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Critique de Saiwhisper


Vegans, âmes sensibles ou lecteurs anti-zombies, je vous déconseille de manger cette viande ! Non pas qu'elle soit avariée, mais cette carne vous fera frémir de dégoût ! Voilà un livre mettant en scène des mangeurs de chair humaine comme je n'avais jamais lu ! Julia Richard a proposé une sauce délicieuse pour accompagner sa barbaque : humour noir, scènes dérangeantes et sanglantes, narrateur confus luttant contre l'envie de se faire des knacki avec les doigts de pied de sa femme, horde de zombies revisitée, … Ce fut une bonne découverte qui ne manque pas de mordant, mais qui n'est pas à mettre entre toutes les mains ! Je remercie les éditions de L'homme sans nom qui a accepté de me laisser goûter à ces pages. Merci également à l'auteure pour sa petite griffe !

L'ouvrage met en scène Simon, un père de famille lambda qui va réaliser qu'il est devenu un horrible carnassier après avoir boulotté son chien Wurst. La tension monte assez vite, notamment une fois la première victime croquée. D'ailleurs, j'ai trouvé que les pages se tournaient toutes seules, car l'intrigue devient rapidement prenante. Pourtant, il y a de quoi dérouter le lecteur, car l'auteure joue avec la démence de son narrateur et la mise en page. En effet, on constate rapidement que la numérotation des chapitres n'est pas respectée. J'ai d'abord cru à une lecture déstructurée comme avec « le vide » de Patrick Senécal où on peut lire de façon chronologique en se référant au glossaire ou selon l'impression de l'ouvrage… Mais non ! « Carne » mélange volontairement le chiffre de ses chapitres dans tous les sens ! Ainsi, on peut très bien découvrir le chapitre -6, pour ensuite aller au chapitre 21, puis 5 ou 404 ! Ce nombre 404, qui revient d'ailleurs plusieurs fois au fil des pages, rappelle volontairement le message d'erreur sur les ordinateurs. Tromper avec les repères est très déconcertant et inhabituel. La typographie est également originale, car on distingue du texte en gras, des répétitions volontaires et beaucoup d'onomatopées. Julia Richard s'amuse aussi à entrecroiser certains passages, donnant alors l'impression d'être aussi confus que Simon. Qu'est-ce qui a eu lieu ? Que s'est-il passé entre temps ? Est-ce un cauchemar, de la démence ou la réalité ? On a la sensation de partager le trouble du héros qui ne sait malheureusement plus où il en est. Même si j'ai mis du temps à m'y habituer, ce procédé m'a plu, car je l'ai trouvé atypique et bien géré. Néanmoins, je peux comprendre que cela puisse déranger les lecteurs habitués à des récits plus classiques.

Habilement, l'auteure s'amuse avec le monde des zombies. On remarquera quelques clins d'oeil à des chansons (ex : The cranberries), à de la littérature Z ou encore à des films du genre (ex : « Shaun of the dead » avec le Winchester). Il y a aussi d'autres références culturelles (« Un indien dans la ville », « Les bras de Morphée », etc.). Elle va également revisiter l'idée de horde avec le groupe des Apôtres, dont l'humour et le mode de vie m'ont rappelé « le club des punks contre l'apocalypse zombie » de Karim Berrouka. Simon et ses congénères ne sont pas comme les goules de la plupart des ouvrages : ils ne sont pas des carcasses marchant lentement, la bave aux lèvres. Au contraire : Simon semble être encore très humain et a conscience de ses actes ! Certes, il a des pensées glauques, malsaines, incestueuses, cannibales et sordides… Cependant, il éprouve des regrets, utilise la carte de l'ironie, tente régulièrement de réfréner ses envies et continue d'essayer d'avoir une vie « normale » en allant au bureau ou en passant du temps avec sa famille. C'est un anti-héros complexe, pas forcément attachant (j'ai eu du mal avec les réflexions sur sa fille), qui va évoluer progressivement. D'une certaine manière, il m'a rappelé le personnage principal de « Comment j'ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l'amour » T1 de S. G. Browne, mais en plus taré ! Les protagonistes gravitant autour de Simon sont troubles. Jessica, la fille du narrateur, en est un parfait exemple. Sa froideur, sa vulgarité, sa détermination, son franc-parler, sa violence et son envie de vengeance m'ont fait vaciller. Certes, on comprend ses motivations, car ce qu'elle a vécu est horrible toutefois, son évolution ne m'a pas laissé insensible.

Derrière cette histoire de zombies et son humour noir, Julia Richard s'attaque à plusieurs thématiques comme les médias, la télé-réalité, le gouvernement, la justice et la société. C'est très intéressant, en particulier durant la dernière partie. « Carne » fut donc une découverte captivante, singulière, déroutante et originale qui fait réfléchir en cette période de pandémie… Mention spéciale pour le travail apporté au livre-objet, avec l'intérieur façon viande rouge. Êtes-vous prêts à plonger dans cette boucherie et à participer au festin ?
Lien : https://lespagesquitournent...
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