Citations sur Concours pour le Paradis (58)
Les artistes ne sont que les marionnettes du pouvoir, interchangeables tant qu’un nom ne vient pas légitimer les œuvres qu’ils réalisent.
Mon seul désir de représenter ce paradis de mon vivant serait de le retrouver dans l'au-delà.
Domenico respecta les règles appliquées aux peintres par le Concile de Trente. Il n'habilla pas les saints de vêtements profanes, ne figura pas d'animaux, ne croqua aucun visage de mécène, représenta le Christ avec une barbe ...
« Comme Ézéchiel, je reçois la parole de Dieu, la vérité divine, et je dois tenter d’en propager la sève en gardant pour moi son amertume. Alors que vous, bel artiste, cher Véronèse qui avez montre tant de fois dans cette église votre talent et votre audace, vous devez en quelque sorte montrer à Dieu Lui-même l’univers qu’Il a créé et, pire encore, vous devez Lui remontrer celui que nul n’a jamais pu voir. Par la réalité de vos pinceaux, vous allez révéler l’apparence de nos âmes, reproduire l’impalpable, engendrer l’inénarrable. »
Pendant que le prêtre parlait, Véronèse avait sorti une mine et s’était mis à dessiner. Ce qu’il entendait l’inspirait, touchait ce qu’il ressentait depuis toujours, l’éclairait sur sa mission… Saisir l’absolu, contempler le relatif…
Chacun de ses tableaux ne devient plus qu'un oxymore. Il cherche la clarté par les ténèbres, se sert du noir de charbon comme source lumineuse, il peint des féeries funèbres, des nocturnes incandescents. Si je le laissais faire, il peindrait probablement un enfer pour figurer le paradis.
C’était à lui qu’incombait donc la tâche de montrer que, quoiqu’il arrive, Venise se devait de donner au monde un visage toujours neuf, et toujours identique. Il avait déjà commencé les travaux de rénovation et sa présence pour décider de l’avenir de la salle la plus imposante en même temps que la plus symbolique du Palais allait de soi. Arrivèrent ensuite les autres membres de la commission.
Le rusé Jacopo avait alors demandé une éponge humide à l'un des domestiques. Il avait ôté la gouache qui recouvrait l'original du Titien et, bravache :
- Je vous remercie de tous vos compliments, mais voilà la véritable toile du Titien. L'autre, c'est moi qui l'ai peinte en une dizaine de minutes à partir de l' esquisse d'une de mes jeunes voisines. Maintenant, messieurs, voyez combien peu pèsent votre jugement, votre autorité et vos opinions sur l'art, le beau ou le talent, et combien peu d'entre vous comprennent vraiment la peinture.
Un silence embarrassé avait suivi cette sortie, que le rire du maître des lieux, le Signor Contarini - qui aimait autant Tintoret pour ses toiles que pour son caractère - , vint briser et, bon gré mal gré, chacun prit le parti de Jacopo qui fut applaudi de plus belle. On regretta que le portrait de la voisine ait disparu à jamais. Plus d'un patricien lui en commanda une copie, ravi de garder un souvenir de la férocité du maître.
Tintoret rappelait cette anecdote à son fils, cherchant à le prémunir contre les enthousiasmes frelatés et les éloges hypocrites.
Si tous les Vénitiens savent calfeutrer les seuils de leurs maisons pour éviter que les eaux de pluie ne dégradent leur intérieur, il n'existe aucun rempart contre la rumeur qui chemine, s'insinue et sème le doute dans tous les esprits.
L'idée de battre le Tintoret avec ses propres armes le faisait exulter, mais il préférait que celui-ci s'en rende compte par lui-même. Il aurait ainsi le plaisir de lire la rage impuissante dans ses yeux. Ce qui l'amusait le plus, c'était que le maître du clair-obscur ne pourrait jamais l'accuser de plagiat, ou il lui faudrait admettre avoir,concouru avec une esquisse vieille de dix ans.
Mais vous ne pouvez pas ne pas le connaître, il Tintoretto, le Tintoret, le petit roux, le bossu, le fils du teinturier, le peintre des Scuole, le roi du clair-obscur, "le dessin de Michel-Ange, la couleur du Titien", c'est lui-même qui l'a gravé sur la porte de son atelier... Qui ne le connaît pas n'est pas vénitien !