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Citations sur Le Livre d'Heures (10)

Et cependant, quoique chacun s’évertue à se fuir
ainsi que d’un cachot qui vous hait et vous tient, —
de par le monde il est un grand miracle :
je le sens : "toute vie est vécue".

Qui donc la vit ? Sont-ce les choses qui
comme une mélodie jamais jouée
sont dans le soir comme dans une harpe ?
Sont-ce les vents que les eaux soufflent ?
les branches qui se font signe ?
les fleurs qui tissent des parfums ?
les longues allées vieillissantes ?
les bêtes chaudes qui circulent ?
ou les oiseaux, ces étrangers dès leur envol ?

Qui donc la vit ? La vis-tu, Dieu — la vie ?

("Le livre du pèlerinage", p. 131)
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Tu es le pauvre, toi, le démuni,
tu es la pierre sans repos,
tu es le lépreux repoussé
qui avec sa crécelle rôde autour de la ville.

Car tu n’as rien, aussi peu que le vent,
et à peine ta gloire vêt-elle ta nudité,
le pauvre habit que tous les jours l’orphelin porte
est autrement splendide, et il est bien à lui.

Tu es pauvre comme un fœtus
qui remue dans la fille que son état couvre de honte,
qui se presse les flancs pour étouffer
le premier souffle de sa maternité.

Et tu es pauvre : comme la pluie de printemps,
qui tombe, heureuse, sur les toits de la ville,
comme un souhait à quoi s’accroche un prisonnier
dans sa cellule exclue du monde à tout jamais.
Et comme les malades qui trouvent du bonheur
à changer de côté ; comme les fleurs entre les rails,
pauvres, et tristement dans le vent fou des voyages ;
et comme la main où l’on pleure, si pauvre...

Et près de toi que sont les oiseaux qui ont froid,
qu’est le chien affamé depuis longtemps,
et qu’est-ce près de toi cette perte de soi,
cette muette et longue tristesse des bêtes
oubliées dans leurs cages ?

Et que sont près de toi et près de ta détresse,
que sont ces miséreux des asiles de nuit ?
Ils ne sont que cailloux, non point meules,
mais pourtant moulent un peu de pain.

Mais toi tu es dans la plus profonde détresse,
le gueux qui cache son visage ;
tu es la grande rose de la pauvreté,
l’éternelle métamorphose
de l’or en lumière solaire.

Tu es l’apatride furtif
qui jamais plus n’aura de place dans le monde :
trop grand, trop lourd pour tout besoin.
Tu pleures dans la tempête. Tu es comme une harpe
qui brise celui qui en veut jouer.

("Le livre de la pauvreté et de la mort", p. 203-205)
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Trésor, dans les profondes nuits, je te cherche en creusant.
Car toute l’abondance que j’ai vue
est pauvreté, misérable succédané
de ta beauté encore à naître.

Mais affreusement long est le chemin qui va vers toi,
et effacé, personne ne l’ayant depuis longtemps foulé.
O Dieu, que tu es seul. Tu es la solitude,
ô cœur, toi qui t’en vas vers des vallées lointaines.

Et mes mains qui, d’avoir creusé, se sont
ensanglantées, voici que je les ouvre dans le vent,
les voici, comme un arbre, qui se ramifient.
Avec elles, hors de l’espace je t’aspire
comme si un jour tu t’y fusses rompu
dans un geste d’impatience
et que, monde en poussière, de lointaines étoiles
à présent te voilà qui retombes sur terre
doucement comme tombe une pluie de printemps.

("Le livre du pèlerinage", p. 173)
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Éteins mes yeux : je puis te voir,
clos mes oreilles : je puis t’entendre,
sans pieds je puis aller vers toi,
et sans bouche te supplier.
Romps-moi les bras, et je te saisirai
avec mon cœur comme avec une main,
ferme mon cœur, et mon cerveau battra,
mets-moi le feu à ce cerveau,
je te porterai dans mon sang.

