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Citations sur A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du côté de chez .. (66)

Ce que je reproche aux journaux, c'est de nous faire faire attention tous les jours à des choses insignifiantes, tandis que nous lisons trois ou quatre fois dans notre vie les livres où il y a des choses essentielles.
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De tous les modes de production de l’amour, de tous les agents de dissémination du mal sacré, il est bien l’un des plus efficaces, ce grand souffle d’agitation qui parfois passe sur nous. Alors l’être avec qui nous nous plaisons à ce moment-là, le sort en est jeté, c’est lui que nous aimerons. Il n’est même pas besoin qu’il nous plût jusque-là plus ou même autant que d’autres. Ce qu’il fallait, c’est que notre goût pour lui devint exclusif. Et cette condition-là est réalisée quand — à ce moment où il nous fait défaut — à la recherche des plaisirs que son agrément nous donnait, s’est brusquement substitué en nous un besoin anxieux qui a pour objet cet être même, un besoin absurde que les lois de ce monde rendent impossible à satisfaire et difficile à guérir — le besoin insensé et douloureux de le posséder.
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L’année précédente, dans une soirée, il avait entendu une œuvre musicale exécutée au piano et au violon. D’abord, il n’avait goûté que la qualité matérielle des sons sécrétés par les instruments. Et ç’avait déjà été un grand plaisir quand au-dessous de la petite ligne du violon mince, résistante, dense et directrice, il avait vu tout d’un coup chercher à s’élever en un clapotement liquide, la masse de la partie de piano, multiforme, indivise, plane et entrechoquée comme la mauve agitation des flots que charme et bémolise le clair de lune. Mais à un moment donné, sans pouvoir nettement distinguer un contour, donner un nom à ce qui lui plaisait, charmé tout d’un coup, il avait cherché à recueillir la phrase ou l’harmonie — il ne savait lui-même — qui passait et lui avait ouvert plus largement l’âme, comme certaines odeurs de roses circulant dans l’air humide du soir ont la propriété de dilater nos narines. Peut-être est-ce parce qu’il ne savait pas la musique qu’il avait pu éprouver une impression aussi confuse, une de ces impressions qui sont peut-être pourtant les seules purement musicales, inétendues, entièrement originales, irréductibles à tout autre ordre d’impressions.[…]
Ainsi à peine la sensation délicieuse que Swann avait ressentie était-elle expirée, que sa mémoire lui en avait fourni séance tenante une transcription sommaire et provisoire, mais sur laquelle il avait jeté les yeux tandis que le morceau continuait, si bien que, quand la même impression était tout d’un coup revenue, elle n’était déjà plus insaisissable. Il s’en représentait l’étendue, les groupements symétriques, la graphie, la valeur expressive ; il avait devant lui cette chose qui n’est plus de la musique pure, qui est du dessin, de l’architecture, de la pensée, et qui permet de se rappeler la musique. […]
D’un rythme lent elle le dirigeait ici d’abord, puis là, puis ailleurs, vers un bonheur noble, inintelligible et précis. Et tout d’un coup, au point où elle était arrivée et d’où il se préparait à la suivre, après une pause d’un instant, brusquement elle changeait de direction, et d’un mouvement nouveau, plus rapide, menu, mélancolique, incessant et doux, elle l’entraînait avec elle vers des perspectives inconnues. Puis elle disparut. Il souhaita passionnément la revoir une troisième fois. Et elle reparut en effet, mais sans lui parler plus clairement, en lui causant même une volupté moins profonde. Mais rentré chez lui il eut besoin d’elle, il était comme un homme dans la vie de qui une passante qu’il a aperçue un moment vient de faire entrer l’image d’une beauté nouvelle qui donne à sa propre sensibilité une valeur plus grande, sans qu’il sache seulement s’il pourra revoir jamais celle qu’il aime déjà et dont il ignore jusqu’au nom.
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Ah ! dans ces premiers temps où l’on aime, les baisers naissent si naturellement !
Ils foisonnent si pressés les uns contre les autres ; et l’on aurait autant de peine à compter les baisers qu’on s’est donnés pendant une heure que les fleurs d’un champ au mois de mai.
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Mais toutes les choses de la vie qui ont existé une fois tendent à se récréer, et comme un animal expirant qu’agite de nouveau le sursaut d’une convulsion qui semblait finie, sur le cœur, un instant épargné, de Swann, d’elle-même la même souffrance vint retracer la même croix.
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[...] Un instant après, le balcon était pâle et réfléchissant comme une eau matinale, et mille reflets de la ferronnerie de son treillage étaient venus s'y poser. Un souffle de vent les dispersait, la pierre s'était de nouveau assombrie, mais, comme apprivoisés, ils revenaient ; elle recommençait imperceptiblement à blanchir et par un de ces crescendos continus comme ceux qui, en musique, à la fin d'une Ouverture, mènent une seule note jusqu'au fortissimo suprême en la faisant passer rapidement par tous les degrés intermédiaires, je la voyais atteindre à cet or inaltérable et fixe des beaux jours, sur lequel l'ombre découpée de l'appui ouvragé de la balustrade se détachait en noir comme une végétation capricieuse, avec une ténuité dans la délinéation des moindres détails qui semblait trahir une conscience appliquée, une satisfaction d'artiste, et avec un tel relief, un tel velours dans le repos de ses masses sombres et heureuses qu'en vérité ces reflets larges et feuillus qui reposaient sur ce lac de soleil semblaient savoir qu'ils étaient des gages de calme et de bonheur.

