Elle se resservit une tasse d’un thé bien infusé comme elle l’aimait. Elle n’éprouvait pas la moindre honte à paresser ainsi à sa table au coin de la fenêtre en contemplant le soleil qui coulait à flots par les carreaux améthyste et or tandis que les gens avalaient leur repas d’un trait pour attraper le train qui les ramèneraient chez eux ; pour sa part elle gagnait sa vie en écrivant des histoires et des articles pour des magazines féminins et tirait son inspiration de la vie quotidienne, quoique la vie fût parfois trop grave, trop âpre et qu’il fallût l’édulcorer comme on hache une viande coriace pour l’attendrir.
Il n'est guère, pour une femme, d'expérience aussi pénible et fastidieuse qu'une soirée aux côtés d'un homme quand elle rêve d'être avec un autre, et ce soir-là, Bernard provoqua chez elle un ennui quasi tangible qui confinait à l'agonie d'une dent sensible subissant la pression d'une roulette chez le dentiste. Bernard pourtant était grand et élégant, plus beau que Tom Mallow et, pour peu qu'on l'eût analysée, il est fort probable que sa conversation présentait un intérêt supérieur. Il emmena Deirdre voir un pièce de son choix et lui offrit ensuite un délicieux souper. Il possédait de surcroît une voiture grâce à laquelle elle effectua un confortable voyage de retour, sans avoir à se soucier du dernier bus ou d'un pénible trajet dans la foule d'un métro mal ventilé.
Catherine imagina la moue de dégout, voire le rire sardonique qui accueillerait semblable suggestion. Elle s'était souvent interrogée sur les raisons qui incitaient les anthropologues à ne fréquenter que les couches inférieures de leur société. Peut-être était-ce une crainte déguisée de ne pas faire le poids d'une façon ou d'une autre, car elle était sûre que l'expérience d'un bal des débutantes à Belgravia était tout aussi enrichissante qu'un quelconque rituel indigène.