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sur 79 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
« Mangeterre » est un roman sur les violences faîtes aux femmes. de part le monde, les femmes crient pour que cela cesse.
En Argentine, une femme meurt toutes les 36 heures sous les coups de son compagnon ou d'un proche. Avec le confinement, le nombre de féminicide a augmenté d'un tiers et le nombre d'appels d'urgence pour dénoncer des violences domestiques a explosé. Un chiffre : 18 femmes ont été assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint pendant les vingt premiers jours du confinement de l'année dernière.
Sans aller aussi loin, on recense chaque année en France environ 225 000 femmes victimes de violences conjugales. En 2019, triste nombre, révoltant, 146 femmes ont été tuées par leur conjoint.
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« Mangeterre » un nom qui interpelle. C'est le surnom de la narratrice, une adolescente à part, d'humeur taciturne et indocile.
Elle se découvre un don le jour de l'enterrement de sa mère, victime des brutalités conjugales répétées. Par désespoir, colère, rébellion, elle mange de la terre, ce qui lui provoque des visions. Elles lui révèlent où sont les personnes disparues ou décédées et les circonstances de leur mort.

Ce pouvoir est un secours inestimable pour toutes ces familles à la recherche de parents disparus, des femmes la plupart du temps. Les familles affluent, apportant dans des petites bouteilles, de la terre foulée par leur proche disparu. Mais l'état de transe dans lequel plonge la jeune fille est aussi une terrible épreuve. Voir leur supplice, ressentir leur souffrance et leur peur l'obsède, l'habite dans ses rêves.

Trop jeune, elle se sent désorientée, partagée entre son envie d'aider les autres et le besoin de se protéger.
« J'ai caressé la terre qui me donnait des yeux neufs, me permettait d'avoir des visions auxquelles j'étais la seule à accéder. Je savais combien les messages des corps volés sont douloureux. »
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Terriblement immersif. J'ai respiré le parfum de la terre humide, j'ai ressenti du dégoût à en manger.
En seulement 200 pages d'une beauté crue et âpre, l'auteure nous immerge dans les pensées de cette jeune fille et nous ressentons ses peurs, ses fragilités, son mal-être, la nécessité de se préserver de toutes ses souffrances, mais aussi son désir d'apaiser les incertitudes et le désarroi de toutes ces femmes qui viennent la solliciter.
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Ce roman est aussi celui d'une adolescente qui se cherche. L'auteure donne ainsi vie à une héroïne complexe, forte autant que fragile, un peu sorcière, un peu voyante. Sous des apparences de dureté et de grossièreté, se cache une âme sensible, blessée et un coeur généreux. Nous ne connaîtrons ni son prénom, ni son âge.
« Je garde mes larmes pour moi, pour ne laisser sortir qu'une colère qui me donne l'impression d'être pétrifiée. »
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Mais ce qui est le plus intéressant, c'est cette image de la terre, qui boit le sang des victimes, et avec lui, leur douleur, leur peur, leur rage. Cette terre est la mémoire des violences commises, en particulier sur les femmes et les enfants. Cette terre qui lui permet de voyager jusqu'au disparu, d'entrer en contact avec lui lors de transes et de voir ce qui est arrivé.
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L'écriture évolue en fonction des besoins de la narration. Mangeterre s'exprime dans un langage argotique et cru. Mais le langage de la rue se substitue à une écriture plus poétique, plus profonde, plus riche. Ce mélange est assez déconcertant, mais rend le récit encore plus douloureux et poignant.
La violence est très présente, mais l'auteure ne décrit pas toute la barbarie et l'abjection des meurtres, le lecteur lit entre les lignes. J'ai aimé cette approche sans voyeurisme.
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La première partie du roman m'a emportée dans un univers fantastique, mystérieux et onirique, même si l'intrigue ne s'installe pas vraiment.
La deuxième partie de l'histoire m'a moins transportée, plus cru, moins onirique. Je me suis demandée où l'auteure voulait me conduire. Il n'y a pas vraiment d'intrigue, c'est plutôt un itinéraire de vie, une expérience individuelle, une fiction qui rend compte de la violence faite aux femmes et de l'impuissance des autorités à résoudre ces affaires criminelles.
La fin ouverte laisse le lecteur dans l'incertitude. Je comprends bien les intentions de l'auteure qui nous laisse comprendre que le combat pour le respect des femmes continue, mais je n'aime pas trop ce genre de fin.
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Roman lu après la magnifique critique de Berni_29 que je vous engage à lire, je ne regrette pas, même si je suis un tout petit peu moins enthousiaste que Berni. C'est un roman atypique, intrigant, agréable à lire, où se mêlent dureté et lyrisme. J'ai été prise dans un tourbillon de sentiments contradictoires, entre colère, tristesse, empathie, impuissance, révolte, beauté aussi.
Je vous engage à le lire pour vous faire votre propre avis.
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Je remercie chaleureusement les Éditions de l'Observatoire ainsi que Babelio pour cette lecture et leur confiance !

