- Viens, a lancé Arpège en nageant vers la cascade.
- Quoi, là-bas ?
- Ca te fait peur ?
- Au cas où tu n'aurais pas remarqué, y a une cascade vénère qui n'attend qu'une chose : nous assassiner si on l'embête.
- Elle ne te fera pas de mal, justement parce que tu as peur. C'est très bon, la peur. Ça donne de l'énergie, de la précision. Du courage, surtout. En manquerais-tu ?
- Attention où tu marches.
Arpège m'a désigné le sol : recouvert de plantes.
Des clochettes de muguet s'éparpillaient çà et là, entre des boutons d'or aux pétales arrondis et des colchiques d'un mauve lumineux. Et aussi... une autre espèce que je n'ai pas su identifier. Les fleurs avaient la taille et la couleur des flocons de neige. Étoilées, chétives, elles pétillaient par milliers au bout de tiges qui s'ouvraient en parapluie.
Je me suis inclinée pour les effleurer ; elles ont alors... esquissé un mouvement de recul?
- Qu'est-ce que...?
Arpège m'a rejointe d'un démarche souple.
- On les appelle des Facéties. Elles sont fragiles. Et chatouilleuses. Je crois que tu leur as fait peur. Il ne faut pas les brusquer, sinon elles vont se désaccorder.
- Se désaccorder?
- Assieds-toi, laisse-les s'habituer à ta présence.
On aurait pu écrire une symphonie, rien qu'avec les soupirs des filles alentour.
Le corps de la femme est le temple de la vie. Qui serait assez fou pour oser le profaner ?
J'ai levé le menton vers la lune...
... et étranglé un cri.
- Quoi ?
- La lune ! Elle est turquoise. Je ne comprends pas... elle était rose hier.
Arpège a jeté un œil au ciel puis s'est reconcentré sur ma jambe ; l’échauffement se calmait.
- Et alors ? Tu es toujours de la même humour, toi, d'un soir à l'autre ?
- Comment on va faire pour ta moto ?
Dièse a pris une grande inspiration.
- Elle va guérir. Mais on doit la laisser se reposer.
- Les «Trois Ordres», hein ? Sans vouloir te vexer, ça fait un peu Seigneur des Anneaux. Vous avez des elfes, par ici ? Parce qu'un rencard avec Legolas, je ne dis pas non !
- Qui est ce Legolas ? Un Vivace ?
- Oh oui, il est vivace ! En particulier avec son arc.
Complexe, ce songe.
À mon réveil, il faudrait que je lève le pied sur la lecture de romans fantastiques. Et sur le vin de la famille Grillon. Oui, moins d'imaginaire, plus d'histoire-géo.
Chacun de ses gestes hurlait «je suis libre et confiante et sensuelle».
Une bombe.
Moi, j'avais une chevelure trop longue qui ressemblait à un animal sauvage, Insolence* de Guerlain, et une gaucherie encombrante qui me tenait lieu de «sens de l'humour».
*mot en italique dans le texte
Tant de questions se fracassaient dans ma tête : comment rentrer à Saint-Crépin ? Pourquoi les Vivaces haïssent-ils les Diapasons ? Est-on vraiment à l'intérieur d'une boite à musique ? Vais-je revoir Dièse avant de partir ? Comment apprivoise-t-on un renard ?