De cet essai, trois détails paratextuels m'ont attiré d'emblée : 1. le titre, qui se semblait renverser paradoxalement une perspective historique, même si je me doutais bien que Superman ne pût être le dernier avatar en date du surhomme ; 2. la citation d'
Antonio Gramsci que l'auteur place à la fois en incipit et en exergue de l'essai : « […] on peut affirmer que beaucoup de la prétendue "surhumanité" nietzschéenne a comme origine et modèle doctrinal non pas Zarathoustra mais
le Comte de Monte-Cristo d'
Alexandre Dumas », affirmation susceptible de mettre à jour au moins une des fanfaronnades sublimes de
Nietzsche ; 3. mon antipathie invétérée pour tout ce qui est « légitime » dans la culture à laquelle/dès lors que lui est attribuée une tel épithète, antipathie d'autant plus aiguë à l'égard du snobisme de tous ceux qui regardent de haut les « sous-cultures » [alors que je suis indulgent envers ce que ma propre attitude possède elle-même d'horriblement snob, qu'Allah me pardonne...].
Cet essai a pour objet principal le rapport entre la figure littéraire du surhomme et le roman populaire et particulièrement le roman-feuilleton du XIXe siècle. Dans une série de chapitres issus d'articles conçus et publiés séparément, il retrace l'archéologie du surhomme à partir du « populisme » des _Mystères de Paris_ d'
Eugène Sue, en tenant compte de la situation de la production (l'offre) ainsi que de la réception (la demande)
de la littérature populaire, non sans rapport avec la problématique tout à fait centrale des « attentes » du lectorat de son époque, lesquelles, à leur tour, sont toujours liées à la psychologie, à la sociologie et au climat politique ambiants. En effet, la littérature populaire (qui survit voire s'anoblit avec le temps...) doit son succès à sa capacité de répondre à – voire à flatter – ces attentes, en d'autres termes à ce qu'Eco qualifie d'« idéologie consolatoire », qui explique et justifie toutes sortes de procédés narratifs et de caractérisations psychologiques des personnages – et même leur absence.
Après
Eugène Sue et ses pirouettes politiques, un chap. 4 est consacré entièrement à Monte-Cristo. Ensuite, sous le titre : « Grandeur et décadence du surhomme » (ch. 5), un catalogue est proposé allant du Vathek de
William Beckford (1782, à l'origine du « gothic ») jusqu'à Tarzan (personnage à la longévité incomparable !), comportant une esquisse de périodisation (fondée sur la littérature française uniquement) scandée entre : 1. le prince Rodolphe et
le comte de Monte-Cristo, 2. Rocambole et 3. Fantômas et Arsène Lupin. Suivent : un long ch. 6 entièrement consacré à Superman, que l'on pourrait résumer comme la recherche des conditions nécessaires afin que l'on puisse parler de héros pour ce personnage double, notamment en relation avec les notions de « consumation », de « temporalité » et de « hétérodirection » ; un court ch. 7, qui ressemble à une antithèse de l'ensemble du livre, car il s'occupe non de littérature populaire policière mais du _Six Problèmes pour Isidro Parodi_ coécrit par
Borges et
Bioy Casares et analysé au prisme de la théorie de l'« abduction » du grand sémiologue
Charles Sanders Peirce ; et enfin un long ch. 8, dédié aux « Structures narratives chez Fleming », qui m'a laissé en bouche le goût amer de l'ignorance, car je suis assez connaisseur du James Bond 007 cinématographique, mais pas du tout de son modèle littéraire, dont il paraît se distinguer considérablement.
La conclusion de l'ouvrage, dont il est fait explicitement mention de sa date, 1993, (cf. infra cit. de l'excipit) semble à la fois prémonitoire sur le surhomme-idiot du village – que l'on songe à l'équation : Comte de Monte-Cristo –
Napoléon III = surhomme contemporain –
Donald Trump – et complètement périmée, puisqu'il est question du surhomme polar-télévisuel et non de celui, actuel, des séries « netflixiennes » ou des super-productions hollywoodiennes dont certaines semblent avoir donné au surhomme une nouvelle vie (y compris dans les nouvelles moutures des James Bond, objectivement bien plus complexes que ne l'était le héros d'
Ian Fleming des années 50-60).