La petite sorcière savait bien qu'elle ne pouvait pas tomber amoureuse, mais pour elle ça n'avait pas d'importance. Elle ne se posait pas de questions parce que... Elle se moquait des réponses.
Il ne faut rien raconter aux bonnes femmes, et surtout pas à ma fille ! Elle trouve une explication à tout.
À l’époque, on avait trouvé sur certaines des suspectes ce qu’on appelait « la marque des sorcières », des taches de vin dont la forme décidait du sort de ces malheureuses. Dans le cas présent, on était bien en présence d’un signe manifestement hérétique dont même Kuisl ne pouvait nier l’accointance avec la sorcellerie. Le bailli avait raison. Les gens allaient se mettre à chercher d’autres signes. Et même si, dans un premier temps, il n’y avait pas d’autres morts, les suspicions se multiplieraient à n’en plus finir. Un feu de brousse qui pourrait engloutir tout Schongau dans ses flammes. À moins que quelqu’un n’avoue et n’endosse toute la culpabilité.
Jakob Kuisl descendait la ruelle étroite qui longeait les remparts, en direction du sud. Les maisons ici étaient crépies de frais, les toits de tuile rougeoyaient à la lumière du soleil matinal. Les premières narcisses et jonquilles fleurissaient dans les jardins. Le quartier dit "de la porte de la cour", qui entourait le château de l'intendant ducal, était considéré comme le meilleur. C'était là que s'installaient les artisans qui avaient fait fortune. Le bourreau passa près de canards cancanant et de poules caquetant qui s’égaillèrent dans la ruelle à son approche. Un menuisier était assis sur un banc devant son atelier et, armé de son rabot, de son marteau et de son ciseau à bois, s’affairait à polir le dessus d’une table. Au passage du bourreau, il rentra la tête. On ne saluait pas le bourreau, cela portait malheur.
L’homme était debout à la fenêtre, la tête à une paume de main du lourd rideau rouge. Au-dehors, le crépuscule tombait, mais au fond cela importait peu. A l’intérieur de la pièce, le crépuscule était permanent, une pénombre grise et triste qui engloutissait le soleil même en plein jour. En esprit, l’homme voyait le soleil au-dessus de la ville. Il se lèverait puis se coucherait, sempiternellement, il ne se laisserait pas arrêter. L’homme non plus ne se laisserait pas arrêter, même si, pour le moment, les choses étaient retardées. Ce retard l’agaçait… énormément. Il se retourna.
« Quel empoté tu fais ! Tu n’es qu’un bon à rien ! C’est trop te demander de mener une chose à bien, pour une fois ? »
- Elle sera menée à bien. »
L’instant d’après, une silhouette émergea de derrière le tas de bois. Elle portait un manteau et un chapeau à large bord. D’abord Simon crut qu’il s’agissait du bourreau. Mais la silhouette tira un sabre de dessous son manteau. Pendant quelques secondes, le soleil perça à travers le sous-bois et fit reluire l’arme. Quelque chose de blanc brilla au moment où la silhouette traversa le rai de lumière en fonçant sur Simon.
C’était la main du diable, une main de squelette.
Dans une petite cité comme Schongau, les rumeurs de sorcellerie et de rituels diaboliques se répandent plus vite que les mauvaises odeurs.
Une rumeur est comme une fumée. Elle se répand, elle se propage à travers les fentes et les interstices des portes et des fenêtres, et à la fin, son odeur imprègne toute la ville.
Magdalena était la première femme avec laquelle il pouvait parler de livres ! La première femme qui avait lu L’Armamentarium chirurgicum de Jean Scultet et qui connaissait les œuvres de Paracelse. Son cœur se serrait parfois à l’idée qu’il ne pourrait jamais l’épouser. En tant que fille de bourreau, c’était une paria, jamais la ville n’admettrait qu’il contracte une liaison avec elle. Ils devraient partir à l’étranger, une fille de bourreau et un chirurgien militaire ambulant, et mendier sur les routes pour assurer leur subsistance. Mais au fond, pourquoi pas ? À cet instant précis, son amour pour cette fille était si intense qu’il était prêt à renoncer à tout pour elle.
Chapitre 11