Lucas enlève ses lunettes de soleil et regarde Jeanne dans les yeux.
- Non, sérieusement. Tu as bien fait de quitter Bernard. Tu ne peux pas continuer avec un mec pareil. Il...comment dire...Ah! Oui ! C'est un dandin !
- Un quoi ?
À sa droite, Raymonde pose son livre et éclate de rire.
- Encore une expression de Lucas ! Tu vas t'habituer, ma belle ! Il a créé tout un dialecte bien à lui !
Nos rires d'enfance sont la seule chose qui vaille la peine d'être regrettée.
Un enfant est une toile vierge. Il faut la colorer, s’arrêter sur les détails. Le chef d’œuvre n’est jamais loin. Et pourtant on fait des tâches. On éclabousse sans le vouloir sa vérité. J’avais tellement peur de voir mes propres ratures en elle.
(...) les êtres qui nous entourent sont des puzzles. Dont personne ne possède toutes les pièces. Nous ne voyons que les bribes de ce qui constitue une personne. Nous la rencontrons à un instant de sa vie. Avec son lot de secrets, de non-dits, de fardeaux à porter. On se fait alors une image déformée.
(...) les circonstances devraient toujours être atténuantes. Personne n’adopte la mauvaise pente en toute connaissance de cause.
Une magicienne. La belle au bois dormant avait bien pour marraine trois petites fées. Eh bien, lui, sa grand-mère en était une. Pour de vrai. La fée Mamie. Sa Majesté Raymonde. La seule et l’unique.
Pour peu qu’on puisse s’imaginer une fée la clope au bec, en tenue confortable, chemise bariolée et baskets au pied.
On ne lui a pas bien appris à dire l'amour, alors elle le cuisine dans ses jolies marmites, elle l'enferme dans des bocaux stérilisés, elle l'aplatit au rouleau à pâtisserie, elle le fait bouillir et le met à rôtir avec tout son coeur à l'intérieur.
On apprenait aux enfants, aux adolescents qu'il faut être comme tout le monde. Un seul modèle.
Il ne voulait pas être une fiotte. Une pédale. Un pédé. Une tantouze. Ces mots que certains garçons du collège lui balançaient quotidiennement au visage. Se dire que d'autres semblaient finalement percevoir son secret l'avait mis dans un état de mal-être absolu.
Jeanne avait compris au contact de cette merveilleuse vieille dame à quel point les êtres qui nous entourent sont des puzzles. Dont personne ne possède toutes les pièces. Nous ne voyons que les bribes de ce qui constitue une personne. Nous la rencontrons à un instant de sa vie. Avec son lot de secrets, de non-dits, de fardeaux à porter. On se fait alors une image, plus ou moins déformée.
La magie de la lecture! Je crois que c'est une des choses qui la tient en vie, les livres. Après la cuisine et ses mots croisés!
Si je peux te laisser quelque chose, je te lègue cet ordre-là. Celui d'exister. De ne pas t'excuser d'être là. De vivre. Pour toi. De savoir pardonner. Et de surtout désobéir.