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Jules Rouff (01/01/1885)
3.5/5   2 notes
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
« Les Millions de Monsieur Joramie » fait suite au roman-feuilleton « La Petite Mionne » publié l'année précédente par Émile Richebourg chez le même Jules Rouff. On y retrouve plusieurs personnages de ce précédent récit, et d'ailleurs, de manière fort intelligente et équitable, l'auteur a sélectionné ici des personnages qui n'avaient joué qu'un rôle modéré ou secondaire dans « La Petite Mionne », tandis que les héros de ce premier roman se font ici discrets, ou ne font qu'une brève apparition.
Par ailleurs, « Les Millions de Monsieur Joramie » évolue dans un style très différent de « La Petite Mionne », qlequel s'inscrivait dans une optique lacrymale relativement classique du feuilleton. Ce roman-ci se veut bien plus moderne dans la forme, déjà parce qu'il s'agit avant tout d'un roman policier, ou plus exactement, comme on le disait encore, un "roman judiciaire", et ensuite parce qu'il traite alors d'un thème très en vogue sous la IIIème République : le détournement d'héritage.
le chaos qui suivit la guerre franco-prussienne puis la chute du Second Empire provoqua l'éclatement de bien des familles françaises, certains monarchistes ou bonapartistes jugeant bon de prendre le large, parfois en se faisant passer pour morts. Une rêverie populaire s'installa, soigneusement alimentée par les romanciers et les feuilletonistes : l'héritage inattendu d'un lointain cousin ou d'un oncle dont on était sans nouvelles ou que l'on pensait mort depuis longtemps. Des cabinets notariaux se spécialisaient même dans les recherches d'héritiers, publiant des annonces dans les journaux et offrant récompense à toute personne qui aurait le contact de M. X, neveu de M & Mme Y., décédés à Z, « pour affaire le concernant ».
Ce contexte particulier faisait donc rêver lecteurs et lectrices qui auraient alors donné beaucoup pour qu'un notaire vienne les arracher à leur morne et désargenté quotidien afin de leur révéler qu'un lointain parent ne les avait pas oubliés, et les faisait légataires universels de leur fortune.
Sans surprise, « Les Millions de Monsieur Joramie » exploite cette veine avec brio et inventivité. Les faits se déroulent trois ans après la fin de « La Petite Mionne ». le Comte de Soleure est devenu un très proche ami de Paul Joramie, le naïf millionnaire grâce auquel la perfide Raymonde Duchemin, ex-comtesse de Soleure, avait retrouvé son standing. Débarrassés l'un et l'autre de cette ignoble manipulatrice qui les a si bien dupés, les deux hommes ont nourris, de par leur complicité et grâce à la confiance qu'induisaient leurs fortunes respectives, une solide amitié qui, néanmoins, prend fin le jour où Paul Joramie, bien plus âgé que le comte, meurt dans son lit, après une courte maladie. Il expire en prononçant un prénom féminin : « Claire ».
Paul Joramie était un millionnaire, on le savait, mais sans famille directe encore vivante. Ses héritiers sont en fait de lointains cousins, issus comme lui de la Nièvre, que Paul n'a vu que deux ou trois fois dans sa vie. Mais ils n'en demeurent pas moins les uniques membres de sa famille encore en vie; aussi se croient-ils les légataires universels des 8 millions de francs que constitue la fortune de Monsieur Joramie.
Ces héritiers potentiels sont pour la plupart des paysans grossiers, rapiats et mesquins : les Parizot, des agriculteurs cossus mais pas spécialement à force de travailler honnêtement; les Fourel, un vieillard et sa fille, Anastasie, dévote et célibataire, nantie d'un physique d'oiseau de proie qui a fait fuir tous les prétendants; et enfin Joseph Rabiot, lui aussi enfant du pays, mais ayant fait fortune à Paris comme propriétaire immobilier. Bourgeois quinquagénaire, corrompu et affairiste, Joseph Rabiot est un homme autoritaire et charismatique, qui juge être le seul qui soit digne d'hériter des millions de son cousin – et peut-être n'a-t-il pas tort – mais cet intrigant brutal et de peu de scrupules ne recule pas face à l'idée de devoir assassiner sa famille entière pour parvenir à ses fins. Habilement d'ailleurs, il sympathise avec Henri Cordier, l'ancien secrétaire de Paul Joramie, en lequel il devine une fripouille aisément manipulable.
Tous ces gens se donnent rendez-vous à l'hôtel particulier de Paul Joramie, déjà prêts à en faire les tiroirs et les armoires, et à revoir la décoration selon leurs goûts. Il faut la double autorité du Comte de Soleure, et du notaire chargé d'ouvrir le testament, pour ramener ces êtres cupides à leur devoir.