(extrait de "Du côté de chez Swann - Noms de pays : le nom") - Pp. 537-538
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Ma tante n'habitait plus effectivement que deux chambres contigües, restant l'après-midi dans l'une pendant qu'on aérait l'autre. C'étaient de ces chambres de province qui - de même qu'en certains pays des parties entières de l'air ou de la mer sont illuminées ou parfumées par des myriades de protozoaires que nous ne voyons pas - nous enchantent des mille odeurs qu'y dégagent les vertus, la sagesse, les habitudes, toute une vie secrète, invisible, surabondante et morale que l'atmosphère y tient en suspens ; odeurs naturelles encore, certes, et couleur du temps comme celles de la campagne voisine, mais déjà casanières, humaines et renfermées, gelée exquise, industrieuse et limpide de tous les fruits de l'année qui ont quitté le verger pour l'armoire ; saisonnières, mais mobilières et domestiques, corrigeant le piquant de la gelée blanche par la douceur du pain chaud, oisives et ponctuelles comme une horloge de village, flâneuses et rangées, insoucieuses et prévoyantes, lingères, matinales, dévotes, heureuses d'une paix qui n'apporte qu'un surcroit d'anxiété et d'un prosaïsme qui sert de grand réservoir de poésie à celui qui la traverse sans y avoir vécu.

(extrait de "Du côté de chez Swann, Première partie - Combray") - p. 147
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L’année précédente, dans une soirée, il avait entendu une œuvre musicale exécutée au piano et au violon. D’abord, il n’avait goûté que la qualité matérielle des sons sécrétés par les instruments. Et ç’avait déjà été un grand plaisir quand au-dessous de la petite ligne du violon mince, résistante, dense et directrice, il avait vu tout d’un coup chercher à s’élever en un clapotement liquide, la masse de la partie de piano, multiforme, indivise, plane et entrechoquée comme la mauve agitation des flots que charme et bémolise le clair de lune. Mais à un moment donné, sans pouvoir nettement distinguer un contour, donner un nom à ce qui lui plaisait, charmé tout d’un coup, il avait cherché à recueillir la phrase ou l’harmonie — il ne savait lui-même — qui passait et lui avait ouvert plus largement l’âme, comme certaines odeurs de roses circulant dans l’air humide du soir ont la propriété de dilater nos narines. Peut-être est-ce parce qu’il ne savait pas la musique qu’il avait pu éprouver une impression aussi confuse, une de ces impressions qui sont peut-être pourtant les seules purement musicales, inétendues, entièrement originales, irréductibles à tout autre ordre d’impressions. Une impression de ce genre, pendant un instant, est pour ainsi dire sine materia. Sans doute les notes que nous entendons alors tendent déjà, selon leur hauteur et leur quantité, à couvrir devant nos yeux des surfaces de dimensions variées, à tracer des arabesques, à nous donner des sensations de largeur, de ténuité, de stabilité, de caprice. Mais les notes sont évanouies avant que ces sensations soient assez formées en nous pour ne pas être submergées par celles qu’éveillent déjà les notes suivantes ou même simultanées. Et cette impression continuerait à envelopper de sa liquidité et de son « fondu » les motifs qui par instants en émergent, à peine discernables, pour plonger aussitôt et disparaître, connus seulement par le plaisir particulier qu’ils donnent, impossibles à décrire, à se rappeler, à nommer, ineffables — si la mémoire, comme un ouvrier qui travaille à établir des fondations durables au milieu des flots, en fabriquant pour nous des fac-similés de ces phrases fugitives, ne nous permettait de les comparer à celles qui leur succèdent et de les différencier. Ainsi à peine la sensation délicieuse que Swann avait ressentie était-elle expirée, que sa mémoire lui en avait fourni séance tenante une transcription sommaire et provisoire, mais sur laquelle il avait jeté les yeux tandis que le morceau continuait, si bien que, quand la même impression était tout d’un coup revenue, elle n’était déjà plus insaisissable. Il s’en représentait l’étendue, les groupements symétriques, la graphie, la valeur expressive ; il avait devant lui cette chose qui n’est plus de la musique pure, qui est du dessin, de l’architecture, de la pensée, et qui permet de se rappeler la musique. Cette fois il avait distingué nettement une phrase s’élevant pendant quelques instants au-dessus des ondes sonores. Elle lui avait proposé aussitôt des voluptés particulières, dont il n’avait jamais eu l’idée avant de l’entendre, dont il sentait que rien autre qu’elle ne pourrait les lui faire connaître, et il avait éprouvé pour elle comme un amour inconnu.

D’un rythme lent elle le dirigeait ici d’abord, puis là, puis ailleurs, vers un bonheur noble, inintelligible et précis. Et tout d’un coup, au point où elle était arrivée et d’où il se préparait à la suivre, après une pause d’un instant, brusquement elle changeait de direction, et d’un mouvement nouveau, plus rapide, menu, mélancolique, incessant et doux, elle l’entraînait avec elle vers des perspectives inconnues. Puis elle disparut. Il souhaita passionnément la revoir une troisième fois. Et elle reparut en effet, mais sans lui parler plus clairement, en lui causant même une volupté moins profonde. Mais rentré chez lui il eut besoin d’elle, il était comme un homme dans la vie de qui une passante qu’il a aperçue un moment vient de faire entrer l’image d’une beauté nouvelle qui donne à sa propre sensibilité une valeur plus grande, sans qu’il sache seulement s’il pourra revoir jamais celle qu’il aime déjà et dont il ignore jusqu’au nom.
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Ah ! dans ces premiers temps où l’on aime, les baisers naissent si naturellement ! Ils foisonnent si pressés les uns contre les autres ; et l’on aurait autant de peine à compter les baisers qu’on s’est donnés pendant une heure que les fleurs d’un champ au mois de mai.
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Autrefois on rêvait de posséder le cœur de la femme dont on était amoureux ; plus tard sentir qu’on possède le cœur d’une femme peut suffire à vous en rendre amoureux.
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