("Le livre du pèlerinage", p. 121-123)
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Oh ! où est, délivré de l’avoir et du temps
celui-là qui s’arma si fort de sa profonde pauvreté
qu’il se dévêtit sur la place
et passa nu devant la robe de l’évêque ?

Lui qui de tous montrait le plus d’intime amour,
lui qui vint et vécut comme une année nouvelle ;
frère brun de tes rossignols
qui trouvait dans la terre un émerveillement,
des délices et une extase.

Il n’était pas de ceux dont le dégoût têtu
de plus en plus épuise l’allégresse.
Parlant aux jeunes fleurs comme à de jeunes frères,
il s’en allait le long de la prairie.
Et il parlait de lui et de ses entremises
si bien qu’il n’était rien qui n’éclatât de joie ;
et son cœur rayonnant n’avait pas de limite,
ni ne passait sur les plus humbles choses.

Il s’en venait du jour vers un jour plus profond,
et sa cellule était dans la sérénité.
Et lui venait sur la face un sourire
qui avait son enfance et son histoire
et mûrissait comme l’adolescence d’une fille.

Et pour peu qu’il chantât, venaient et revenaient
les choses de la veille et jusqu’aux oubliées ;
les nids se faisaient silencieux
et seuls criaient les cœurs des sœurs
qu’il touchait comme un fiancé.

Mais alors doucement le pollen de son chant
s’envolait de sa bouche rouge
et en rêve flottait vers elles qui l’aimaient
et tombait dans les corolles offertes
et descendait avec lenteur au fond des fleurs.

Et lui, l’immaculé, elles le recevaient
dans leur corps — et c’était leur âme.
Et leurs yeux se fermaient comme des roses,
et les nuits de l’amour emplissaient leurs cheveux.

Et l’accueillaient le grand et l’humble.
Venaient les Chérubins à d’innombrables bêtes
leur annonçant que leurs femelles porteraient fruit, —
et ce furent de merveilleux papillons :
alors il ne fut rien qui ne le reconnut
pour cela que par lui tout était fécondé.

Et quand il expira, léger, comme anonyme,
il fut éparpillé : sa semence courut
dans les ruisseaux, chanta sa semence dans les arbres,
et le contempla, silencieuse, dans les fleurs.
Étendu, il chantait. Et quand vinrent les sœurs,
elles pleurèrent leur époux bien-aimé.

O lui toute clarté, où donc l’emportera son chant ?
Lui toute joie, toute jeunesse, que ne le sentent-ils
de loin, les pauvres qui attendent ?

Que ne se lève-t-il parmi leur crépuscule —
lui, de la pauvreté grande étoile du soir.

("Le livre de la pauvreté et de la mort", p. 219-221)
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La demeure du pauvre est comme un tabernacle
où l’éternel se change en nourriture
et quand tombe le soir elle se ferme
sur elle-même, avec douceur, en larges cercles,
et bruissante d’échos, rentre en son âme, lentement.

La demeure du pauvre est comme un tabernacle.

Comme une main d’enfant est la main des pauvres.
Elle ne prend pas ce que désirent les adultes ;
mais rien qu’un scarabée aux pinces chamarrées,
le galet arrondi roulé par le ruisseau,
le sable qui ruisselle et la coquille qui chante :
suspendue comme une balance,
elle indique les poids les plus légers,
longuement indécise quand les plateaux cherchent leur place.

C’est une main d’enfant que la maison du pauvre.

Enfin comme la terre est la maison du pauvre :
éclat d’un cristal à venir,
tantôt clair, tantôt sombre en la fuite qui tombe ;
pauvre comme la chaude pauvreté d’une étable, —
il y a cependant des soirs où elle est tout,
où il n’est pas d’étoile qui ne procède d’elle.

("Le livre de la pauvreté et de la mort", p. 213-215)
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Donne à Quelqu’un, Seigneur, splendeur et majesté
et bâtis pour sa vie un superbe giron,
érige son sexe comme un portail
dans la blonde forêt de la jeune toison,
et par le membre de l’ineffable, engendre
le chevalier en tête de la phalange blanche
de mille germes assemblés.

