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Laure est une jeune professeure de lettres. À 25 ans et alors que la guerre d'Algérie fait rage, elle est envoyée à El-Djond, petit village de l'Oranais. Mais en fait, non, ce n'est pas la guerre. « Ici, on dit les évènements, au cas où vous n'auriez pas remarqué. » (p. 14) Les Arabes battus à mort dans la rue, les fermiers suppliciés, les rafles abusives, la suspicion partout, non, ce n'est pas la guerre, mais ça y ressemble tellement. Partout et sans cesse plane une menace. D'abord diffuse, puis épaisse, elle obstrue l'avenir et étouffe l'espoir. « Et voilà que je suis gagnée par le même sentiment, la même intuition inquiète : je ne verrai pas fleurir les amandiers d'El-Djond. » (p. 46) Rien de tout cela ne finira bien, même si Laure se défend d'être concernée par la guerre qui se joue sous ses fenêtres ou dans la chambre voisine.

À El-Djound, le glacis est une frontière invisible, mais dont le franchissement n'est jamais anodin. « le glacis, au nord de la ville, c'était une grande avenue plantée d'acacias qui séparent la ville européenne de la ville indigène. » (p. 129) C'est ainsi que le village nègre s'oppose sourdement au village occidental. Personne n'ose dire la ségrégation ou reconnaître les communautarismes, mais les évènements se chargent de faire la répartition. « Quand les loups se déclarent la guerre entre eux, chacun hurle avec sa horde. » (p. 18) Alors le glacis cristallise les haines et les peurs. Loin d'être un vernis précieux, c'est une gangue de rancoeur qui ne demande qu'à voler en éclat au premier impact.

Laure s'est liée d'amitié avec Elena, femme médecin, et entretient une relation plus ou moins tendre avec Felipe, un Espagnol qui a fui la guerre civile. Perdue dans ce village et dans ce pays qu'elle déteste, Laure se sent bien loin de Paris et de son cher Quartier Latin. Habituée à la liberté d'un pays libre, elle commet des impairs en voulant conjuguer les peuples et favoriser les rencontres. Alors qu'elle refuse obstinément de prendre parti et de s'intégrer dans cette société scindée, Laure est rattrapée par l'Histoire. Elle ne peut plus rester spectatrice et elle est précipitée dans les rouages pervers d'un pays qui se révolte et qui se referme sur les oppresseurs. Alors que la désinvolture devient coupable et que l'insouciance est victime, Laure comprend qu'elle aurait dû surveiller ses fréquentations et retenir ses paroles. Mais la jeune enseignante était trop pétrie d'idéaux cosmopolites et, surtout, elle était trop lâche pour reconnaître les problèmes qu'elle avait devant les yeux.

Monique Rivet a écrit ce texte dans les années 1950 et ne l'avait jamais publié. J'ai été touchée par son héroïne, jeune femme secouée par un conflit dont elle ne voulait pas, mais qui était celui de tous les Français. Un petit bémol sur l'enchaînement des chapitres : j'ai trouvé le texte assez décousu. Certains personnages apparaissent à peine, mais font les ouvertures de chapitres et on ne les retrouve ensuite que mentionnés. Il y a peut-être trop de personnages : à vouloir présenter un individu de chaque groupe, il me semble que l'auteure a frôlé la caricature. Mais je tiens à souligner la pudeur avec laquelle Monique Rivet a évoqué les crimes des deux camps : elle évoque les tortures et les maltraitances, mais elle maintient un voile nécessaire sur des horreurs dont tout le monde connaît largement les images.
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« le Glacis, au nord de la ville, c'était une grande avenue plantée d'acacias qui séparait la ville européenne de la ville indigène. »Le décor est planté. El-Djond, une petite ville, au temps des évènements d'Algérie, au temps où le mot guerre d'Algérie était impensable…
Deux communautés face à face, les « français », militaires, riches familles terriennes implantées de longue date, les indigènes du commerçant aisé à l'ouvrier, au simple manoeuvre, à l'ouvrier agricole tous sont considérés comme quantité négligeable même les plus instruits et les plus cultivés.
Débarque à El-Djond, Laure, vingt-cinq ans, nommée professeur de lettres dans le lycée de jeunes filles de cette petite ville de l'Oranais. A peine sortie du Quartier-Latin, de la seconde guerre mondiale, elle débarque dans un monde étrange .Déroutée puis choquée par ce qu'elle voit, elle commence à s'exprimer, et se retrouve vite mise au banc de la société bien-pensante d'El-Djond. Rien ne plait ni l'endroit où elle vit, ni ses fréquentations, ni ses amours, bref bien vite elle va se retrouver prise dans un tourbillon tel qu'elle finira par avouer : « ce pays, je ne lui appartenais pas, je m'y trouvais par hasard. J'y étais de guingois avec tout, choses et gens, frappée d'une frilosité à fleur de peau, incapable d'adhérer à aucun des mouvements qui s'y affrontaient »
Monique Rivet a écrit ce texte poignant à la fin des années 1950 et ce n'est donc que 50 ans plus tard que ce livre parait….
L'écriture épurée donne à ce roman une tonalité particulière. le temps a passé depuis ce sombre passage de notre histoire mais les cicatrices qu'il a laissées sont je crois toujours aussi sensibles. Ce roman a le mérite me semble t'il de parler de cette époque sans parti pris , c'était une gageure qu'il fallait tenter La réussite est là.
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La guerre, « je la reconnaissais au rythme qu'elle donne à la vie, [...] à ses à-coups, sa façon de s'évanouir comme si elle n'avait jamais existé et de réapparaître comme si elle était notre état naturel ». C'est ainsi que Laure Delessert, jeune enseignante de français envoyée en Algérie à la fin des années 1950, voit les « événements » qualifiés par tous comme un simple maintien de l'ordre. Mais elle ne s'y trompe pas et, sans chercher à s'y mêler, elle se retrouve liée malgré elle à des personnages bientôt qualifiés de suspects. Elle observe, écoute et prend conscience de la force et de la volonté des rebelles, prêts à tout pour obtenir l'indépendance, y compris aux exécutions hâtives, aux actions coup-de-poing.

