Comment s'est-on perdus de vue? Je ne sais. Quelqu'un devrait écrire un jour un traité de l'amitié pour en expliquer les mystères, c'est complexe, l'amitié. Une passion, cela se délimite facilement: ça commence dans un lit, ou plutôt avec l'idée d'y aller rapidement, ça finit avec des mots, des scènes, des cris, de la haine souvent, tout est ritualisé comme une grande-messe, comme une passation de pouvoir au sommet de l'Etat. L'amitié est un sentiment fort, mais sa forme est vague. Elle se tisse lentement, elle se finit sans qu'on s'en aperçoive vraiment, tout doucement sans faire de bruit, comme dit la chanson. On a connu tant d'amis, et on ne se rend pas même compte qu'on ne les voit plus. Un jour, on tourne par hasard les pages d'un vieux carnet d'adresses que les portables ont rendu inutile, et on s'aperçoit enfin que c'est un cimetière de la mémoire: il ne reste pas trois personnes dont on sache ce qu'elles sont devenues.
Je déteste la nostalgie, cette maladie de vieillard qui étouffe l'époque. Des petits signes d'amis perdus de vue, de copains d'enfance, du lycée, de la fac, j'en reçois parfois. L'internet prête à cela. C'est rapide, sans façon, pratique. On donne trois nouvelles, j'en renvoie deux, oui tout vas bien, comme ça me fait plaisir, parfois on arrive même à se retrouver pour boire un verre, au bout du deuxième on ne sait plus quoi se dire, et voilà, on se promet de se revoir très vite, en sachant déjà qu'on ne se reverra jamais.