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Citations sur Une saison en enfer - Illuminations (74)

Quand le monde sera réduit en un seul bois noir pour nos quatre yeux étonnés,- en une plage pour deux enfants fidèles, - en une maison musicale pour notre claire sympathie,- je vous trouverai.
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Tête de Faune

Dans la feuillée, écrin vert taché d’or,
Dans la feuillée incertaine et fleurie,
D’énormes fleurs où l’âcre baiser dort,
Vif et devant l’exquise broderie,

Le Faune affolé montre ses grands yeux
Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches
Brunie et sanglante ainsi qu’un vin vieux,
Sa lèvre éclate en rires par les branches ;

Et quand il a fui, tel un écureuil,
Son rire perle encore à chaque feuille
Et l’on croit épeuré par un bouvreuil
Le baiser d’or du bois qui se recueille.
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II
Charleville, 10 juin 1871.
À M. P. Demeny
Les poètes de sept ans
Et la Mère, fermant le livre du devoir,
...

A. R
26 mai 1871.
Les pauvres à l’église
Parqués entre des bancs de chêne, aux coins d’église
...

A. Rimbaud.
1871.

Voici, — ne vous fâchez pas, — un motif à dessins drôles : c’est une antithèse aux douces vignettes pérennelles où batifolent les cupidons, où s’essorent les cœurs panachés de flammes, fleurs vertes, oiseaux mouillés, promontoires de Leucade, etc… — ces triolets, eux aussi, du reste, iront

Où les vignettes pérennelles,
Où les doux vers.

Voici : — ne vous fâchez pas ! —

Le cœur du pitre
Mon triste cœur bave à la poupe,
...

A. R.
Juin 1871.
Voilà ce que je fais. — J’ai trois prières à vous adresser : brûlez, je le veux et je crois que vous respecterez ma volonté comme celle d’un mort, brûlez tous les vers que je fus assez sot pour vous donner, lors de mon séjour à Douai : ayez la bonté de m’envoyer, s’il vous est possible et s’il vous plaît, un exemplaire de vos Glaneuses, que je voudrais relire et qu’il m’est impossible d’acheter, ma mère ne m’ayant gratifié d’aucun rond de bronze depuis six mois, — pitié ! — : enfin, veuillez bien me répondre, quoi que ce soit, pour cet envoi et pour le précédent.

Je vous souhaite un bon jour, ce qui est bien bon. Écrivez à : M. Deverrière, 95, sous les Allées, pour

A. Rimbaud.
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Deux lettres à Paul Demeny.

I
Charleville, 15 mai 1871.
J’ai résolu de vous donner une heure de littérature nouvelle ; je commence de suite par un psaume d’actualité :

Chant de guerre parisien
...
— Voici de la prose sur l’avenir de la poésie —

Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque, Vie harmonieuse. — De la Grèce au mouvement romantique, — moyen-âge, — il y a des lettrés, des versificateurs. D’Ennius à Théroldus, de Théroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloire d’innombrables générations idiotes : Racine est le pur, le fort, le grand. — On eût soufflé sur ses rimes, brouillé ses hémistiches, que le Divin Sot serait aujourd’hui aussi ignoré que le premier venu auteur d’Origines. — Après Racine, le jeu moisit. Il a duré deux mille ans !

Ni plaisanterie, ni paradoxe. La raison m’inspire plus de certitudes sur le sujet que n’aurait jamais eu de colères un Jeune-France. Du reste, libre aux nouveaux d’exécrer les ancêtres : on est chez soi et l’on a le temps.

On n’a jamais bien jugé le romantisme ; qui l’aurait jugé ? Les critiques !! Les romantiques ? qui prouvent si bien que la chanson est si peu souvent l’œuvre, c’est-à-dire la pensée chantée et comprise du chanteur ?

Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène.

Si les vieux imbéciles n’avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n’aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s’en clamant les auteurs !

En Grèce, ai-je dit, vers et lyres rythment l’Action. Après, musique et rimes sont jeux, délassements. L’étude de ce passé charme les curieux : plusieurs s’éjouissent à renouveler ces antiquités : — c’est pour eux. L’intelligence universelle a toujours jeté ses idées naturellement ; les hommes ramassaient une partie de ces fruits du cerveau : on agissait par, on en écrivait des livres : telle allait la marche, l’homme ne se travaillant pas, n’étant pas encore éveillé, ou pas encore dans la plénitude du grand songe. Des fonctionnaires, des écrivains : auteur, créateur, poète, cet homme n’a jamais existé !

