J'en pouvais plus.
Le monde se faisait sans moi.
Je comptais pour du beurre, salé le beurre, et de baratte en plus.
« Je venais de décider de rester un peu plus longtemps que prévu dans cette utopie rationnelle. Méchamment, pour entrevoir les failles ».
Sinon la France profonde s’enfonçait dans la profondeur. En Ardèche, une septuagénaire étendait tranquillement son linge quand elle a été attaquée par un lièvre qui lui a sauté sur le pied, la mordant violemment pour, ensuite, s’en prendre au mari. Puis aux policiers venus en renfort. « Les agents n’ont pas eu d’autre choix que de faire usage de leur arme », a indiqué un officier.
Comme les élections étaient proches, dans tous les villages et toutes les villes de France, à l’entrée des bureaux de votes, les panneaux électoraux s’étalaient. Pour presque la majorité de ceux qui passaient devant, c’était la rigolade. D’abord, la gueule des postulants, généralement maquillés à la truelle, vêtus de bleu, horizon vosgien, costards et robes stricts, sourires figés mais toujours carnassiers. Ensuite, les promesses, réduites à quelques phrases chocs. Pour finir, quelquefois, une liste démentielle et surtout illisible de tout ce qui sera mis en œuvre, si le candidat venait à être miraculeusement élu.
En temps d’élections, ces panneaux sont un appel au street art, caricatures sauvages, moustaches rajoutées, des bites partout, commentaires rageurs ou drolatiques. Les partis politiques et autres devraient fournir les feutres, à ce tarif…
Tout a disparu. La joie, l'avenir, le calme, l'envie.
- Il écrit quoi, j'ai pas bien compris, des essais ?
- Il essaie plutôt d'écrire...
Tout va très vite, j’ai pensé. Trop vite ? C’était sans doute comme ça qu’il fallait faire. Ne pas traîner. Y aller. A l’impulsion. A dieu vas. Même si Dieu… hein… bon. Il peut retrouver son nuage, continuer à roupiller et nous foutre la paix, ce connard.
Sinon, la France profonde était toujours d’une profondeur insondable : dans la Sarthe, une distillerie du Mans venait de concocter une eau-de-vie aux rillettes, « arômes délicats », tout ça pour valoriser le terroir. On tient le bon bout.
"l’État n’osait pas encore montrer ses biscotos pour déloger ces récupérateurs sauvages, même si tout le monde savait que ça ne durerait pas, dans les discours et déclarations, le mot anarchie était de plus en plus claquant, comme la menace des menaces, ça, au moins, ça n’avait pas changé, surtout qu’une partie du monde regardait ce théâtre d’opérations, inattendu, angoissant et passablement mortifère, une vraie pièce de Shakespeare interprétée par des punks no future, avec des spectateurs de plus en plus persuadés que quelque chose avait définitivement disparu avec l’épidémie, la crise, les grèves et les manifs, quelque chose comme le bonheur, la paix, les jours heureux, l’insouciance, le rire était devenu jaune. ”