Écrit il y a plus de 50 ans, ce texte reprend en réalité l'expérience de Monique Rivet elle-même, institutrice en Algérie en 1957-1958. Elle a voulu publier ce texte en rentrant en France mais il fut refusé par les éditeurs de l'époque. Un texte auquel ont voulu rendre justice les éditions Métaillé en 2012.

Dès l'incipit, Monique Rivet nous plonge dans l'ambiance malsaine, pleine de tensions, de cette petite ville algérienne, où se croisent toutes les forces en présence. En face de la ville européenne, une grande avenue, le Glacis, qui la sépare du quartier arabe. C'est cette ligne de démarcation qui représente la faille entre les peuples en présence, la barrière à ne pas franchir à moins de vouloir être soupçonné par un des deux camps. Deux camps qui se regardent en chien de fusil et agissent sournoisement de chaque côté, prenant en otage la population entière.

Par ce texte pratiquement écrit sous le feu des canons, Monique Rivet nous offre une vision dynamique du début des événements d'Algérie, à travers le regard naïf de cette jeune enseignante qui ne prend parti pour aucun des camps, tout en condamnant – et parfois même à voix haute – la colonisation.

Témoignage, récit, chronique, un peu tout à la fois, servi par une plume un peu hésitante parfois mais que l'on sent prompt à laisser percer l'enthousiasme et l'indignation de la jeunesse.

La prise de conscience d'abord, « Je comprends que je ne suis pas au Quartier Latin [...] mais dans une petite ville de province où les moeurs sont encore celles du XIXe siècle, je comprends aussi que s'y ajoute cette ségrégation des communautés que prétendent nier ou combattre des slogans officiels bien tardifs et de toute façon émis à une distance sidérale de la réalité ».

Et puis l'indignation. L'indignation est en effet ce qui ressort le plus à la lecture. L'indignation face à la boucherie qui se prépare, face aux premiers assauts qui ont lieu. de beaux morceaux de littérature parfois dans cette façon un peu ingénue, un peu naïve de l'exprimer.

Une indignation pourtant assortie vers la fin d'un dégoût, d'une tristesse infinie face à la brutalité du monde : « A quoi bon mettre de la littérature ou de la grammaire dans la tête des gens si c'est pour qu'on les retourne du pied sur une voie de chemin de fer, un trou dans la poitrine ? « .

En bref, un beau texte par une jeune femme qui découvre la réalité d'un monde politique brutal, et avec qui je me suis puissamment identifiée; et un moyen intéressant d'aborder un moment d'histoire qui divise encore la France.
A découvrir.
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Témoignage poignant sur la ségrégation et les débuts de la guerre d'Algérie dans les yeux d'une jeune enseignante.

Jeune parisienne d'une vingtaine d'années, Laure Delessert est nommée professeur de lettres dans la ville fictive d'El-Djond en Algérie au milieu des années 1950.

À El-Djond dans cette période trouble, la partition géographique des communautés est matérialisée par le glacis, «une large avenue coupée d'un terre-plein et bordée, côté indigène, d'une rangée de boutiques arabes» qui divise la ville en deux parties. Profondément choquée par cette ségrégation, Laure refuse de rester du côté du glacis qui devrait être le sien.

«L'homme se redressa lentement. Il regardait les rues qui s'ouvraient devant lui en longs rayons noirs. Puis il se mit en marche. Il se dirigeait vers le glacis. Au-delà c'était ce qu'on appelle le village nègre. Des barbelés zigzaguaient dans la lumière de la lune*.»

