Emmanuelle Richard crie fort dans ce livre. Et elle vise juste. Il se trouve que je le lisais alors que le premier tour des élections présidentielles se jouait en France, quelle ne fut pas ma surprise en lisant "élections pestilentielles" au moment même, curieuse coïncidence. L'océan de privilèges qu'ont ceux qui sont "nés du bon côté" donne une envie de vomir absolument terrassante. J'ai reconnu dans ce livre des dizaines de personnes que j'ai rencontré en arrivant sur les bancs de la fac à Paris, après avoir quitté mon Nord natal.
Emmanuelle Richard a mis des mots sur ces intuitions, ces ressentis, ces décalages, ces phrases dédaigneuses, ces tensions sous-jacentes, qui insidieusement creusaient sous la terre de conversations apparemment sans histoire. Alors oui, les "élections pestilentielles " ne feront qu'accroître ce fossé donc on admet bien qu'il est délétère, qu'il est puant, qu'il est impropre à l'image de la France telle qu'elle est censée être.
Voir la protagoniste couler, sous les emplois, elle qui dit si bien que plus s'ajoutent les lignes sur le CV plus elle s'éloigne d'un avenir heureux. le capitalisme dans ce qu'il fait de mieux, épuiser jusqu'à la moelle. Extorquer toute once de vie. Faire miroiter une myriade de possessions toutes plus désirables les unes que les autres. Et laisser au bout d'une semaine en partant du début du mois, la pression inextinguible du "aurais-je assez ?". Comment, alors qu'elle se tue au travail, ne peut-elle s'accorder aucun plaisir ? Comment, alors que ses camarades n'ont aucun emploi, passent-ils des journées dans une oisiveté proche de l'inconscience ? On vibre d'injustice au gré des pages.
Je pense à tous ceux qui se sont reconnus du côté des plus riches, des plus méprisants, des plus indifférents. Quel comble ce serait de placer ce livre entre leur mains, quelle liquéfaction cela occasionnerait chez eux... Merci, d'avoir conté ainsi la France qui souffre, et des trois tares que constituent la couleur de peau, l'origine socioéconomique et le sexe, la protagoniste qui en compte deux, a la tête dans les graviers. Blanche aux yeux bleus, exploitée. le passage où elle parle de son identification au personnage du film de Philippe Faucon, un arabe qui refuse de serrer la main à une blanche, est transperçant. Elle a au creux du ventre la même haine, ne pas faire ami-ami avec le riche qui se présente à elle quand chez lui c'est le privilège lié à l'origine ethnique qui repousse.
On respire mieux, et on hait plus, après ce livre.