"La grande histoire des nouveaux mondes" de François Reynaert lu par François Hatt I Livre audio

L’étude du passé nous permet tout d’abord d’éviter un piège courant, celui de la nostalgie. La France serait en déclin, entend-on souvent, sa grandeur est passée. Avant, c’était mieux. «Avant» ? Mais quand exactement ? Tentez une expérience simple, feuilletez ce livre à l’envers, et cherchez une seule époque de notre passé où vous auriez voulu vivre. Alors ? En 1910, par exemple, au temps de cette France puissante, gouvernant un quart du monde ? Préparez donc l’uniforme, dans quatre ans vous aurez à affronter l’enfer des tranchées, la guerre et ses millions de morts, merci. En 1810 ? Cette fois ce sera l’horreur des guerres napoléoniennes. En 1710 ? Admettons que cela soit tentant, pour l’infime minorité qui aura la chance de se retrouver dans l’habit chamarré d’un bel aristocrate. Et encore, pas à Versailles. En cette fin de règne de Louis XIV, la vie y était sinistre. Que dire des 90% qui se réincarneront en paysans misérables au ventre creux et au dos cassé par l’ouvrage ? On a compris le jeu. La comparaison avec le monde d’hier ne doit pas nous mener à admirer benoîtement celui d’aujourd’hui. Elle peut nous servir à en relativiser les inconvénients, cela n’est déjà pas si mal.
Roger est déjà un jeune homme quand nous faisons sa connaissance. Contentons-nous de survoler les années qui précédent. Dans nombre de biographies de personnages célèbres, les premiers chapitres s'envasent dans la généalogie, puis piétinent dans l'enfance pendant des pages et des pages. Ce long sas qui précède l'entrée dans les faits m'a toujours semblé d'un mortel ennui.
On appelle ça un effet papillon.
J'ai des doutes sur la pertinence de la métaphore. Est-il raisonnable d'impliquer un être aussi gracieux dans une succession d'événements qui entraînent une telle catastrophe ? Faudrait-il alors parler d'effet scolopendre ? D'effet vipère ?
Mais comment être sûr d'une histoire qui n'est racontée que par son vainqueur?
La terre est ronde. Cela permet à tous les peuples qui l'habitent de se croire au centre du monde.
De notre point de vue du XXe siècle, compte tenu de l’histoire qui fut la nôtre dans les années 1960-1970, il est entendu que les jeunes générations sont plus libres que les anciennes, que la libération des mœurs suit forcément le sens d’un progrès constant. La confrontation du XIXe et du XVIIIe nous rappelle que cela n’est pas vrai. Il y a des raisons politiques à cela : si le XIXe affecte à ce point cette rigueur bourgeoise et pincée, c’est aussi par réaction au précédent. Dès 1789, le libertinage est associé à l’aristocratie, aux mauvais rois, à ce que l’on appelle désormais la débauche d’une société dont on a voulu se débarrasser. N’empêche, sous ce seul angle, la leçon est sans appel : comparer le siècle qui joue infiniment les «fêtes galantes» de Watteau à celui qui fait un procès à Madame Bovary pour attentat aux bonnes mœurs, c’est faire la preuve qu’il est des domaines où l’on n’avance pas toujours dans le bon sens.
Pour les nationalistes que le nom de Charles Martel fait vibrer encore , Jésus-Christ est aussi français que le roquefort ou le général de Gaulle .Ils oublient juste que si ce malheureux arrivait aujourd'hui de sa Palestine natale avec ses pratiques bizarres et son dieu étonnant , ils appelleraient la police pour le faire reconduire à la frontière .
En 2007, un président de la République française [Nicolas Sarkozy], en visite au Sénégal, n'osa-t-il pas encore une formule disant [...] restée célèbre pour cette raison : "L'homme africain n'est pas assez rentré dans l'Histoire."
Il faut croire que le conseiller qui lui avait écrit ce discours n'était, de son côté, pas assez entré dans les bibliothèques. Cela fait plus d'un demi-siècle que les intellectuels publient des livres qui cherchent, à leur manière, à tordre le cou à cette légende d'une Afrique antihistorique.
Une fois cela posé, ne peut-on aller un peu plus loin? La Seconde Guerre mondiale mérite de prendre de la place dans notre mémoire. Mérite-t-elle de prendre toute la place? Rien ne semble arrêter le déluge mémoriel. Tous les ans, encore plus de romans, d’essais, de films, de débats qui traitent, retraitent, surtraitent d’une période avec une obsession qui, avouons-le, finirait presque par faire peur.
Acceptons d’oublier au passage certains aspects de cette névrose qui peuvent exaspérer. Nous pensons à la pose de tant d’éditorialistes ou de responsables politiques qui brandissent à tout bout de champ le «devoir de mémoire», en se parant spontanément du noble esprit de la Résistance et n’hésitent jamais, par la vigueur de leurs propos, à faire preuve d’un héroïsme d’autant plus magnifique qu’il survient plus d’un demi-siècle après la fin de tout danger.
L’Empire romain n’est pas européen, il est méditerranéen. Dans nos représentations mentales d’aujourd’hui, cette mer marque une frontière entre un nord et un sud. Les drames des migrations du XXIe siècle nous le rappellent sans cesse. Pour un légionnaire, un marchand, un citoyen romain du temps d’Hadrien ou de Marc Aurèle, elle est un trait d’union. Cologne, aujourd’hui allemande, et Volubilis, qui se trouve à côté de Meknès, au Maroc ; Nîmes, en France, et Utique, à côté de Tunis, appartiennent au même univers. Le monde romain est un monde circulaire centré sur son berceau, cette mare nostrum considérée comme une mer intérieure.