« Mangeterre » de Dolores Reyes est un roman singulier, étonnant de par son histoire et son style d'écriture ; fort et puissant pour son message adressé à toutes les femmes subissant des violences qu'elles soient physiques, psychiques, sexuelles. Mangeterre est une toute jeune fille perdue dans un climat de violence quotidienne, physique et verbale, de son père alcoolique et mauvais. Sa mère succombe sous les coups. Un énième féminicide sur cette terre d'Argentine. Cette jeune fille déscolarisée et vivant dans le dénuement le plus total avec son frère Walter dans la maison familiale, dispose d'un don. Lorsqu'elle est prise par l'envie irrépressible de manger, d'avaler de la terre, son corps et son psychisme perçoivent des choses, qui sont autant de visions sur ce qui est arrivé à une personne disparue, assassinée.

La terre dévorée est symbole de ce qui nourrit les plantes, les insectes, mais c'est aussi la terre où l'on est inhumé, le goût dans la bouche de celui qui mord la poussière. Mangeterre avale cette terre pour exprimer son dégoût de ceux qui font subir ces sévices aux filles et aux femmes d'Argentine. Ce livre adresse un message universel de lutte contre le fléau des féminicides. Un sujet plus que d'actualité. A l'école déjà, Mangeterre avait permis de retrouver le corps d'Ana son institutrice. Assassinée elle aussi. Il y a un mélange très intéressant au coeur de ce roman entre un réalisme cru, une violence pleinement présente, et une façon très onirique qui est presque de l'ordre du fantastique de nous présenter les choses. L'histoire est vu par les yeux de cette jeune fille qui s'exprime comme toutes celles de son âge. L'heure des transformations, des bouleversements, des premiers amours. La police représentée par le ténébreux Ezequiel lui demande son aide pour retrouver une jeune fille disparue. Elle s'appelait Maria.

Elle avale cette terre qui lui donne si mal au ventre puis des ombres dansent autour d'elle et elle perçoit les choses, la vie ou la mort, les détails pouvant conduire à la retrouver. Mangeterre se voudrait plus dure qu'elle ne l'est. Au fond d'elle, derrière ce masque de colère liée à une vie qui ne l'a pas épargnée, il y a une jeune fille qui souhaite faire le bien avec son don de vision. Mangeterre possède une profonde sensibilité mais elle se cherche. Un roman profondément original qui résonnera j'en suis sûr dans le coeur de ceux pour qui le combat, pour lutter contre les violences exercées par les hommes sur les femmes, est essentiel. Dolores Reyes a écrit ce roman comme un cri, celui de la colère mais aussi celui de la tendresse car tous les hommes ne sont pas bourreaux fort heureusement. Un roman qui dénonce, qui secoue, riche de ces quelques imperfections car l'idée profondément originale aurait pu être davantage creusée. Mais ce que je retiens de cette lecture c'est vraiment son message universel sur la question des violences subies par les femmes. A découvrir.
Lien : https://thedude524.com/2020/..
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La couverture colorée avec une jeune fille coincée dans une bouteille sur un tas de terre m'a tout de suite interpellée, tout comme le résumé mentionnant un don inhabituel. Un don qui oscille entre cauchemar et merveilleux, et qui va se révéler à notre protagoniste, jeune fille capable de voir le sort réservé aux disparus en ingérant un peu de la terre qu'ils ont foulée. Je dis disparus mais disparues serait plus juste, la plupart des évaporés étant des femmes.

