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Myriem Bouzaher (Traducteur)
EAN : 9782253942092
217 pages
Le Livre de Poche (01/03/1995)
3.71/5   54 notes
Résumé :
"Je crois que l'on peut affirmer que la prétendue "surhumanité" de Nietzsche a pour origine et modèle doctrinal non pas Zarathoustra, mais le comte de Monte-Cristo." C'est à partir de cette affirmation de Gramsci qu'Umberto Eco a eu envie d'aller enquêter du côté des "surhommes" des romans populaires, de Rocambole à Monte-Cristo, d'Arsène Lupin à James Bond, de Tarzan à Superman, sans oublier Rodolphe de Gerolstein. Pourquoi et comment lit-on les romans-feuilletons ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
De cet essai, trois détails paratextuels m'ont attiré d'emblée : 1. le titre, qui se semblait renverser paradoxalement une perspective historique, même si je me doutais bien que Superman ne pût être le dernier avatar en date du surhomme ; 2. la citation d'Antonio Gramsci que l'auteur place à la fois en incipit et en exergue de l'essai : « […] on peut affirmer que beaucoup de la prétendue "surhumanité" nietzschéenne a comme origine et modèle doctrinal non pas Zarathoustra mais le Comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas », affirmation susceptible de mettre à jour au moins une des fanfaronnades sublimes de Nietzsche ; 3. mon antipathie invétérée pour tout ce qui est « légitime » dans la culture à laquelle/dès lors que lui est attribuée une tel épithète, antipathie d'autant plus aiguë à l'égard du snobisme de tous ceux qui regardent de haut les « sous-cultures » [alors que je suis indulgent envers ce que ma propre attitude possède elle-même d'horriblement snob, qu'Allah me pardonne...].
Cet essai a pour objet principal le rapport entre la figure littéraire du surhomme et le roman populaire et particulièrement le roman-feuilleton du XIXe siècle. Dans une série de chapitres issus d'articles conçus et publiés séparément, il retrace l'archéologie du surhomme à partir du « populisme » des _Mystères de Paris_ d'Eugène Sue, en tenant compte de la situation de la production (l'offre) ainsi que de la réception (la demande) de la littérature populaire, non sans rapport avec la problématique tout à fait centrale des « attentes » du lectorat de son époque, lesquelles, à leur tour, sont toujours liées à la psychologie, à la sociologie et au climat politique ambiants. En effet, la littérature populaire (qui survit voire s'anoblit avec le temps...) doit son succès à sa capacité de répondre à – voire à flatter – ces attentes, en d'autres termes à ce qu'Eco qualifie d'« idéologie consolatoire », qui explique et justifie toutes sortes de procédés narratifs et de caractérisations psychologiques des personnages – et même leur absence.
Après Eugène Sue et ses pirouettes politiques, un chap. 4 est consacré entièrement à Monte-Cristo. Ensuite, sous le titre : « Grandeur et décadence du surhomme » (ch. 5), un catalogue est proposé allant du Vathek de William Beckford (1782, à l'origine du « gothic ») jusqu'à Tarzan (personnage à la longévité incomparable !), comportant une esquisse de périodisation (fondée sur la littérature française uniquement) scandée entre : 1. le prince Rodolphe et le comte de Monte-Cristo, 2. Rocambole et 3. Fantômas et Arsène Lupin. Suivent : un long ch. 6 entièrement consacré à Superman, que l'on pourrait résumer comme la recherche des conditions nécessaires afin que l'on puisse parler de héros pour ce personnage double, notamment en relation avec les notions de « consumation », de « temporalité » et de « hétérodirection » ; un court ch. 7, qui ressemble à une antithèse de l'ensemble du livre, car il s'occupe non de littérature populaire policière mais du _Six Problèmes pour Isidro Parodi_ coécrit par Borges et Bioy Casares et analysé au prisme de la théorie de l'« abduction » du grand sémiologue Charles Sanders Peirce ; et enfin un long ch. 8, dédié aux « Structures narratives chez Fleming », qui m'a laissé en bouche le goût amer de l'ignorance, car je suis assez connaisseur du James Bond 007 cinématographique, mais pas du tout de son modèle littéraire, dont il paraît se distinguer considérablement.
