’est Jean-Luc qui passe la commande, ils font toujours comme ça. Ils décident à l’avance sur le chemin de ce qu’ils vont prendre. Ça dépend du temps qu’il fait et aussi de ce qu’ils ont pris la semaine d’avant. C’est Jean-Luc qui s’en souvient pour eux deux parce que Jean-Claude ne se rappelle pas ce genre de choses. Pour aujourd’hui ils se sont mis d’accord, Jean-Claude avait encore envie d’un coca mais Jean-Luc a proposé de prendre plutôt un Orangina Light à cause des insomnies et du diabète. Christine a bien répété tout à l’heure « attention au sucre Jean-Claude », mais ça n’était pas la peine, Jean-Luc n’oublie pas ce genre de choses.
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Il a entendu parler de beaucoup de choses qu'il a oublié ou qui se sont envasés tout au fond de lui. Il ne va plus jamais racler par là dessous de peur de troubler les sédiments et de faire remonter dans la spirale veloutée de ses souvenirs, des créatures abominables et griffues. p95
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Vidéo de Laurence Potte-Bonneville
Stéphanie Garzanti, Mathieu Lauverjat et Laurence Potte-Bonneville ont en commun d'être tou·tes trois primo-romancier·es. Cette rencontre sera l'occasion d'échanger autour de leurs textes, chacun rendant compte d'une certaine étrangeté. Dans Petite nature de Stéphanie Garzanti, c'est le récit de soi qui est l'objet d'une expérimentation décalée, jouant avec humour des codes de l'autofiction. Avec Client mystère, dont le titre désigne un particulier mandaté par des entreprises pour évaluer leurs employé·es à leur insu, c'est à la langue managériale que s'attaque Mathieu Lauverjat, en auscultant l'ubérisation du monde du travail. Enfin dans Jean-Luc et Jean-Claude de Laurence Potte-Bonneville, nous suivons deux quinquagénaires atteints de troubles mentaux, embarqués dans une escapade aussi inquiète que joyeuse en baie de Somme.
Stéphanie Garzanti est artiste et écrivaine. Paru dans la collection « Sorcières » chez Cambourakis, Petite Nature est son premier livre.
Mathieu Lauverjat est écrivain et éditeur. Paru chez Scribes, nouveau label des éditions Gallimard, Client mystère est son premier roman.
Laurence Potte-Bonneville travaille dans le champ du handicap. Jean-Luc et Jean-Claude, paru chez Verdier, lauréat du prix Stanislas et du prix SGDL Révélation d'automne, est son premier roman.
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