Des femmes ayant subi la violence des hommes dans cette Argentine dont le portrait n'est pas flatteur, peut-être parce que nous suivons une jeune fille issue des quartiers populaires, déscolarisée et sans grande perspective d'avenir. J'ai regretté un manque de contextualisation et d'éléments culturels auxquels me raccrocher ne connaissant que peu l'Argentine. J'ai ainsi eu le sentiment que le roman aurait pu se passer dans un autre pays d'Amérique du Sud, voire du monde…

Mais c'est aussi la force de Mangeterre, cette portée universelle qui pend aux tripes et permet de saisir toute l'horreur qui se cache derrière chaque disparition. Bien que l'autrice ne cherche pas à susciter le pathos, se contentant d'énoncer les choses les plus dures comme les plus triviales avec un naturel mêlant poésie et brutalité, on se surprend très vite à ressentir une vive compassion pour Mangeterre. Un surnom donné à notre narratrice dont la personnalité se noie inexorablement dans sa déroutante capacité, qui la lie autant à la terre nourricière qu'elle la coupe du commun des mortels.

De fil en aiguille, sa vie se retrouve rythmée par les soirées avec son frère et ses amis, les bières avalées pour étancher une soif plus psychologique que physiologique, et les demandes des familles pour retrouver une fille, une mère, une cousine… La jeune fille a parfois du mal à faire face à cet afflux de désespoir, chaque bouteille emplie de terre déposée devant sa porte étant synonyme d'une potentielle vision dévastatrice. On la rétribue pour ses services d'un genre particulier, mais chacune de ses visions lui coûte bien plus que ce que l'argent lui permet d'acheter.

Malgré les difficultés et un apparent immobilisme, lui faisant prendre la vie comme elle vient sans autre considération que le lendemain, Mangeterre avance, petit à petit, pour trouver sa voie dans une obscurité heureusement éclaircie par des touches d'espoir. Une fille retrouvée avant qu'il ne soit trop tard, une relation soeur/frère qui permet d'avancer dans l'adversité, une histoire d'amour, l'apprentissage de bonheurs simples que l'on savoure d'autant plus dans une société où la violence peut vite vous rattraper… Je ne me suis pas attachée à cette héroïne dont les sentiments les plus profonds ne sont pas réellement étayés ni dévoilés, mais j'ai été captivée par cette existence en suspens où mort et vie se rejoignent dans la terre.

Tout au long de ma lecture, j'ai également été frappée par la manière brute et symbolique à la fois dont l'autrice dénonce les féminicides, forçant chaque lecteur à faire face à l'indicible sans détourner le regard. Ainsi, quand Mangeterre voit, nous voyons avec elle ! Et nous ressentons tout, de la violence, à l'injustice, en passant par la peine et la vie qui s'écoule et rejoint une terre qui parle et qui a tellement à dire. Notre narratrice se fait son porte-parole et lui permet de souffler la vérité avant qu'elle ne finisse définitivement enterrée, emportant avec elle ses vils secrets, les coups donnés en toute impunité, les viols commis sous les rires, les blessures infligées sans aucun remord… En levant le voile sur les disparitions, bien qu'elle opte parfois pour un mensonge moins lourd à porter, Mangeterre offre aux familles la possibilité d'un deuil futur et aux victimes, une forme de justice.

Reste la question de vraie justice qui semble ici presque occultée, soit parce que le roman est trop court pour que la question soit abordée, soit parce que, comme en France, elle est loin d'être à la hauteur. Et puis, faudrait-il déjà que les forces de l'ordre prennent au sérieux les disparitions, ce qui ne semble pas vraiment être le cas ici. On comprend alors pourquoi autant de familles se tournent vers notre narratrice, dernier espoir avant leur désespoir… Mais n'est-ce pas là une responsabilité trop lourde à porter pour une jeune fille qui a elle-même perdu sa mère sous les coups d'un père violent et alcoolique, et une ancienne enseignante qui vient encore hanter ses rêves ?

Alors que ce roman n'entre pas vraiment dans mes habitudes de lecture, il a eu un effet hypnotique sur moi, un peu comme si Dolores Reyes m'avait envoûtée. La vulgarité de certains propos et la familiarité de la narratrice m'ont souvent gênée, bien que je reconnaisse que vu le contexte, elles soient fort à propos. Mais en parallèle, j'ai été captivée par l'atmosphère et ce réalisme magique qui nous permet de lire l'horreur tout en gardant notre esprit et notre coeur à l'abri des plus forts tourments. On ressent et on vit, mais on arrive à se protéger pour ne garder en soi que l'important, la force du message et l'implacabilité avec laquelle il est martelé.