La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, l’apprend. Dès qu’il la sait, il doit la cultiver ; cela semble simple : en tout cerveau s’accomplit un développement naturel ; tant d’égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d’autres qui s’attribuent leur progrès intellectuel ! — Mais il s’agit de faire l’âme monstrueuse : à l’instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s’implantant et se cultivant des verrues sur le visage.

Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant.

Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant ! — Car il arrive à l’inconnu ! Puisqu’il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu’aucun ! Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables : viendront d’autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l’autre s’est affaissé !

— la suite à six minutes —
Ici j’intercale un second psaume, hors du texte : veuillez tendre une oreille complaisante, — et tout le monde sera charmé, — J’ai l’archet en main, je commence :

Mes petites amoureuses
...
Voilà. Et remarquez bien que, si je ne craignais de vous faire débourser plus de 60 c. de port, — moi pauvre effaré qui, depuis sept mois, n’ai pas tenu un seul rond de bronze ! je vous livrerais encore mes Amants de Paris, cent hexamètres, Monsieur, et ma Mort de Paris, deux cents hexamètres !

— Je reprends :
Donc le poète est vraiment voleur de feu.

Il est chargé de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c’est informe, il donne de l’informe. Trouver une langue ;

— Du reste, toute parole étant idée, le temps d’un langage universel viendra ! Il faut être académicien, — plus mort qu’un fossile, — pour parfaire un dictionnaire, de quelque langue que ce soit. Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de l’alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie ! —

Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité d’inconnu s’éveillant en son temps dans l’âme universelle : il donnerait plus — que la formule de sa pensée, que la notation de sa marche au Progrès ! Énormité devenant norme, absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrès !

Cet avenir sera matérialiste, vous le voyez ; — Toujours pleins du Nombre et de l’Harmonie, ces poèmes seront faits pour rester, — Au fond, ce serait encore un peu la Poésie grecque.

L’art éternel aurait ses fonctions, comme les poètes sont citoyens. La Poésie ne rhythmera plus l’action ; elle sera en avant.

Ces poètes seront ! Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme, — jusqu’ici abominable, — lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l’inconnu ! Ses mondes d’idées différeront-ils des nôtres ? — Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons.

En attendant, demandons aux poètes du nouveau, idées et formes. Tous les habiles croiraient bientôt avoir satisfait à cette demande. — Ce n’est pas cela !

Les premiers romantiques ont été voyants sans trop bien s’en rendre compte : la culture de leurs âmes s’est commencée aux accidents : locomotives abandonnées, mais brûlantes, que prennent quelque temps les rails. — Lamartine est quelquefois voyant, mais étranglé par la forme vieille. — Hugo, trop cabochard, a bien du vu dans les derniers volumes : les Misérables sont un vrai poème. J’ai les Châtiments sous main ; Stella donne à peu près la mesure de la vue de Hugo. Trop de Belmontet et de Lamennais, de Jéhovahs et de colonnes, vieilles énormités crevées.

Musset est quatorze fois exécrable pour nous, générations douloureuses et prises de visions, — que sa paresse d’ange a insultées ! Ô les contes et les proverbes fadasses ! ô les nuits ! ô Rolla, ô Namouna, ô la Coupe ! Tout est français, c’est-à-dire haïssable au suprême degré ; français, pas parisien ! Encore une œuvre de cet odieux génie qui a inspiré Rabelais, Voltaire, Jean La Fontaine ! commenté par M. Taine ! Printanier, l’esprit de Musset ! Charmant, son amour ! En voilà, de la peinture à l’émail, de la poésie solide ! On savourera longtemps la poésie française, mais en France. Tout garçon épicier est en mesure de débobiner une apostrophe Rollaque, tout séminariste en porte les cinq cents rimes dans le secret d’un carnet. À quinze ans, ces élans de passion mettent les jeunes en rut ; à seize ans, ils se contentent déjà de les réciter avec cœur ; à dix-huit ans, à dix-sept même, tout collégien qui a le moyen, fait le Rolla, écrit un Rolla ! Quelques-uns en meurent peut-être encore. Musset n’a rien su faire : il y avait des visions derrière la gaze des rideaux : il a fermé les yeux. Français, panadis, traîné de l’estaminet au pupitre de collège, le beau mort est mort, et, désormais, ne nous donnons même plus la peine de le réveiller par nos abominations !

