Citations sur Correspondance à trois : Eté 1926 (15)
Nous nous touchons, comment ? Par des coups d'aile,
par les distances mêmes nous nous effleurons.
Un poète seul vit, et quelquefois
vient qui le porte au-devant de qui le porta.
Sir rühren uns, womit ? Mit Flügelschlägen,
mit Fernen selber rühren wir uns an.
Ein Dichter einzig lebt, und dann und wann
Kommt, der ihn trägt, dem der ihn trug, entgegen.
R. M. RILKE - À MARINA TSVÉTAÏEVA
Mai 1926
Rainer, tu peux dire oui à tout ce que je veux - ce ne sera jamais bien grave. Rainer, quand je te dis : je suis ta Russie, je te dis seulement ( une fois de plus ) que je t'aime. L'amour vit d'exceptions, d'isolations, d'exclusions. L'amour vit des mots et meurt des faits.
Extrait d'une Lettre de Tsvétaïeva à Rilke - 22 août 1926
"A travers les mondes et les contrées, au bout de tous les chemins,
Couple éternel de ceux qui - Jamais. Ne se rencontrent."
"Durch alle Welten, durch alle Gegenden, an allen Wegenden,
Das ewige Paar der sich - Nie. Begegneden."
MT à BP, 23/05/26
MT à RMR, 9/5/26 :
"J'ai lu ta lettre au bord de l'océan, l'océan lisait avec moi, nous lisions ensemble. Ce lecteur en tiers ne te gêne-t-il pas? Il n'y en aura pas d'autres - je suis beaucoup trop jalouse (en toi - ardente*)
(*MT joue sur l'étymologie des deux adjectifs : eifersüchtig / eifrig)
De Rilke à Tsvétaïeva mai 1926 :
Poétesse, sens-tu à quel point tu m'as subjugué, toi et ton superbe compagnon de lecture*, j'écris comme toi, comme toi je sors de la phrase pour descendre les quelques marches qui mènent à l'entresol des parenthèses où les plafonds sont très bas sur un parfum de roses anciennes, qui ne cessent jamais. Marina : comme j'ai habité ta lettre.
* il s'agit de l'océan, au bord duquel Marina a lu la précédente lettre de Rilke.
"Le livre est un fragment cubique de la conscience qui brûle et qui fume, rien de plus [...]"
Pasternak à Tsvetaieva, 23/5/26
"Ce qui m'appartient dans l'être humain, c'est le front et la poitrine, mon coeur je le donne aisément. Pas ma poitrine. J'ai besoin d'une caisse de résonance. Le coeur a un son étouffé."
Tsvetaieva à Rilke, 14/8/26
MT à BP, 10/7/26 :
"[...] Ce dont je me plains : de l'impossibilité de devenir un corps. De l'impossibilité de couler."
Tsvetaïeva à Rilke, Saint Gilles-sur- Vie, jour de L'Ascension 1926
"Je t'écris dans les dunes, dans l'herbe chétive des dunes. Mon fils ( 1 an 3 mois, Georges -- en l'honneur de notre armée blanche...) -- mon fils, donc, est à califourchon sur moi (sur ma tête presque) et m'attrape mon crayon (j'écris directement dans un cahier). Il est si beau que les vieilles femmes (ces costumes ! que n'es-tu ici !) n'ont qu'un cri : "Mais c'est un petit roi de Rome !"
......Cette nuit, j'ai lu dans tes Elégies de Duino. Dans la journée, je n'arrive jamais à lire ni à écrire, les tâches quotidiennes empiètent même sur la nuit, car je n'ai que mes deux mains.
... Que te dire de ton livre ? Le degré suprême. Mon lit changé en nuage."