Entre paroles crues, scènes presque animales et poésie évocatrice d'une plume vive et incisive, un roman qui interpelle et qui met brillamment en lumière une violence endémique dont les femmes sont les principales victimes. Par son essence empreinte de réalisme magique, et son contexte culturel qui s'oublie derrière la portée universelle, Mangeterre fait partie de ses livres inclassables, mais inoubliables.
Lien : https://lightandsmell.wordpr..
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Dolores Reyes, je ne le savais pas, est une feministe argentine, très impliquée. Dans ce pays où les disparitions sont légion, et c'est une tradition presque : disparitions durant la dictature, et courage des mères sur la place à Buenos-Aires, et disparition de jeunes filles et femmes tuées ou envolées, depuis des dizaines d'années...

Elle nous livre dans ce premier roman, une héroïne, Mange-Terre, assaillie par des visions lorsqu'elle avale la Terre du lieu où ces femmes, filles ont disparues.

Avec ce don, digne d'histoires du réalisme magique, nous entrons dans une réalité dure, pauvre et dangereuse.

Tout est précaire, la vie, les habitations, et le climat, Mange-Terre n'évolue pas dans les quartiers privilégiés, ce n'est pas dit, c'est une évidence.

J'ai aimé dans ce roman, le bon mélange entre l'imaginaire et le réalisme social, la rude découverte d'une violence qui n'est ni édulcorée, ni complaisamment étalée.

Mange-Terre et son frère, grandissent et évoluent malgré tout, Elle réussit à vivre, à aimer aussi, dans un contexte ultra difficile, et si c'est loin d'être une lecture qui détend, c'est une lecture à la fois qui fait réfléchir, qui ouvre sur d'autres parties du Monde et qui fait réfléchir.

Un roman qui remue et fait découvrir une vraie face de l'Argentine contemporaine.
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Troisième lecture dans le cadre du Prix du Roman Fnac 2020

Mangeterre, que l'on ne connaîtra que sous ce surnom durant tout le roman, a un étrange pouvoir, celui, en mangeant de la terre, de découvrir ce qu'il est advenu de disparus. C'est dans sa plus tendre enfance qu'elle découvre cette malédiction, qui va être le plus souvent source de rejet, exceptés pour ceux qu'elle parvient à aider dans leur quête d'un disparu. Ce qui ne sera au début qu'une curiosité utilisée ponctuellement va devenir, par le bouche à oreille, bien plus pour celle qui, entretemps, est devenue une adolescente à l'aune de l'âge adulte, à la vie compliquée…

Lu d'une traite, Mangeterre est un roman déroutant qui mêle réalisme le plus prosaïque (la vie dans la misère de Mangeterre avec son frère, ses rencontres, ses premiers émois…), qui utilise de fait un langage particulièrement cru, dans toute sa banalité, et imaginaire évanescent et troublant (les transes de la jeune femme après avoir mangé de la terre), empreint au contraire de poésie, même si violente (les disparitions, comme on le sait, ont souvent des conséquences funestes). J'ai oscillé entre les deux avec beaucoup d'intérêt, trouvant le mélange particulièrement réussi, notamment parce que très fluide, au plus près des oscillations subies directement par Mangeterre.

Malgré tout, je n'ai pas été totalement charmée par ce roman : j'ai trouvé en effet que l'intrigue, de même que les principaux personnages, étaient trop superficiels, trop esquissés, pour donner une épaisseur suffisante, et à l'atmosphère déroutante du roman, et à Mangeterre.

