Tu sais bien, mon ami, dans ce pays, si tu te demandes pourquoi, il faut commencer par faire parler les morts dans leurs tombes.
Mirza Qadir approche la tête de la porte et dit en baissant la voix :
- ... la loi de la guerre c'est la loi du sacrifice. Dans le sacrifice, ou bien le sang est sur ta gorge, ou bien il est sur tes mains.
Il faudrait pouvoir dormir comme un nouveau-né, sans images, sans souvenirs, sans rêves. Comme un nouveau-né, reprendre la vie au commencement.
Ah, si seulement cette question pouvait ne pas exister. Si on pouvait ne jamais dire pourquoi !
Tu es incapable de décrire ton chagrin : il na pas encore pris forme. C'est encore trop tôt. Si seulement il pouvait se dissiper avant même de prendre forme, disparaitre...
Tu n'avais jamais constaté que ta poitrine était si petite et ton cœur si grand, grand comme ta tristesse.
Avant de ranger ta boîte, tu jettes un coup d’œil dans le miroir du couvercle. Tes yeux bridés sont enfoncés dans leurs orbites. Le temps a laissé l'empreinte de son passage près de tes yeux , une empreinte formée de lignes sinueuses, comme des vers entrelacés autour de deux orifices, des vers affamés qui guettent...
Ton regard se perd dans les ondulations de la vallée. Tu reprends ton souffle et poursuis :
− Je vais enfoncer un poignard dans le cœur de mon fils !
Shahmard te regarde avec consternation. Il rit et dit :
− Grand Dieu. Qui aurait cru que je transporte un chevalier !!
Sans quitter la vallée, ses pierres noires, sa poussière et ses ronces, tu rétorques :
− Ce n'est pas cela, mon frère. Mais j'ai un immense chagrin et le chagrin parfois se transforme en poignard.
Il y a tout juste quelques instants, tu avais le coeur gros. Tu étais prêt à parler à n'importe qui de n'importe quoi. Voilà enfin quelqu'un à qui tu peux livrer ton coeur, quelqu'un dont le regard est déjà un réconfort. Dis quelque chose !
Le passage des voitures est aléatoire. D'ailleurs y a-t-il dans ce pays quelque chose qui soit à l'heure ? Aujourd'hui...