D'autant plus qu'ils ne tardent pas à s'apercevoir qu'ils se sont déplacés pour rien : Paul Joramie révèle dans son testament que, très jeune, il a vécu à Bourgneuf, en Charente-Maritime, une relation amoureuse cachée avec la fille d'un paysan cossu de la région, une certaine Claire Guérin. Paul lui-même était alors très pauvre, et ne pouvait prétendre épouser Claire. Aussi, décida-t-il un matin d'aller faire fortune aux États-Unis, où, sous la Restauration, on pouvait encore s'enrichir facilement dans les colonies françaises du Nouveau Continent. Il revint à Bourgneuf huit ans plus tard, fortune faite, pour demander aux Guérin la main de Claire, mais ceux-ci lui contèrent que, seulement quelques mois après le départ de Paul, Claire ne pouvant plus cacher une grossesse manifeste, il y eut un monumental scandale dans la famille, d'autant plus que Claire ne voulut jamais révéler le nom de celui qui l'avait mise enceinte. Homme dur et exagérément strict, le père Guérin, décédé depuis, avait chassé sa fille, laquelle était partie droit devant elle, en pleurant. Nul ne l'avait jamais revue et nul ne savait depuis ce qu'elle est devenue…
Paul Joramie a passé des décennies à chercher en vain Claire Guérin et l'enfant qu'elle aurait eu de lui, sans jamais trouver le moindre indice. Bien qu'enclin à penser que Claire est sans doute morte avant d'accoucher, Paul Joramie, en rédigeant son testament, fit du Comte de Soleure son exécuteur testamentaire, et lui demanda de puiser dans sa fortune, pendant les dix prochaines années, afin de rechercher Claire Guérin, ou plus probablement ses descendants, pour les reconnaître comme légataires universels. Dans le cas où l'enquête révèlerait que ces gens sont morts ou demeurent introuvables, Joseph Rabiot, les Parizot et les Fourel hériteraient des millions de Monsieur Joramie.
Les cousins sont bien évidemment furieux, car non seulement, ils ne sont pas sûrs de toucher l'héritage, mais quand bien même on ne trouverait pas trace d'une descendance Guérin, eux-mêmes n'hériteraient que dans dix ans. Joseph Rabiot, plus intelligent, leur fait miroiter d'autres perspectives. Certes, Soleure et le notaire vont rechercher Claire Guérin, mais qui empêche les cousins de la chercher eux aussi – mais pour la tuer ?
Au départ, le hasard leur sourit : ce nom de Claire Guérin est immédiatement familier à Mme Parizot. Une fois revenue dans sa ferme de Grandval, et en cherchant dans la paperasse, elle découvre qu'une des vieilles servantes de la maison, qu'elle a toujours connue depuis qu'elle est née, s'appelle en réalité Claire Guérin. Cette servante est une vieille folle très travailleuse et qui n'a jamais demandé un centime d'augmentation : aussi depuis près d'un demi-siècle, elle promène sa silhouette névrosée et mutique dans toute la ferme, sans que plus personne ne se demande encore ce qu'elle fait là. Introvertie, elle ne prononce qu'un minimum de mots, fuit les conversations, et se contente à certains moments de lâcher des profonds soupirs qui témoignent d'un ancien chagrin jamais consolé. de par cette habitude, tout le monde a fini par la surnommer Beau-Soupir, et presque personne ne connaît son vrai nom. Seule une jeune paysanne, employée par les Parizot, Denise Morel, a réussi à gagner son amitié.
Joseph Rabiot, avec l'aide des Parizot, met en place toute une stratégie pour tuer Beau-Soupir. Envoyée un soir de tempête aux abords d'une mare, Claire Guérin est assassinée par Henri Cordier, prudemment déguisé en vagabond. Il est juste censé l'assommer et la jeter dans la mare afin qu'elle s'y noie, afin que l'on croie à un accident, mais la vieille femme est coriace, et Henri Cordier est obligé de maintenir son corps sous l'eau avec son pied pour la noyer.
Il en résulte donc que les traces multiples de violence subies par la victime, tout comme la position du cadavre, bien trop enfoncé dans la boue, mettent la police sur la piste d'un meurtre déguisé en accident. Les Parizot paniquent, s'emparent des bijoux retrouvés dans les affaires de Beau-Soupir et les cachent dans la chambre de Denise Morel. Une perquisition les révèle, et la jeune paysanne est arrêtée. Néanmoins, bien que le juge soit persuadé de sa culpabilité, quinze jours de détention ne lui permettent pas de faire avouer la jeune fille, qui clame son innocence avec une droiture et une franchise qui collent mal avec l'acte atroce dont on l'accuse. Par ailleurs, les bijoux de Claire Guérin n'ont quasiment aucune valeur, et forment un bien pauvre mobile. Denise Morel est finalement relâchée pour manque de preuves, et l'enquête se recentre sur les Parizot, à leur grand dam.
Néanmoins, au travers de son interrogatoire, Denise a appris du juge que son frère Lucien, qu'elle avait perdu de vue enfant, est devenu peintre, élève du fameux Georges Ramel, et qu'il vit à Paris. Ayant perdu son travail, elle dépense le peu d'argent qui lui reste dans l'achat d'un billet de train pour Paris. le hasard la met aussi en présence, dans son compartiment, du Comte de Soleure, qui revient juste de Grandval avec les papiers certifiant la mort tragique de Claire Guérin. Candide, Denise lui raconte alors qu'elle était très amie avec Claire Guérin, et que celle-ci, inquiète ces derniers temps pour sa vie, lui a raconté toute son histoire. Soleure apprend donc, de cette voisine de compartiment imprévue, que Claire Guérin a bien accouché d'une petite fille à l'hôpital de Nevers, où elle avait été portée après avoir été ramassée au milieu de la rue, perdant ses eaux. Face au désordre psychologique et émotionnel de Claire Guérin, qui ne voulait ni dire son nom, ni d'où elle venait, l'enfant fut confiée à une famille d'adoption, et serait donc toujours vivante.