La conclusion de l'ouvrage, dont il est fait explicitement mention de sa date, 1993, (cf. infra cit. de l'excipit) semble à la fois prémonitoire sur le surhomme-idiot du village – que l'on songe à l'équation : Comte de Monte-Cristo – Napoléon III = surhomme contemporain – Donald Trump – et complètement périmée, puisqu'il est question du surhomme polar-télévisuel et non de celui, actuel, des séries « netflixiennes » ou des super-productions hollywoodiennes dont certaines semblent avoir donné au surhomme une nouvelle vie (y compris dans les nouvelles moutures des James Bond, objectivement bien plus complexes que ne l'était le héros d'Ian Fleming des années 50-60).
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Clark Kent et Nietzsche dans le même titre, la table est mise. Ce n'est pas un essai, c'est un assemblage de trois textes pas toujours tout jeunes traitant des héros de romans-feuilletons, de Superman et de James Bond.

Dans la première partie, Umberto Eco survole l'impressionnante production de roman-feuilletons pour parler des héros de cette littérature populaire. Il explique pourquoi Richelieu est le vrai héros des Trois mousquetaires, pourquoi le Comte de Monte Cristo est à la fois le meilleur roman du monde et la pire prose éditée, pourquoi Fantomas nous séduit avec ses plans diaboliques, pourquoi Arsène Lupin n'est pas du tout un simple as de la cambriole mais un maître du monde... Et il analyse les valeurs de l'époque où l'oeuvre est produite pour montrer en quoi elle catalyse les aspirations populaires du moment. La justice, la vengeance, la morale... autant de moteurs narratifs qui parlent directement au lecteur. Et en filigrane, ce surhomme nietzschien qui semble avoir totalement disparu de notre réalité.

Dans la seconde partie, Eco aborde une autre de ses marottes : Superman. Et il explique comment on arrive à écrire des milliers de comics sur un homme invincible capable de toutes les prouesses. Comment ? En faisant en sorte que chacune de ses aventures ne laissent aucune trace, aucune conséquence sur le monde qui l'entoure. Ce sont des séquences indépendantes qui ne font jamais évoluer le personnage. Et si le lecteur se sent attiré par Superman, c'est par le truchement de Clark Kent, qui incarne l'homme moyen, un peu trouillard et dominé par Loïs. Un vrai travail de proximité qui permet à tout à chacun de se projeter dans cet univers. L'analyse d'Eco est datée car elle a été écrite dans les années 60, mais le propos n'est pas dépassé pour autant. Ça pose des questions intéressantes pour un auteur : comment faire en sorte que le lecteur s'investisse dans le héros ? Réponses : en racontant la vie ordinaire d'un type moyen qui va se rendre compte un beau jour que son univers n'est pas ce qu'il croit, une recette qui forme l'intrigue de base de 99% des romans d'urban fantasy publiés de nos jours. On se reconnait dans la médiocrité du héros et quand il sort du cadre étriqué de sa petite vie, on rêve l'espace de quelques chapitres d'échapper à notre tour à la semaine du blanc, à la vidange de la R5 et à la douloureuse question "Qu'est-ce qu'on mange ce soir ?".

Dans la dernière partie, Eco s'attaque a un gros morceau : James Bond en livre. Il dissèque la bête, montre que tous les bouquins de la série sont ficelés sur le même modèle, que tous les méchants sont juifs, vilain et marxo-pas-de-chez-nous, que James est l'incarnation du britannique propre sur lui. Ce n'est pas nouveau, le fascisme et le racisme de Ian Fleming vous explose à la gueule dès que vous ouvrez ses romans. Mais Eco montre comment Fleming intéresse le lecteur à son histoire : en décrivant méticuleusement l'anodin. Contrairement aux films, le James Bond en livre insiste lourdement sur des détails de la vie banale, avec de longues descriptions d'objets du quotidien. Car c'est ce que le lecteur connaît bien. Et les scènes incroyables, les trucs palpitants, ils sont vite expédiés car ils ne parlent pas au lecteur. Comment on démonte et remonte un Walter PPK, tout le monde s'en fout, car jamais nous n'avons la possibilité d'y toucher. Mais hésiter sur la composition d'un cocktail, prendre du bon temps dans une partie de cartes, ça c'est universel. Là encore, comme pour Superman, l'analyse d'Eco est un brin vieillotte, on sent bien que le Daniel Craig de Casino Royal manque à l'appel, mais le décorticage en règle de la saga littéraire des James Bond reste très percutant.