Les seconds romantiques sont très voyants : Th. Gautier, Lec. de Lisle, Th. de Banville. Mais inspecter l’invisible et entendre l’inouï étant autre chose que reprendre l’esprit des choses mortes, Baudelaire est le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu. Encore a-t-il vécu dans un milieu trop artiste ; et la forme si vantée en lui est mesquine : les inventions d’inconnu réclament des formes nouvelles.

Rompue aux formes vieilles, parmi des innocents, A. Renaud, — a fait son Rolla, — L. Grandet, — a fait son Rolla ; — les gaulois et les Musset, G. Lafenestre, Coran, Cl. Popelin, Soulary, L. Salles ; Les écoliers, Marc, Aicard, Theuriet ; les morts et les imbéciles, Autran, Barbier, L. Pichat, Lemoyne, les Deschamps, les Desessarts ; Les journalistes, L. Cladel, Robert Luzarches, X. de Ricard ; les fantaisistes, C. Mendès ; les bohèmes ; les femmes ; les talents, Léon Dierx, Sully-Prudhomme, Coppée, — la nouvelle école, dite parnassienne, a deux voyants, Albert Mérat et Paul Verlaine, un vrai poète. — Voilà. — Ainsi je travaille à me rendre voyant. — Et finissons par un chant pieux.

Accroupissements
...
Vous seriez exécrable de ne pas répondre : vite, car dans huit jours je serai à Paris, peut-être.

Au revoir.
A. Rimbaud.
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Génie

Il est l’affection et le présent puisqu’il a fait la maison ouverte à l’hiver écumeux et à la rumeur de l’été, lui qui a purifié les boissons et les aliments, lui qui est le charme des lieux fuyants et le délice surhumain des stations. Il est l’affection et l’avenir, la force et l’amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, nous voyons passer dans le ciel de tempête et les drapeaux d’extase.

Il est l’amour, mesure parfaite et réinventée, raison merveilleuse et imprévue, et l’éternité : machine aimée des qualités fatales. Nous avons tous eu l’épouvante de sa concession et de la nôtre : ô jouissance de notre santé, élan de nos facultés, affection égoïste et passion pour lui, lui qui nous aime pour sa vie infinie…

Et nous nous le rappelons et il voyage… Et si l’Adoration s’en va, sonne, sa promesse sonne : « Arrière ces superstitions, ces anciens corps, ces ménages et ces âges. C’est cette époque-ci qui a sombré ! »

Il ne s’en ira pas, il ne redescendra pas d’un ciel, il n’accomplira pas la rédemption des colères de femmes et des gaîtés des hommes et de tout ce péché : car c’est fait, lui étant, et étant aimé.

Ô ses souffles, ses têtes, ses courses ; la terrible célérité de la perfection des formes et de l’action.

Ô fécondité de l’esprit et immensité de l’univers !

Son corps ! Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle !

Sa vue, sa vue ! tous les agenouillages anciens et les peines relevés à sa suite.

Son jour ! l’abolition de toutes souffrances sonores et mouvantes dans la musique plus intense.

Son pas ! les migrations plus énormes que les anciennes invasions.

Ô Lui et nous ! l’orgueil plus bienveillant que les charités perdues.

Ô monde ! et le chant clair des malheurs nouveaux !

Il nous a connus tous et nous a tous aimés. Sachons, cette nuit d’hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au château, de la foule à la plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le héler et le voir, et le renvoyer, et sous les marées et au haut des déserts de neige, suivre ses vues, ses souffles, son corps, son jour.
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Démocratie

« Le drapeau va au paysage immonde, et notre patois étouffe le tambour.

« Aux centres nous alimenterons la plus cynique prostitution. Nous massacrerons les révoltes logiques.

« Aux pays poivrés et détrempés ! — au service des plus monstrueuses exploitations industrielles ou militaires.

« Au revoir ici, n’importe où. Conscrits du bon vouloir, nous aurons la philosophie féroce ; ignorants pour la science, roués pour le confort ; la crevaison pour le monde qui va. C’est la vraie marche. En avant, route ! »
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Dévotion

À ma sœur Louise Vanaen de Voringhem : — Sa cornette bleue tournée à la mer du Nord. — Pour les naufragés.

