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Critique de Seraphita


Un écrivain aux moeurs légères décide, pour des raisons ésotériques, de faire une grande croisière en solitaire vers Madagascar, sur un voilier. Sa dérive est ponctuée de rencontres singulières.

La quatrième de couverture souligne que « le Vazaha sans terre est le sixième volet d'un cycle qui comprend, dans l'ordre chronologique de la fiction, Archipel, Mélancolie nord (prix du roman de la Société des Gens de Lettres), Alizés (prix des Créateurs), Tlacuilo (prix Médicis) et Manhattan terminus ». Je ne connaissais pas Michel Rio ni son oeuvre antérieure. Peut-être aurais-je dû me plonger dans les 5 tomes précédents avant d'entamer « le Vazaha sans terre » afin de mieux y entrer ? Je dois avouer que pour un lecteur béotien, l'écriture et le propos de l'auteur déconcertent dès le début par son ésotérisme singulier. La suite ne dément pas cette première impression.

Le propos m'a semblé particulièrement touffu, tissé de références multiples, notamment à la mythologie grecque ou arthurienne (en témoigne le nom de la demeure du richissime et mystérieux Alan, avec lequel le narrateur – un écrivain dionysiaque – est lié : Camlann House : faut-il y voir un clin d'oeil à la bataille de Camlann, la dernière bataille à laquelle le roi Arthur aurait pris part ?).
A ces références mythologiques pléthoriques, vient s'ajouter la densité du champ lexical de la navigation.
« Cependant, il n'avait qu'un grand mât, très élevé, sur lequel se greffait, dans l'axe du navire, une longue vergue basse, bôme dont l'extrémité dépassait largement l'étambot et sur laquelle on établissait la bordure d'une immense grand-voile triangulaire du genre marconi, préférée comme plus maniable à la voilure aurique à corne classique sur les cutters, yawls, ketchs et sloops » (p. 46-47).

Tous ces tours et détours linguistiques rendent le lecteur impatient : au final, quel est le noeud de l'intrigue ? le dialogue suivant, p. 38, délivre-t-il la clef de ce roman ?
« Et alors, me dit Alan, quelle est cette chose que je peux faire pour toi ?
- Me prêter un voilier à la fois de grande croisière et maniable en solitaire, pour quelques mois. le Lady Laura serait parfait, d'un double point de vue maritime et affectif ».
Voilà donc notre écrivain dionysiaque parti pour un long voyage (44 jours très précisément). Son errance dans un « non-lieu » tel qu'il nomme la mer lui apportera une rencontre avec « Virginia Fox, une navigatrice solitaire anglaise célèbre à la fois pour ses exploits maritimes et quelques publications à succès faisant la chronique de ses aventures relevées par des considérations métaphysiques, sinon mystiques, rappelant assez le « Oh ! Grand Etre ! » de Rousseau cité par Alan ». (p. 70).
La rencontre fortuite avec cette naufragée ne m'a semblé nullement crédible. Bien évidemment, la déesse est libertine et emplie de pulsions sexuelles qu'elle souhaite assouvir… Notre créature dionysiaque angoissée s'empressera de répondre à sa demande.

Le ton très intellectualisé contraste singulièrement avec les moeurs libertines des personnages. le choix de mots alambiqués rend la lecture ardue, en témoigne cet extrait d'un dialogue entre Alan et le narrateur :
« tu viens de résoudre à l'instant mes petits tracas existentiels par un rapide badigeon de ton polyuréthane philosophique ». (p. 35).

Les personnages m'ont semblé peu attachants : leurs moeurs libertines sont mises en avant, leur richesse démesurée également, à l'image du vocabulaire particulièrement nourri qu'a choisi l'auteur. Une demande suggestive de Laura le montre. Adoptant un ton métaphorique, elle invite le narrateur et son cousin Alan à une partie de réjouissance :
« Multiplions les petites morts pour diviser un peu la grande ». (p. 36)
L'écrivain narrateur semble ainsi pleinement endosser la figure de Dionysos, une créature qui aime s'étourdir d'alcool, de sexe, de drogue… et d'angoisse.

Je ne suis pas parvenue à pénétrer l'ésotérisme de l'écriture de Michel Rio. La fin en forme d'Ouroboros m'a laissée perplexe. Pourtant la citation de Shakespeare (issue de « Sonnets ») qu'il traduit en incipit pouvait paraître prometteuse :
Lors puis-je être peiné de peines antérieures,
Et sombrement refaire de douleur en douleur
Le décompte attristé de pleurs déjà pleurés
Que je verse à nouveau comme jamais versés.
Mais si me vient de toi la pensée, mon amie,
Toute perte se répare, et tout chagrin finit.
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