Globalement, le livre contient quand même des passages très techniques sur l'objectalité oulipienne chez Borges ou bien l'influence du fabula aristotélicien sur le moralisme post-napoléonien. Mais ça fait partie du contrat quand on lit Umberto Eco : ça demande des références plus poussées qu'une lecture assidue de l'Équipe. Mais comme d'habitude avec ce vieux monsieur, le lecteur et l'écrivain trouveront dans ce court livre des réflexions fort intéressantes sur le mythe du surhomme. Et qu'on l'aime venu de Krypton, armé d'un permis de tuer, enfermé en prison mais en train de résoudre des enquêtes ou en armure pour affronter un dragon, comprendre la nature de notre attrait pour ses prouesses physiques, pour ses valeurs morales, pour cet altruisme est intéressant. En tant que lecteur, il est toujours utile de comprendre comment on se fait hameçonner par son auteur fétiche, et en tant que raconteur d'histoires, il est important de bien savoir accrocher son leurre.
Lien : http://hu-mu.blogspot.com/20..
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Dans cet ouvrage analytique, Umberto Eco redonne ses titres de noblesses à la littérature populaire et redore le blason du "kitch". C'est sans complexe et de façon si pertinente qu'il place côte à côte, Nietzsche et Dumas, Bergson et Fleming, nos pépites de la philosophie et nos loosers de l'écriture.

Après avoir distingué les différentes phases du roman populaire depuis le XIXème siècle jusqu'à nos jours, Umberto Eco met en évidence le rapport entre L Histoire et l'histoire et les liens ténus, tenaces et si difficiles à saisir qui lient le lecteur à la littérature populaire.

Plein de clairvoyance et d'ironie, il porte un regard sévère sur notre société de consommation et l'étudie comme il étudierait une société primitive, en anthropologue culturel.

Mais Umberto Eco ne serait pas Umberto Eco si son style n'était pas si pesant et si répétitif, ne se contentant jamais d'un seul exemple pour apuyer ses dires, ne résistant pas à la tentation, parfois, de nous livrer de longs passages en VO pour le traduire ou le retraduire en plusieurs langues. Certaines de ses considérations, pesantes, inutiles, perdent le lecteur dans des tergiversations mystérieuses. Néanmoins, il offre, lorsqu'il s'y met, une prose et une analyse saisissantes de véracité, de justesse et de pertinence.
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Dans cet essai, Umberto Eco applique la théorie sémiotique, ou science des signes, pour analyser le succès de James Bond, de Superman ou du comte de Monte-Cristo. Il tente de démonter les ressorts de la littérature « de consolation », comme il l'appelle, qu'il oppose à la « vraie » littérature, celle De Balzac par exemple, qui ne présente que des « personnages problématiques ». Une façon de réactiver le débat éternel entre les partisans de ceux qui pensent qu'à partir du moment où un livre plaît, c'est qu'il est bon, et ceux qui, au contraire, estiment que certains critères permettent de distinguer la littérature de qualité des romans de gare. Même si l'on peut regretter que l'ouvrage d'Eco ne soit qu'un empilage d'articles, ou que certaines affirmations soient contestables (celle qui, par exemple, identifie Arsène Lupin au nationalisme), on ne peut qu'être d'accord avec sa thèse. J'ajouterais que c'est sans doute parce qu'ils sont faciles à lire, parce qu'ils ne soulèvent pas de questions, que les romans de certains auteurs obtiennent un tel succès. En effet, comme le disait Claude Roy, « la bonne littérature a toujours cette infériorité sur la mauvaise, c'est qu'elle n'est jamais simple ».
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Lorsque j'ai commencé ce livre de théorie, je ne m'attendais pas à l'apprécier autant ! Il se lit, selon moi, aussi facilement qu'un roman. Même si les cinquante premières pages sont costauds, la suite se lit avec une facilité déconcertante. U. Eco nous parle de choses qui peuvent parfois paraître complexes mais il les rend très claires.

U. Eco décortique de nombreux genres littéraires avec pertinence et justesse. Ses théories m'ont fait voir des choses que je n'avaient jamais perçues et a également approfondi ma connaissance de la littérature. On ne s'ennuie vraiment pas dans ce petit livre théorique car l'auteur découpe sa pensée de manière très concise et évoque un large panel d'auteurs et d'oeuvres. Il nous parle à la fois du roman feuilleton, du polar, de la bande-dessinée... etc. J'ai vraiment appris beaucoup de choses. Je remercie l'auteur d'avoir écrit un si bon livre. Il nous donne de véritables clés pour mieux comprendre et analyser les oeuvres littéraires, et ça, c'est formidable lorsqu'on est passionné par la littérature. Je ne peux que vous conseiller ce livre très inspirant.
