Antoine voudrait l'appeler César. Vous en avez déjà parlé. Ce ne sera pas une fille. Maintenant quand tu touches ton ventre en demandant à César, Antoine ne sourit plus. Le sujet le rend mal à l'aise depuis que tu ne travailles pas. Si l'on ne travaille pas, on peut éventuellement avoir un nouveau lave-vaisselle d'occasion, pas un enfant.
Dans le GPS, le soleil ne se couche jamais, il ne pleut pas et ne vente pas. La lumière se répand uniformément sur les pelouses et les ruisseaux, les mares aux nénuphars sont charmantes et tous les espaces nommés clairement. Les nuages impriment sur les sols des animaux fascinants...Tu apprécies ce monde, sans météo, sans contrainte, sans choix.
Si un enfant meurt, c'est une tragédie. A partir de vingt ans, on parle de drame. A trente, c'est triste, et à partir de quarante, regrettable. La mort des octogénaires est dans l'ordre des choses.
Au téléphone Sandrine a dit : « Ne t’inquiète pas, je vais t’accompagner. »
Elle a raccroché.
Tu étais rassurée sur ton importance : Sandrine allait sécher les préparatifs de ses propres fiançailles pour venir te chercher. Tu as sorti une bouteille de muscat puis t’es assise sur ton canapé, les bras croisés en attendant son arrivée. C’est dans cette posture que tu passes le plus clair de ton temps. Si tu tapais dans Google Images « Attente et désœuvrement », tu retrouverais ta position fétiche représentée dans toutes sortes de situations.
Le téléphone a vibré. Un lien Google Maps – que tu appelles toujours GPS par abus de langage, comme si toutes les cartes, toutes les représentations du monde et les technologies étaient les mêmes, de simples outils pour te conduire à bon port – s’est affiché :
Sandrine souhaite partager sa localisation avec vous.
Les friches industrielles sont des endroits suspects. Personne n'a rien à faire d'honnête dans une friche. Tu pourrais aussi te méfier des lieux plus anodins, comme les hypermarchés. Leur présence même dans les marges de la ville est louche.
L'intérieur est toujours plus puissant que l'extérieur. Il n'y a qu'à voir les tremblements de terre : on a beau construire avec application des immeubles et des usines, quand les profondeurs se rebiffent, rien n'est assez solide.
Autrement, il faudrait que tu rejoignes toi aussi la carte. Intégrer son paysage de synthèse et devenir un point rouge. Le problème du chômage ne se pose pas dans un GPS. Celui du réchauffement climatique non plus. Les incendies pas davantage: dans le GPS la nature se tient à carreau. Antoine n'aurait pas de travail si le monde était aussi docile que sur le GPS. Les gens qui y habitent sont des gens stables. Ils sont pétrifiés dans une position qui les occupe, à jamais accessibles aux curieux, même si certains d'entre eux ont depuis fait une dépression, ou se sont suicidés.
C'est peut-être ça le purgatoire. Un espace où tout le monde est figé pour l'éternité en train de descendre sa poubelle ou de faire ses lacets.
C'est peut-être ça le purgatoire. Un espace où tout le monde est figé pour l'éternité en train de descendre sa poubelle ou de faire ses lacets.
Le suspense demeurerait entier et serait le lieu de toutes les conjectures. Mais le monde n'est pas un livre, et l'on accepte l'inachevé.
Tu défais le paysage à chaque fois que tu le traverses, contre toi toute la carte du monde, d’un seul tenant, et sa mort.