À ma sœur Léonie Aubois d’Ashby. Baou — l’herbe d’été bourdonnante et puante. — Pour la fièvre des mères et des enfants.

À Lulu, — démon — qui a conservé un goût pour les oratoires du temps des Amies et de son éducation incomplète. Pour les hommes ! — À madame ***.

À l’adolescent que je fus. À ce saint vieillard, ermitage ou mission.

À l’esprit des pauvres. Et à un très haut clergé.

Aussi bien à tout culte en telle place de culte mémoriale et parmi tels événements qu’il faille se rendre, suivant les aspirations du moment ou bien notre propre vice sérieux.

Ce soir à Circeto des hautes glaces, grasse comme le poisson, et enluminée comme les dix mois de la nuit rouge, — (son cœur ambre et spunk), — pour ma seule prière muette comme ces régions de nuit et précédant des bravoures plus violentes que ce chaos polaire.

À tout prix et avec tous les airs, même dans des voyages métaphysiques. — Mais plus alors.
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Mouvement

Le mouvement de lacet sur la berge des chutes du fleuve,
Le gouffre à l’étambot,
La célérité de la rampe,
L’énorme passade du courant,
Mènent par les lumières inouïes
Et la nouveauté chimique
Les voyageurs entourés des trombes du val
Et du strom.

Ce sont les conquérants du monde
Cherchant la fortune chimique personnelle ;
Le sport et le comfort voyagent avec eux ;
Ils emmènent l’éducation
Des races, des classes et des bêtes, sur ce Vaisseau.
Repos et vertige
À la lumière diluvienne,
Aux terribles soirs d’étude.


Car de la causerie parmi les appareils, — le sang ; les fleurs, le feu, les bijoux —
Des comptes agités à ce bord fuyard,
— On voit, roulant comme une digue au delà de la route hydraulique motrice,
Monstrueux, s’éclairant sans fin, — leur stock d’études ;
Eux chassés dans l’extase harmonique
Et l’héroïsme de la découverte.

Aux accidents atmosphériques les plus surprenants
Un couple de jeunesse s’isole sur l’arche,
— Est-ce ancienne sauvagerie qu’on pardonne ?
Et chante et se poste.
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Ébauches

À Samarie, plusieurs ont manifesté leur foi en lui. Il ne les a pas vus. Samarie [s’enorgueillissait] la parvenue, [la perfide], l’égoïste, plus rigide observatrice de sa loi protestante que Juda des tables antiques. Là la richesse universelle permettait bien peu de discussion éclairée. Le sophisme, esclave et soldat de la routine, y avait déjà après les avoir flattés, égorgé plusieurs prophètes.

C’était un mot sinistre, celui de la femme à la fontaine : « Vous êtes prophètes, vous savez ce que j’ai fait. »

Les femmes et les hommes croyaient aux prophètes. Maintenant on croit à l’homme d’état.

À deux pas de la ville étrangère, incapable de la menacer matériellement, s’il était pris comme prophète, puisqu’il s’était montré là si bizarre, qu’aurait-il fait ? Jésus n’a rien pu dire à Samarie.


L’air léger et charmant de la Galilée : les habitants le reçurent avec une joie curieuse : ils l’avaient vu, secoué par la sainte colère, fouetter les changeurs et les marchands de gibier du temple. Miracle de la jeunesse pâle et furieuse, croyaient-ils.

Il sentit sa main aux mains chargées de bagues et à la bouche d’un officier. L’officier était à genoux dans la poudre : et sa tête était assez plaisante, quoique à demi chauve.

Les voitures filaient dans les étroites rues [de la ville] ; un mouvement, assez fort pour ce bourg ; tout semblait devoir être trop content ce soir-là.

Jésus retira sa main : il eut un mouvement d’orgueil enfantin et féminin. « Vous autres, si vous ne voyez [point] des miracles, vous ne croyez point. »

Jésus n’avait point encor fait de miracles. Il avait, dans une noce, dans une salle à manger verte et rose, parlé un peu hautement à la Sainte Vierge. Et personne n’avait parlé du vin de Cana à Capharnaum, ni sur le marché, ni sur les quais. Les bourgeois peut-être.

Jésus dit : « Allez, votre fils se porte bien. » L’officier s’en alla, comme on porte quelque pharmacie légère, et Jésus continua par les rues moins fréquentées. Des liserons [oranges], des bourraches montraient leur lueur magique entre les pavés. Enfin il vit au loin la prairie poussiéreuse, et les boutons d’or et les marguerites demandant grâce au jour.


