Qui a tué Tomek Powierza, dont le cadavre au crane éclaté est retrouvé dans la forêt ?
Qu'est-ce qui motive celui -ou celle- qui déterre et vole les pierres servant de fondation à certaines maisons de la bourgade ?
D'où vient la haine qu'éprouve Czarnek, l'homme solitaire qui dirige la distillerie, pour l'ensemble du village ?
Autant de mystères qui troublent le village polonais de Jadowia, en cette période de mutation qui suit la chute du communisme. Un village comme isolé du monde, à l'agonie, déserté par ses jeunes qui ont fui vers des villes plus grandes la perspective de la médiocrité, où le nombre d'enterrements dépasse dorénavant celui des baptêmes.
Leszek, lui, compte bien y rester. Fils de paysan, il a repris l'exploitation familiale à la mort, récente, de son père, et a même des projets d'extension, si seulement ce satané Kowalski voulait bien lui vendre ce champ qu'il n'utilise plus depuis des années, mais qu'il a toujours refusé de céder à sa famille.
Le récit alterne entre la narration portée par le jeune agriculteur et la relation de divers événements impliquant des membres de la communauté de Jadowia, dont l'existence, entre opportunismes et règlements de comptes, est sur le point de connaître certains bouleversements. Pour autant, et contrairement à ce que voudrait nous faire croire la quatrième de couverture, "
En mémoire de la forêt" n'est pas vraiment un thriller. L'intrigue s'y déploie avec une minutieuse lenteur, laissant s'installer une atmosphère grise, mortifère plus qu'oppressante. Comme plongé dans un interminable hiver, Jadiowa semble diffuser le poison d'une torpeur morose que plombe un sentiment de malaise latent mais prégnant.
L'éclatement du bloc de l'est a détruit quelques repères, mais les cartes sont-elles vraiment redistribuées ? A l'emprise d'un "système" qui a pendant des décennies régit la vie de la communauté, imposant ses diktats par l'intermédiaire de ses représentants locaux, succède le règne de trafics en tous genres sur lesquels les mafieux russes ont la mainmise. C'est que tout part à vau-l'eau... le président Walesa est devenu gros, a pour meilleur nouvel ami Georges Bush... Les vieux ont consumé leur ambition dans une cause perdue, qui se limitait finalement à la simple survie, les jeunes méprisent les idéologies, ne croient même plus en dieu, ne songent qu'à partir et à faire de l'argent. Et comment leur en vouloir, compte tenu du modèle que leur ont légué leurs aînés, une utopie défigurée par la corruption, la délation... ?
D'autant plus que l'ère communiste n'est pas le seul épisode de l'Histoire à avoir laissé ses malsains stigmates dans la petite société de Jadiowa... il y en un autre, que l'amnésie collective, soutenue par la disparition de toute archive, de tout monument s'y rapportant, a opportunément occulté des esprits. Un mystérieux quidam, visiblement désireux de rafraîchir les mémoires, sème des indices évoquant la présence dans le village, cinquante ans auparavant, de ces citoyens juifs dont on a effacé toute trace...
Dans quelle mesure peut-on se tourner vers l'avenir tant que l'on ne s'est pas affranchi du passé, qu'on ne l'a pas assumé ? Sommes-nous responsables des fautes de nos aînés, avons-nous le devoir de percer leurs ignobles secrets, pour rendre justice à la mémoire de leurs éventuelles victimes ?
"La mémoire avait un avenir autant qu'un passé".
Telles sont les passionnantes pistes de réflexions auxquelles nous invite
Charles T. Powers par le truchement des divers chemins qu'emprunte son intrigue, et qu'il évoque sans aucune tentation manichéenne : capables de lâcheté comme de générosité, de naïveté comme de cynisme, ..., ses héros sont porteurs de toutes les contradictions qui font la complexité de l'âme humaine.
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