Donne à l’homme une nuit pour qu’il puisse obtenir
ce que jamais ne sut les abîmes humains ;
donne une nuit où il n’est rien qui ne fleurisse,
et fais-la embaumer comme le seringa,
plus heureuse que l’aile de tes vents,
plus exaltante que Josaphat.

Donne-lui d’arriver à la maturité,
que ses habits grandissent avec lui,
et donne-lui la solitude d’une étoile,
que ne l’outrage aucun œil étonné
lorsque s’attendrissant s’altéreront ses traits.

Restaure-le de pure nourriture,
de rosée, non de viande tuée,
de cette vie qui s’élève des champs,
légère comme une prière et chaude comme un souffle.

Fais qu’il retrouve son enfance ;
l’insouciance et le merveilleux,
la légende infinie des premières années,
les richesses de l’ombre et des pressentiments.

Alors prie-le d’attendre l’heure
où il enfantera la mort, la souveraine :
solitaire et bruissante comme un jardin profond,
tout comme un exilé venu des horizons.

("Le livre de la pauvreté et de la mort", p. 188-191)
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O Seigneur, donne à chacun sa propre mort,
la mort issue vraiment de cette vie
où il connut l’amour, la raison d’être et la misère.

("Le livre de la pauvreté et de la mort", p. 185)
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Car c’est là que vivent des hommes, race blafarde,
là qu’ils meurent étonnés de ce monde oppressant.
Et nul ne voit la grimace béante
qu’est devenu au long de nuits sans nom
le sourire de cette race tendre.

Et les voici errer, à la peine épuisés
d’avoir servi sans courage d’absurdes choses,
leurs vêtements se flétrissent sur eux
et tôt se fanent leurs belles mains.

La foule les bouscule sans plus d’égards
pour leurs hésitations que pour leurs défaillances, —
seuls des chiens craintifs et sans gîte
les suivent un moment, sans bruit.

Abandonnés à d’innombrables tourmenteurs
et sous le coup criard de chaque heure qui sonne,
ils vont et viennent seuls autour des hôpitaux,
attendant dans l’angoisse qu’on les y laisse entrer.

Là est la mort. Pas celle dont le signe
miraculeusement effleura leur enfance, —
mais la mort étriquée telle qu’on l’entend là ;
là pend leur propre mort
comme un fruit vert, acide, et qui ne mûrit pas.

("Le livre de la pauvreté et de la mort", p. 183-185)
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Car les grandes villes, Seigneur,
sont perdues et décomposées ;
la capitale n’est que fuite devant les flammes, —
pas de consolation qui les console,
leurs heures brèves sont comptées.

Dans des chambres profondes, des hommes aux gestes anxieux
vivent là une vie d’infortune et de crainte,
plus angoissés que des troupeaux d’agneaux ;
et cependant dehors ta terre attend et souffle,
et ils vivent aussi dans l’oubli de la vie.

Là des enfants appuyés aux fenêtres
grandissent sans jamais sortir de la même ombre,
ignorant que dehors les appellent les fleurs
à des journées d’espace, de bonheur et de vent, —
il leur faut être enfant, et l’être tristement.

Et là des jeunes filles pour l’inconnu fleurissent
dans le regret de leur enfance et de sa paix ;
mais manque ce pour quoi elles se consumèrent,
et les voilà fermées dans un frissonnement.
Dans des réduits recluses elles sont à connaître
les heures de décevantes maternités,
les longues nuits aux plaintes incertaines
et le froid des années sans lutte et sans force.
Et dans l’obscurité voici les lits de mort,
la sourde tentation leur vient de s’y étendre ;
elles agonisent sans fin et meurent enchaînées,
et les voici parties comme partent les pauvres.

("Le livre de la pauvreté et de la mort", p. 181-183)
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