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Citations et extraits (33) Voir plus Ajouter une citation
Le début de Bons Baisers de Russie est plus significatif encore de cette technique du regard sans but : on a une page entière de "presque" nouveau roman, une brillante variation sur un corps, celui d'un homme nu, immobile, comme frappé de rigidité cadavérique, qu'un libellule bleue et verte explore pore après pore, poil après poil. Et, alors que place sur la scène une subtile odeur de mort si habilement suscitée par l'auteur, l'homme bouge et chasse la libellule. Il bouge parce qu'il est vivant et s'apprête à se faire masser. Le fait qu'il gise à plat ventre, comme mort, n'a aucune importance pour la suite du récit. L'œuvre de Fleming regorge de ce genre de passages pleins de virtuosité, feignant une technique du regard et un goût du superflu que non seulement le mécanisme narratif du récit ne requiert pas mais qu'il rejette. Quand l'histoire en arrive aux nœuds essentiels (aux "coups" de base énumérés précédemment), la technique du regard est résolument abandonnée : Robbe-Grillet est remplacé par Souvestre et Allain, le monde objectal laisse la place à Fantomas.
Ou plus exactement les temps de la réflexion descriptive, très attirants car étayés par une langue nette et efficace, viennent soutenir les pôles du Faste et de la Programmation, tandis que ceux de l'action irraisonnée expriment les moments de la Privation et du Risque. Ainsi, l'opposition entre ces deux techniques (ou la technique de cette opposition stylistique) n'est pas fortuite. Si cela était, la technique de Fleming, qui interrompt le suspens d'une opération tendue et dense – une procession d'hommes-grenouilles vers un duel à mort – pour s'attarder sur la faune sous-marine et la conformation d'une corolle, s'apparenterait à la technique ingénue de Salgari, capable d'abandonner son héros qui a trébuché, durant une folle poursuite, sur une grosse racine de séquoia, pour nous conter l'origine, la propriété et la répartition de ces arbres sur le continent nord-américain.
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Quand il décrit le grenier des Morel, la famille du tailleur de pierres précieuses, honnête et malheureux, son aînée séduite, engrossée et soupçonnée d'infanticide par le perfide notaire Jacques Ferrand, sa fillette de quatre ans morte de privations sur la paille, ses autres enfants rongés par le froid et la faim, sa femme agonisante, sa belle-mère folle à la bouche baveuse qui perd les diamants dont il avait la charge, les huissiers à sa porte venus le traîner en prison, c'est alors que Sue mesure toute la puissance de sa plume. Parmi les centaines de lettres qu'il reçoit, entre les nobles dames qui, enivrées, lui ouvrent leur alcôve, les prolétaires qui saluent en lui l'apôtre des pauvres, les lettrés de renom qui s'honorent de son amitié, les éditeurs qui se le disputent à coups de contrats en blanc, le journal fourriériste La Phalange qui le glorifie comme celui qui a su dénoncer la réalité de la misère et de l'oppression, les ouvriers, les paysans, les grisettes de Paris qui se reconnaissent en ces pages, la publication d'un Dictionnaire de l'argot moderne, ouvrage indispensable pour l'intelligence des "Mystères de Paris" de M. Eugène Sue, complété d'un aperçu physiologique sur les prisons de Paris, histoire d'une jeune détenue de Saint-Lazare racontée par elle-même, et deux chansons inédites de deux prisonniers célèbres de Sainte-Pélagie, les cabinets de lecture qui louent dix sous la demi-heure les exemplaires du Journal des Débats, les analphabètes qui se font lire les épisodes du roman par les concierges instruits, les malades qui, pour mourir, attendent la fin de l'histoire, le président du Conseil en proie à des crises de colère lorsque l'épisode ne paraît pas, les jeux de l'oie inspirés des Mystères, les roses du Jardin des Plantes baptisées Rigolette et Fleur-de-Marie, les quadrilles et les chansons suggérées par la Goualeuse et le Chourineur, les requêtes désespérées que le roman-feuilleton engendre déjà et engendrera encore ("Faites revenir le Chourineur d'Algérie ! Ne faites pas mourir Fleur-de-Marie !"), l'abbé Damourette qui, poussé par la lecture du roman, fonde un orphelinat, le comte de Portalis qui préside à l'institution d'une colonie agricole sur le modèle de la ferme de Bouqueval décrite dans la troisième partie, les comtesses russes qui s'imposent d'interminables voyages pour obtenir une relique de leur idole – parmi toutes ces délirantes manifestations de succès, Sue atteint le sommet rêvé par tout romancier, il réalise ce que Pirandello ne fera qu'imaginer : Son public lui envoie de l'argent pour secourir la famille Morel. Et un ouvrier chômeur, nommé Bazire, lui réclame l'adresse du Prince de Gerolstein, afin d'avoir recours à cet ange des pauvres, ce défenseur des indigènes.
