RÉPONSE DE MAME AU SONNET D'ALBERT P.
SOUHAITANT LA STE FÉLICITÉ.
« C'est vrai, mon cher ami, la vieillesse est venue,
Et l'enfant qui riait et dansait, en chantant
Les jolis mots patois de la ronde connue,
Est aujourd'hui l'aïeule au sourire apaisant.
Où mes quinze ans dorés ? Ma joie insouciante ?
Le bonheur d'être belle et d'ignorer le mal ?
Où les printemps naïfs, — quand vous disiez : " charmante !... " —
Où le Peyrou d'alors au parfum provençal ? …
Tout cela est bien mort, mon ami, et je rêve
Au rêve de la vie et de sa douceur brève
Qui charme seulement pour mieux faire souffrir…
— Mais je sens sur ma main une main très petite,
Une voix me dit : " Mame, amuse bébé, vite ! "
Et deux yeux purs d'enfant m'éclairent l'avenir ».
(Ms. inédit, hiver 1898-1899)
p.85-86
Ce sonnet fut sans doute écrit à la demande de la grand-mère de Catherine ( « Mame »). Agée de quinze ans, Catherine emprunte la voix de sa grand-mère pour remercier Albert P. de ses vœux le jour de sa fête. Le bébé dont il est question est Jacques Pozzi, « la voix », celle de Catherine elle-même.
Si tu veux
Nous irons ensemble
Tous les deux
Vers le vieux figuier.
Il aura
Des fruits noirs qui tremblent
Sous le vent
Qui vient d'Orvillers.
Tu iras
L'âme renversée
Sur ta vie
Et je te suivrai.
Le ciel bas
Tiendra nos pensées
Par la lie
D'un malheur secret.
Tu prendras
L'un des fruits de l'arbre
Et soudain
Le fera saigner
Et ta main
Morte comme marbre
Jettera
Le don du figuier.
Le vent vert
Plein du bruit des hêtres
Ouvrira
La geôle du ciel
Je crierai
Comme un chien sans maître
Tu fuiras
Dans le grand soleil.
(Ms., 25août 1915)
p.117-118
Catherine Pozzi envoie ce poème, en août 1915, à André Fernet, jeune aviateur dont elle est amoureuse, avec l'indication suivante : « C'est une espèce de rêve que je me suis récité exactement dans ces mots-là dans la première fièvre de la nuit. Naturellement, je ne le comprends plus du tout. » Son sens ne deviendra clair que l'année suivante : en juin 1916, André Fernet trouvera la mort dans un duel aérien près de Weiher, en Lorraine.
LE LOTUS
Sur le lac pâle inondé de lueurs,
Sur le lac triste où l'eau froide frissonne,
Bien loin des bords où le chant monotone
Des grillons noirs, égrène sa douceur,
Seul et divin, planant sur l'eau dormante,
Eblouissant, pur, et mystérieux,
Un lotus blanc, magique, radieux,
Étale au ciel brumeux sa splendeur languissante.
Tu t'ouvriras peut-être ainsi, une nuit sombre,
Ô Fleur de mon amour suprême et désolé !
Et tu endormiras mon cœur désespéré
Dans un rêve alangui de volupté et d'ombre.
Edmond Bahut
( alias Catherine Pozzi )
Catherine signe ce sonnet dédié « A Madame L. de L. [Lecomte de Lisle] respectueusement et admirativement » du nom d'un ami de jeunesse, Edmond Bahut.
p.87
« À JACQUES »
(vers libres)
« Sous la gaze blanche de ton gentil berceau
Tu dors, oh petit Jacques si charmant et si beau ! »
Dors, oh dors bien longtemps
Mon joli baby rose
Plus tard, il n'en sera plus temps
Car les tempêtes et les vilains vents
S'acharneront au lit où tu reposes…
Si tu pouvais rester toujours ainsi
Heureux et pur, sans un souci
Et blanc comme la neige est blanche !
Mais non, hélas, la vie prendra aussi
Ta petite âme, car il faut qu'elle tranche
Tes Espérances, et les change en Dépits.
Dors, oh dors pendant qu'il est temps
Ce moment là, vois-tu, ne dure pas longtemps
Car au réveil on est un homme !
Le sommeil c'est le temps béni
C'est le moment divin qui nous donne l'oubli
L'oubli de la vie et des Hommes !
Sous la gaze blanche de ton gentil berceau
Tu dors, oh petit Jacques si charmant et si beau !
(Journal inédit, 22juin 1896)
p.77-78