Beth-Saïda, la piscine des cinq galeries, était un point d’ennui. Il semblait que ce fût un sinistre lavoir, toujours accablé de la pluie et moisi, et les mendiants s’agitaient sur les marches intérieures blêmies par ces lueurs d’orages précurseurs des éclairs d’enfer, en plaisantant sur leurs yeux bleus aveugles, sur les linges blancs ou bleus dont s’entouraient leurs moignons. Ô buanderie militaire, ô bain populaire. L’eau était toujours noire, et nul infirme n’y tombait même en songe.

C’est là que Jésus fit la première action grave ; avec les infâmes infirmes. Il y avait un jour, de février, mars ou avril, où le soleil de deux heures après midi, laissait s’étaler une grande faux de lumière sur l’eau ensevelie ; et comme, là-bas, loin derrière les infirmes, j’aurais pu voir tout ce que ce rayon seul éveillait de bourgeons et de cristaux, et de vers, dans ce reflet, pareil à un ange blanc couché sur le côté, tous les reflets infiniment pâles remuaient.

Alors tous les péchés, fils légers et tenaces du démon, qui pour les cœurs un peu sensibles, rendaient ces hommes plus effrayants que les monstres, voulaient se jeter à cette eau. Les infirmes descendaient, ne raillant plus ; mais avec envie.

Les premiers entrés sortaient guéris, disait-on. Non. Les péchés les rejetaient sur les marches ; et les forçaient de chercher d’autres postes : car leur Démon ne peut rester qu’aux lieux où l’aumône est sûre.

Jésus entra aussitôt après l’heure de midi. Personne ne lavait ni ne descendait de bêtes. La lumière dans la piscine était jaune comme les dernières feuilles des vignes. Le divin maître se tenait contre une colonne : il regardait les fils du Péché ; le démon tirait sa langue en leur langue ; et riait ou niait.

Le Paralytique se leva, qui était resté couché sur le flanc, et ce fut d’un pas singulièrement assuré qu’ils le virent franchir la galerie et disparaître dans la ville, les Damnés.
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Vies
I
O les énormes avenues du pays saint, les terrasses du temple ! Qu’a-t-on fait du brahmane qui m’expliqua les Proverbes ? D’alors, de là-bas, je vois encore même les vieilles ! Je me souviens des heures d’argent et de soleil vers les fleuves, la main de la compagne sur mon épaule, et de nos caresses debout dans les plaines poivrées. — Un envol de pigeons écarlates tonne autour de ma pensée — Exilé ici, j ai eu une scène où jouer les chefs-d’oeuvre dramatiques de toutes les littératures. Je vous indiquerais les richesses inouïes. J’observe l’histoire des trésors que vous trouvâtes. Je vois la suite ! Ma sagesse est aussi dédaignée que le chaos. Qu’est mon néant, auprès de la stupeur qui vous attend ?

II
Je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m’ont précédé ; un musicien même, qui ai trouvé quelque chose comme la clef de l’amour. À présent, gentilhomme d’une campagne aigre au ciel sobre, j’essaye de m’émouvoir au souvenir de l’enfance mendiante, de l’apprentissage ou de l’arrivée en sabots, des polémiques, des cinq ou six veuvages, et quelques noces où ma forte tête m’empêcha de monter au diapason des camarades. Je ne regrette pas ma vieille part de gaîté divine : l’air sobre de cette aigre campagne alimente fort activement mon atroce scepticisme. Mais comme ce scepticisme ne peut désormais être mis en oeuvre, et que d’ailleurs je suis dévoué à un trouble nouveau, — j’attends de devenir un très méchant fou.

III
Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j’ai connu le monde, j’ai illustré la comédie humaine. Dans un cellier j’ai appris l’histoire. À quelque fête de nuit dans une cité du Nord, j’ai rencontré toutes les femmes des anciens peintres. Dans un vieux passage à Paris on m’a enseigné les sciences classiques. Dans une magnifique demeure cernée par l’Orient entier j’ai accompli mon immense oeuvre et passé mon illustre retraite. J’ai brassé mon sang. Mon devoir m’est remis. Il ne faut même plus songer à cela. Je suis réellement d’outre-tombe, et pas de commissions.
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