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Or chez Fleming, la diversion, au lieu de ressembler à une entrée du Larousse située au mauvais endroit, acquiert un double relief : d'abord, elle est rarement une description de l'inhabituel – comme chez Salagari ou Jules Verne – mais la description du déjà-connu ; ensuite, elle n'intervient pas en tant qu'information encyclopédique mais en tant que suggestion littéraire, et à ce titre, elle va "ennoblir" le fait raconté.
Examinons ces deux points car ils révèlent l'âme secrète de la machine stylistique de Fleming.
Fleming ne décrit jamais le séquoia, le lecteur n'a jamais eu l'occasion d'en voir. Il décrit une partie de canasta, une voiture de série, le tableau de bord d'un avion, le wagon d'un train, la carte d'un restaurant, le paquet de cigarettes d'une marque trouvable dans n'importe quel bureau de tabac. Il liquide en quelques lignes un assaut donné à Fort Knox parce qu'il sait qu'aucun de ses lecteurs n'aura jamais l'occasion de dévaliser Fort Knox ; et il explique longuement le plaisir éprouver à empoigner un volant ou un levier de vitesse au plancher, car ce sont là des gestes que chacun de nous peut, pourrait ou voudrait accomplir. Fleming s'attache à nous restituer le déjà-vu avec une technique photographique, puisque c'est sur le déjà-vu que fonctionnent nos capacités d'identification. Nous nous identifions non pas à celui qui vole une bombe atomique mais à celui qui conduit un yacht luxueux ; non pas à celui qui détruit une fusée mais à celui qui fait une longue descente à skis ; non à celui qui s'adonne au trafic de diamants mais à celui qui commande un bon repas dans un restaurant de Paris. Notre attention est sollicitée, flattée, orientée vers le domaine des choses possibles et désirables. Là, le récit devient réaliste, l'attention maniaque ; quant au reste – qui relève de l'invraisemblable – quelques pages et un implicite clin d'œil suffisent. Personne n'est tenu d'y croire.
Une fois encore, le plaisir de la lecture n'est pas donné par l'incroyable et l'inouï, mais par l'évident et l'habituel.
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Il existe une constante permettant de distinguer le roman populaire du roman problématique : dans le premier, il y aura toujours une lutte du bien contre le mal qui se déroulera toujours ou en tout cas (selon que le dénouement sera pétri de douleur ou de joie) en faveur du bien, le mal continuant à être défini en termes de moralité, de valeurs, d'idéologie courante. Le roman problématique propose au contraire des fins ambiguës, justement parce que tant le bonheur de Rastignac que le désespoir d'Emma Bovary mettent exactement et férocement en question la notion acquise de "Bien" (et de "Mal"). En un mot, le roman problématique place le lecteur en guerre contre lui-même. Telle est la ligne de démarcation ; tout le reste pourra être (et souvent est) mis en commun.
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Si Lupin séduit ses contemporains, c’est que Maurice Leblanc (par calcul ou par absorption inconsciente de l’air du temps) fait de son gentleman cambrioleur l’incarnation du héros français, le représentant d’une énergie, d’un élan vital, d’un goût pour l’action associé à un respect de la tradition. Autrement dit, on retrouve chez Arsène Lupin, de façon très évidente, plusieurs théories : Sorel (l’énergie créatrice, la polémique contre la bonasserie et la stupidité de la bourgeoisie, la construction volontariste d’un mythe), Bergson (un « élan vital » interprété du point de vue du surhomme et inspiré, justement, de Sorel), ou encore Maurras (la condamnation de l’accumulation de l’argent, un certain sens mystique de la tradition française).
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