L'histoire officielle est bien souvent écrite par les vainqueurs. Et dans cette histoire, il y a parfois la volonté de faire disparaître des personnalités peu reluisantes, des trajectoires obscures qui ont participé à entretenir un système profondément inégalitaire et criminel, comme peut l'être le capitalisme.
C'est ainsi que l'autrice franco-américaine Jennifer Richard a exhumé du passé Basil Zaharoff (1849-1936) en revenant sur son parcours de marchand d'armes dans une biographie historique et romancée.
Le roman débute en 1936 à l'aube de sa vie, où on le suit dans un de ces nombreux hôtels à Monaco, accompagné de sa fille Angèle. Lui qui a vécu dans le mystère, n'hésitant pas à éliminer les journalistes trop curieux, il décide de transmettre à sa fille ses mémoires dans lequel on découvre l'entièreté de son parcours, son histoire d'amour avec sa femme Pilar, et ses réflexions sur ses affaires.
Grec né dans l'empire Ottoman, marchand d'arme impitoyable, surnommé «Ministre des munitions des Alliés» pendant la Guerre 1914-1918 - conflit durant lequel il aura constitué son immense fortune – Zaharoff a été aussi banquier, propriétaire de nombreux journaux, travaillant avec les plus grandes familles d'industriels (Krupp, Vickers, Schneider), et proche de nombreux chefs d'États de l'époque (de Clemenceau à Hitler), ce qui lui a valu d'être décoré des plus hautes distinctions dans de nombreux pays, dont celle de commandeur de la Légion d'honneur...reçue le jour de l'assassinat de
Jean Jaurès, le 31 juillet 1914.
Confronté à sa fille qui ne partage pas sa vision du monde, et qui lui partage ses critiques au fur et à mesure qu'elle découvre les mémoires de son père, on pourrait penser que près de la mort, Basil Zaharoff s'absoudrait de ses crimes... Mais rien n'y fait : cynique jusqu'au bout il garde l'idée que si ce n'était pas lui qui avait agi de la sorte, une autre personne l'aurait fait.
L'autrice aurait pu tomber dans l'écueil de faire de Zaharoff une version personnalisé de la théorie du complot. Sans jugement, elle présente un parcours qui est rendu possible par le capitalisme, et le soutien des États impérialistes et colonialistes. D'ailleurs, à la fin de sa vie, il admet, amèrement, que sa mort ne changera rien à la conduite du monde, qui s'apprête à basculer dans l'horreur de la Seconde Guerre Mondiale. Par là-même, l'autrice – qui dédie ce roman aux Gilets Jaunes – nous rappelle que s'il est important de dénoncer les agissements des puissants, c'est en s'attaquant à l'organisation sociale capitaliste que nous pourrons stopper le carnage en cours.