Une lecture tout à fait appréciable en somme, mais qui m'a tout de même laissée sur ma faim.
Lien : https://lartetletreblog.com/..
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Sombre ambiance, entre violence, désoeuvrement, isolement, visions morbides.
La violence est d'abord celle d'une famille, un père qui frappe, une mère qui meurt, un garçon et une fille qui restent seuls. Ils ont moins de dix ans, puis traversent l'adolescence, deviennent (peut-être) de jeunes adultes, sans que l'on sache vraiment quel âge ils peuvent avoir. Walter, le frère, travaille dans un garage, invite quelques copains, ramène des filles à la maison. La soeur, elle, qui a lâché l'école depuis longtemps, ne fait pas grand chose : elle traîne chez elle, boit de la bière, joue à la Playstation et mange de la terre. C'est de là que vient son surnom. Car ce n'est pas qu'une sale habitude, c'est surtout un pouvoir : quand elle mange la terre du lieu où a vécu une personne disparue, elle est prise de visions. Elle voit précisément ce qui est arrivé à la femme ou à l'enfant que l'on cherche. Et elle peut indiquer aux proches inquiets où retrouver le corps.
Car la violence est toujours là. Des femmes sont enlevées, des enfants disparaissent, des jeunes se bagarrent avec des couteaux et des familles de plus en plus nombreuses viennent consulter Mangeterre.
Résumé ainsi, ce roman peut sembler être le meilleur remède contre la joie de vivre. Pourtant, malgré cette vision d'une jeunesse perdue, d'un pays violent, de parents meurtris, prêts à tout pour retrouver une fille, une épouse, une nièce, il est traversé par quelques fragments de clarté.
Les liens entre Mangeterre et Walter sont un exemple touchant de cette fidélité et de cette entraide qui sont parfois les seules richesses que peuvent encore partager des frères et des soeurs. le sens du devoir, incarné par le flic Ezequiel, mais aussi par Mangeterre et son frère, d'une certaine façon, constitue également une petite pincée d'optimisme dans ce bouillon sinistre. Enfin, sans dévoiler l'issue de cette histoire, la question se pose, à l'inverse, de la liberté dont nous pouvons disposer d'endosser ou non un rôle qui nous est assigné.
Pour terminer, je parlerai du style : très cru, brutal, direct, oral, il permet de rendre plus concrète une histoire basée sur surnaturel ; il aide aussi à donner vie à Mangeterre et son frère, différents par le pouvoir de l'une et par leur mode de vie, et pourtant très similaires à n'importe quel ado ou jeune adulte. Par ailleurs, la vivacité et la puissance d'évocation de la plume permettent aussi de faire naître le suspense ou, à l'inverse, la poésie des liens fraternels, amicaux ou amoureux.
Néanmoins, malgré ces qualités, je crains que les choix d'écriture, cette oralité, donnant beaucoup de place à un vocabulaire et à des tournures "très 2020" (du moins dans la VF, mais j'imagine que ça doit être pareil en espagnol) n'aident pas ce texte à supporter le passage du temps.
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Merci à la masse critique Babelio et aux éditions J'ai lu pour cet envoi.

Pouvoir revivre les derniers instants de quelqu'un en mangeant la terre qu'iel a foulée est un don particulier, une malédiction, possiblement mais ce n'est pas comme ça que le voit Mangeterre. Quand elle mange la terre, elle peut savoir ce qui est arrivé aux gens. Cela permet de les retrouver mais surtout d'apporter la mauvaise nouvelle aux personnes qui la sollicite pour avoir des nouvelles de disparus.
C'est la première fois que je lisais un roman Argentin. J'ai été intéressé par le principe de l'histoire et ai été impressionné par la dureté de la vie de cette jeune fille, qui devient femme au fil de l'aventure, et des épreuves et traumatismes qu'elle va devoir surpasser.
J'ai eu besoin d'un temps d'adaptation au vocabulaire employé, un peu chartier et argotique, mais qui colle parfaitement à l'ambiance du roman et à la situation de détresse des personnages.
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Contre le meurtre par avidité, contre le féminicide banalisé, inventer un don de voyance passant par l'ingestion de terre, et en extraire une poésie punk et combattante.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/07/12/note-de-lecture-mangeterre-dolores-reyes/

Dans la série dessinée « iZombie » (2010-2012) de Chris Roberson et Michael Allred, et davantage encore dans la série télévisée (2015-2019) de Diane Ruggiero-Wright et Rob Thomas, qui s'en est souplement inspirée, Liv Moore, revenante bien malgré elle, en ingérant le cerveau cuisiné de victimes de morts violentes, revivait sous formes de flashes abrupts un certain nombre d'instants-clé de leurs vies, jusqu'à leur décès, permettant à ses partenaires policiers la résolution parfois presque comique d'un crime improbable, et construisant au fil des épisodes une métaphore particulièrement tragique de l'exploitation des minorités par un capitalisme toujours plus cynique. Avec « Mangeterre », premier roman publié en 2019 et traduit en 2020 par Isabelle Gugnon aux éditions de l'Observatoire, l'Argentine Dolores Reyes impose avec force et poésie paradoxale une jeune fille bien vivante dont le don de voyance surnaturelle passe par la mastication de la terre – guère nourricière malgré les apparences, même si Alexander Dickow, dans son « Premier souper », en a construit une extraordinaire variation -, et nous offre une saisissante mise en abîme des meurtres régulièrement produits, en Amérique Latine ou ailleurs, par une matrice solidement ancrée d'avidité et de mépris haineux des objets-femmes, à jeter après emploi. Poussant avec ferveur la puissance de la métaphore bien au-delà du raisonnable, pour notre plus grand bonheur de lectrice ou de lecteur, elle invente une curieuse poésie punk, âpre et cinglante, intime et fantastique, hors des sentiers battus de la dénonciation, trafiquant l'estomac instinctif pour mieux atteindre le cerveau conscient et politique de toute une chacune et tout un chacun.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Un livre âpre, rude, et qui laisse un drôle de goût dans la bouche, comme la terre qu'avale l'héroïne de cette fiction coup de poing teintée de réalisme magique. Une plongée dans l'enfer des femmes argentines.

