Citations sur Le jardin (41)
Ogui ouvre lentement les yeux. Tout est blanchâtre autour de lui. Une lumière l’éblouit. Il ferme les yeux et les rouvre. Ça lui coûte un peu. Il est rassuré, il sent qu’il est en vie. Son éblouissement et la difficulté physique qu’il éprouve à remuer les paupières en sont la preuve.
(Incipit)
Tous avaient eu la même curiosité et le même avenir incertain. Tous avaient regretté d'avoir continué en master puis en doctorat et étaient souvent aller se saouler ensemble, résignés. Leur amitié avait prospéré parce qu'ils étaient sur un pied d'égalité : aucun n’entretenait la moindre once d'espoir.
D'un autre côté, la complexité et le sérieux de sa belle-mère le mettait mal à l'aise. Si elle avait été un peu plus expansive et sociable, il aurait moins transpiré tout au long de ce repas.
A l'époque, il trouvait adorable cette vanité puérile. Son amie savait ce qu'elle voulait faire et était persuadée que chacun de ses projets était profondément ancrée en elle. Mais elle ne parvenait jamais à ses fins. Heureusement, ça ne la déprimait pas, elle savait renoncer sans douleur.
Il entend la porte de sa chambre s’ouvrir doucement. Quelqu’un entre sur la pointe des pieds. Ogui l’observe. La personne s’approche, elle porte un vêtement blanchâtre. Ogui continue à la fixer et voit soudain son corps s’étirer vers le haut. Stupéfait, il la voit désormais collée au plafond.
Elle descend alors lentement vers lui ; il ferme les yeux, les ferme très fort, décidé à ne plus jamais les rouvrir. C’est le seul moyen qu’il a de faire face à la peur. Ça ne peut pas être une illusion : il a clairement entendu la porte s’ouvrir. Et puis la personne qui approche son visage du sien a une odeur familière.
L’odeur de sa femme.
Mais parfois, son propre succès ne suffit pas. L’échec d’un membre de son entourage rassure davantage.
Il aurait dû davantage s’intéresser à elle. Mais ce ne fut que plus tard, alors qu’il se trouvait dans la voiture pour leur dernier voyage, qu’il le regretta. Leur relation s’était tellement distendue qu’elle ne pouvait s’adresser à lui autrement, mais il ne s’en rendit compte que trop tard. On s’aperçoit toujours trop tard de ce qui ne va pas.
Chaque nuit, il prie avant de s'endormir. Il prie pour la fin du monde, pour qu'il arrête de respirer à cause d'un médicament auquel il serait soudain allergique ou pour une dégradation radicale de son état. Bien sûr, même s'il prie, il sait pertinemment ce qui va se passer le lendemain. Le soleil se lèvera tandis que lui se réveillera. Le monde continuera à tourner comme si de rien n'était et se moquera complètement de son absence. Il commencera la journée de la même manière que d'habitude, sur son lit, en expirant la mauvaise haleine qu'il a accumulée dans sa bouche toute la nuit.
Il détestait par-dessus tout que sa femme lui parle le langage des fleurs. Pour lui, tout ça n’avait aucun sens, un peu comme les horoscopes (…)
C’est seulement alors qu’Ogui se rend compte qu’il est revenu à la réalité, non pas celle de sa chambre d’hôpital trop éclairée où une infirmière prend gentiment soin de lui et où un docteur l’encourage démesurément à chaque fois qu’il cligne des yeux, mais celle du vrai monde, là où les gens se bousculent, parlent haut et fort, attendent en faisant la queue, se jettent des regards à la dérobée, le monde dans lequel il ne pourra vivre qu’en faisant preuve de beaucoup de volonté, comme le lui a dit le docteur.