Après bien des recherches, Soleure et Joseph Rabiot découvrent conjointement mais chacun de leur côté que la fille de Claire Guérin, Virginie-Ursule Lureau, vit misérablement à Paris, en veuve d'un ouvrier du bâtiment mort depuis quelques années, et qu'elle est d'ailleurs menacée d'expulsion pour loyers impayés, avec sa fille Eugénie, par son propriétaire intraitable, un certain… Joseph Rabiot. Mieux encore, Eugénie est courtisée par un jeune élève artiste peintre, Lucien Morel, le propre frère de Denise.
Joseph Rabiot met donc au point son ultime stratégie pour s'emparer de la veuve et de la fille Lureau : après en avoir expulsé le locataire, il installe Anastasie Fourel dans le logement voisin des Lureau, et en bonne voisine, Anastasie développe une amitié envahissante en exerçant une emprise religieuse sur la simplette et conservatrice veuve Lureau, malgré l'hostilité marquée d'Eugénie.
Soi-disant conquise par ses nouvelles amies dans la gêne, Anastasie leur propose de venir vivre avec elle gracieusement dans une maison qu'elle vient de s'acheter à Ville d'Avray, non loin de la forêt de Saint-Cloud. Cette maison en réalité est la propriété de Joseph Rabiot, qui s'invite volontiers certains jours, pour essayer d'obtenir de la veuve Lureau qu'elle lui accorde la main d'Eugénie. Une fois ce mariage établi, il n'aurait plus qu'à supprimer sa femme et sa nouvelle belle-mère pour devenir – à lui seul – le légataire universel des millions de Paul Joramie, spoliant ainsi ses cousins et ses complices. Henri Cordier perce son plan à jour, et tente de le faire chanter, mais Rabiot parvient à l'assassiner et à jeter son corps dans le puits du jardin. Ce qu'il ignore, c'est que ce puits est l'axe central d'un réseau de souterrains qui vont permettre à Lucien Morel, à Ambroise Mourillon et au Comte de Soleure de sauver les deux héritières du péril qui les menace. Rabiot et ses cousins finiront sur la guillotine, et c'est évidemment Lucien Morel qu'Eugénie Lureau épousera. Mais quelle histoire, nom de nom !
« Les Millions de Monsieur Joramie » est à compter parmi les plus grandes réussites du roman-feuilleton. Non seulement Richebourg corrige pratiquement tous les défauts qui minaient la lecture de « La Petite Mionne », mais il signe un roman incroyablement palpitant, pratiquement sans aucune longueur en 1287 pages de récit.
Malgré quelques ficelles un peu grossières, « Les Millions de Monsieur Joramie » impressionne encore par la sophistication et le réalisme d'une intrigue policière pleine de mystère et de suspense, utilisant habilement chaque personnage comme un rouage menant au rebondissement suivant. de Paris à Grandval, de Grandval à Ville d'Avray, le lecteur voyage à travers une longue intrigue, complexe mais fluide, durant laquelle Émile Richebourg s'offre le luxe de composer quelques digressions nullement ennuyeuses, dont celle qui permet à Ernest Renaudin, revenu de Russie où il était demeuré durant « La Petite Mionne », d'épouser enfin la veuve du sinistre Durosoy, en sauvant son père d'une dette phénoménale qui aurait ruiné toute la famille.
En fervent républicain "de gauche", Émile Richebourg profite de son roman pour distiller un portrait à charge contre la cupidité sans scrupule de la bourgeoisie rurale, aujourd'hui disparue, mais aussi contre les discours manipulateurs religieux, qui parviennent à maquiller en vertus des crimes inacceptables.
Franc mais nullement militant, cet engagement politique manifeste donne aux « Millions de Monsieur Joramie » une profondeur idéologique et morale plus subtile et plus originale que bien d'autres romans-feuilletons, faisant de son roman une oeuvre authentiquement socialiste, prônant assez ouvertement la redistribution des richesses à ceux qui en ont besoin, mais sous le seul jugement de l'équité et de la probité morale. Autres temps, autres moeurs…
Enfin, quelques mots pour finir, sur le principal illustrateur des « Millions de Monsieur Joramie », Félix Régamey, qui prend la suite du sulfureux Alexandre Ferdinandus. Il nous livre pas moins de 160 gravures tout à fait expressives, le plus souvent réalistes, mais quelquefois allégoriques et grinçantes, qui mêlent académisme et prémisses du Grand Guignol. Elles apportent beaucoup d'attraits à ce roman, même si comme souvent, peu informé des intrigues, l'illustrateur représente les mêmes personnages avec des visages et des âges différents.
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