Toutes ces années ne m'ont enseigné qu'une seule leçon, un jour il faudra bien que je me décide à l'appliquer : la vraie richesse, le vrai succès, c'est avoir la force de faire silence.
La main est un drôle d'animal. Elle prend, touche, pince, caresse ou frappe... Elle ausculte, elle apaise. C'est elle aussi qui serre la main de l'autre, perçoit sa chaleur ou sa nervosité. Une porte vers le monde extérieur... C'est elle encore qui vient se poser sur l'être aimé... La solitude absolue est celle du toucher. Vous aurez beau jouir d'une vie sociale et professionnelle frénétique, si vous ne touchez jamais personne alors vous serez plus seul qu'une pierre.
Rebâtir ?... La confiance, bien sûr. En musique, comme dans la vie, on ne peut s'en passer. C'est jouer avec une sourdine. Sans confiance.
Pour jouer l'Opus 77, il faut avoir été tout au fond, et y resté un moment.
La pire des punitions n'est jamais la critique, même acerbe, mais l'oubli. Lorsque le musicien passe de mode. Son carnet de bal se vide.... tous, au niveau où nous sommes, nous affichons une technique en béton. La différence... dans notre capacité d'attirer l'attention.
Buster Keaton... c'est l'impassibilité de son visage qui me fascine. Le masque neutre, libre de choisir à tout instant entre comédie et tragédie. Si Keaton est l'acteur le plus expressif de tous les temps, c'est justement parce que son jeu dépasse la mimique et le cabotinage. Absolument exemplaire. Un véritable aspirateur à spectateurs.
Car, voyez-vous, je me rattrape toujours. Le gouffre du silence s'ouvre sous mes mains et je sais d'expérience qu'il faut fermer les yeux de toute urgence. S'oublier. Ne plus être une soliste de premier plan mais simplement dix doigts galopant sur des touches noires et blanches... silence lourd de sens
Toi,... je t'ai toujours vu sec comme l'amadou et aussi pâle qu'un mort... pourquoi cette pâleur... j'étais gamine quand je te l'ai posée ; tu as réfléchi un long moment puis tu as dit, le plus sérieusement du monde, C'est parce que mon sang passe dans le violon.
Le vrai virtuose mondial, c'est celui qui a peur à s'en pisser dessus et qui s'avance seul devant trois mille spectateurs pour jouer Ravel, Chopin, Rachmaninov, sans ciller.
Le chef gagnait son podium d'un pas pressé, comme s'il avait souhaité mettre la salle derrière lui le plus vite possible... pour ménager le mystère, son mystère. Le chef est un homme qui se tient dos au public. C'est une silhouette possédée par son art.