Ses deux mains s'accrochaient à mon cou ; elles ne se seraient pas accrochées plus furieusement dans un naufrage. Et je ne comprenais pas si elle voulait que je la sauve, ou bien que je me noie avec elle.
L'amour lui donnait une nature d'esclave. Aussi, en face d'une telle servitude préambulaire, avais je du mal à ordonner ou défendre.
Elle partit le douze juillet, à sept heures du matin. Je restai à J... la nuit précédente. En y allant, je me promettais de ne pas fermer l'œil de la nuit. Je ferais une telle provision de caresses, que je n'aurais plus besoin de Marthe pour le reste de mes jours.
Un quart d'heure après m'être couché, je m'endormis.
A mon réveil, elle était déjà debout. Elle n'avait pas osé me réveiller. Il ne me restait plus qu'une demi-heure avant le train. J'enrageais d'avoir laissé perdre par le sommeil les dernières heures que nous avions à passer ensemble. Elle pleurait aussi de partir. Pourtant, j'eusse voulu employer les dernières minutes à autre chose qu'à boire nos larmes.
Je vais encourir bien des reproches. Mais qu'y puis-je ? Est-ce ma faute si j'eus douze ans quelques mois avant la déclaration de la guerre ? Sans doute, les troubles qui me vinrent de cette période extraordinaire furent d'une sorte qu'on éprouve jamais à cet âge; mais comme il n'existe rien d'assez fort pour nous vieillir malgré les apparences, c'est en enfant que je devais me conduire dans une aventure où déjà un homme eût éprouvé de l'embarras.
« Qu’ai-je donc fait qui te rende aussi méchant?"
Ma mère remarqua que j'avais les yeux rouges. Mes sœurs rirent parce que je laissais deux fois de suite retomber ma cuillère à soupe. Le plancher chavirait. Je n'avais pas le pied marin pour la souffrance.
À force de vivre dans les mêmes idées, de ne voir qu'une chose, si on la veut avec ardeur, on ne remarque plus le crime de ses désirs.
Il arrive que cette ressemblance morale déborde sur le physique . Regard, démarche : plusieurs fois, des étrangers nous prirent pour frère et sœur. C'est qu'il existe en nous des germes de ressemblances que développe l'amour. Un geste, une inflexion de voix, tôt ou tard, trahissent les amants les plus prudents.
Mais ce que je voudrais savoir c'est à quel âge on a le droit de dire : "J'ai vécu" ? Pour moi , je crois qu'à tout âge et dès le plus tendre, on a à la fois vécu et l' on commence de vivre.
Je vais encourir bien des reproches. Mais qu'y puis-je ? Est-ce la faute si j'eus douze ans quelques mois avant la déclaration de guerre ? Sans doute, les troubles qui me vinrent de cette période extraordinaire furent d'une sorte qu'on n'éprouve jamais à cet âge ; mais comme il n'existe rien d'assez fort pour nous vieillir malgré les apparences, c'est en enfant que je devais me conduire dans une aventure où déjà un homme eût éprouvé de l'embarras.