Mangeterre a un don, elle ne l'a pas choisi. Lorsqu'elle ingère de la terre elle a le pouvoir de voir les gens morts, de savoir où ils sont et ce qui leur est arrivé. Cette communication magique ne peut s'effectuer qu'avec de la terre ayant été foulée, ou dans laquelle est enterrée la personne disparue. Cette manie étrange qu'elle a depuis l'enfance la plonge dans un univers de souffrance, de violence et de mort. Ayant réussi à retrouver sans le vouloir enfant une camarade disparue, Mangeterre se voit sollicitée par des familles qui cherchent leurs proches. Ils disposent tous les jours des bouteilles de terre devant chez elle.

Difficile pour elle de refuser d'aider ces personnes dans la détresse, mais cela lui coûte tellement physiquement et psychiquement. Car Mangeterre voit les supplices des victimes durant ses visions, et lutte pour digérer le traumatisme fondateur de son enfance, avoir assisté au meurtre de sa mère par son père, avant que celui-ci ne les abandonne elle et son grand frère.

A travers les visions et les morts qui habitent le récit, on voit la violence des hommes envers les femmes, envers les enfants. Féminicides, viols, rapts…. Dolores Reyes nous conte ici l'horreur quotidienne qui sévit en Argentine, où plus d'une femme sur trois est victime de violences sexuelles, et où ce sont plus de trois mille femmes ou petites filles disparues qui n'ont jamais été retrouvées entre 1990 et 2013. Ce livre puissant fait l'effet d'un exutoire pour son autrice, militante féministe engagée contre les violences faites aux femmes, et dont le premier roman est traversé de ses combats.
Lien : https://lesmauxdits.fr/2020/..
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Mangeterre est une lecture particulière, difficile de dire le contraire. Particulière dans son intrigue, dans ses personnages, et surtout dans son écriture. Mais c'est cette particularité qui fait que Mangeterre est un roman dont je me rappellerai longtemps, même si le plaisir immédiat de lecture n'était pas forcément très grand.

Car effectivement, ce roman sort tellement des sentiers battus qu'il m'a été difficile de l'apprécier dans l'immédiat. Je ne peux nier ses qualités, mais il souffre selon moi de défauts qui m'ont empêché de l'apprécier pleinement. Et ce principal défaut réside, selon moi, dans son trop faible nombre de pages : le personnage de Mangeterre, son histoire, son évolution et tout ce qui gravite autour d'elle, aurait mérité d'être bien plus développé. Ce personnage m'a énormément touché, mais je reste sur ma faim concernant le début et la fin du roman, avec beaucoup trop de non dits à mon goût. L'autrice suggère beaucoup de choses, mais certains éléments auraient mérité d'être clairement énoncés selon moi.

J'ai adoré l'histoire de Mangeterre, cette jeune fille qui a le pouvoir de lire ceux qui foulent la terre en la mangeant. Ce pouvoir, elle va le mettre au service des autres tant que faire se peut. A travers les vies qu'elle tente de sauver, Mangeterre découvre des destins de femmes violées, maltraitées, fait l'expérience d'une culture patriarcale qui sème la mort. L'autrice nous livre un roman engagé, auquel j'ai adhéré.

La plume de Dolores Reyes mérite le coup d'oeil. Développer une histoire entre policier et fantastique sous une plume onirique, il fallait oser ! Et c'est réussi. Même si cela entraine un rythme de lecture particulier, et quelques zones d'ombre du fait d'une écriture très imagée, cela donne une vraie identité au roman. Que l'on adhère ou pas, l'écriture est très originale ! Pour ma part, j'ai aimé le style, mais malheureusement il ne m'a pas permis de m'impliquer totalement dans l'univers du roman car je manquais de repères.

J'étais mitigée en refermant ce roman, bien que ses qualités soient évidentes. Mangeterre est un OVNI littéraire, auquel on adhère totalement ou pas. Une expérience à tenter !
Lien : https://matoutepetiteculture..
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