Personnalité étonnamment libre de ses mouvements et de ses pensées pour l'époque, et ignorante du contexte dans lequel elle plonge, Laure Delessert découvre en y étant confrontée le racisme envers les arabes, les juifs ou les espagnols, les brimades, vexations, la violence qui enflamme le pays et la ségrégation radicale entre européens et algériens. Happée malgré elle dans ce conflit, se liant avec Felipe, un Républicain espagnol installé en Algérie à la fin de la guerre d'Espagne, elle découvre peu à peu que ses paroles ou ses actes peuvent gravement lui nuire, et la gravité des menaces qui pèsent sur elle.

«*Je comprends que je ne suis pas au Quartier Latin, Elena me le rappelle sans cesse, mais dans une petite ville de province ou les moeurs sont encore celles du XIXe siècle, je comprends aussi que s'y ajoute une ségrégation des communautés que prétendent nier ou combattre des slogans officiels bien tardifs et de toute façon émis à une distance sidérale de la réalité. Et en même temps, c'est vrai, je ne comprends pas, parce que je n'éprouve rien de tout cela, parce que moi aussi je suis à cette distance sidérale où rien d'autre n'est visible que des figures abstraites, où rien n'est perceptible des passions qui habitent ces figures*.»

Écrit à la fin des années 1950, et publié seulement en 2012 par Métailié après son remaniement par Monique Rivet, ce roman qui s'inspire de sa propre expérience d'institutrice à Siddi Bel Abbès frappe par sa justesse, pour communiquer la tension extrême qui couve, les confrontations muettes et les explosions de violence, pour raconter le début de cette guerre que les français se refusent à nommer, parlant – et ce fut longtemps le cas - des «événements».

«-Tout est calme ?
-Très calme.
Très calme en effet. La nuit nous ouvrait ses portes étincelantes d'étoiles, comme toutes celles qui avaient couvert de leur splendeur les crimes et les assassinats d'autrefois. Quel assassinat, quel crime la nuit d'El-Djond cachait-elle pour nous dans ses plis ?»

«La guerre. Bien sûr que leurs événements, c'était la guerre. Je la reconnaissais au rythme qu'elle donne à la vie, à sa disparate, ses à-coups, sa façon de s'évanouir comme si elle n'avait jamais existé et de réapparaître comme si elle était notre état naturel. Nous ne l'avions pas laissée derrière nous, elle était là.»

Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/04/06/note-de-lecture-le-glacis-monique-rivet/
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Laure a vingt-cinq ans lorsqu'elle arrive en Algérie à la fin des années 50 comme professeur de lettres dans un lycée de la région d'Oran. Elle est jeune et pose un regard plein de fougue et de naïveté sur « les évènements » mais surtout sur la communauté dans laquelle elle a été parachutée : mentalités étriquées, racisme de base lui apparaissent dans toute leur petitesse et elle ne cache pas sa stupéfaction et son indignation devant ces français ancrés dans leur convictions colonialistes, convaincus de leur légitimité et de leur supériorité physique et intellectuelle sur les « indigènes ». Et puis, Laure arrive de France, elle sait ce qu'est la guerre et la reconnait dans ces « évènements » violents qui se déchainent autour d'elle, cette tension silencieuse et haineuse qui monte entre colons et rebelles et qu'elle ressent, impuissante, sans prendre parti. Car Laure se sent étrangère à ce pays dans lequel elle ne se reconnait pas. Insouciante et peu méfiante, elle se retrouvera impliquée malgré elle dans la rébellion et obligée de quitter rapidement l'Algérie.
L'auteure, Monique Rivet, a écrit ce texte à la fin des années 50, alors qu'elle avait été elle-même professeur de lettres à Sidi Bel Abbes et aucun éditeur n'accepta à l'époque de le publier : on n'a aucun mal à comprendre pourquoi aujourd'hui !!! Un livre impartial et éclairant sur la vie quotidienne en Algérie au moment des « évènements », j'ai beaucoup aimé.
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Laure, une jeune professeure de lettres, débarque dans une petite ville de l'Oranais en pleine guerre d'Algérie. "La guerre. Bien sûr que les évènements, c'était la guerre. Je la reconnaissais au rythme qu'elle donne à la vie, à sa disparate, ses à-coups, sa façon de s'évanouir comme si elle n'avait jamais existé et de réapparaître comme si elle était notre état naturel."

Penchant entre naïveté, constat de l'injustice et générosité sans être pour autant militante, elle et aimantée par le "glacis", cette frontière tacite délimitant la ville noire et la ville blanche. "Le mur de verre qui nous séparait de leur quartier m'était d'autant plus invisible que tous les jours des individus le franchissaient pour venir travailler dans la ville européenne et qu'aucune loi ne nous interdisait de e traverser, en sens inverse, si nous avions quelque chose à faire dans le "village nègre" - mais il était suspect d'avoir à y faire quelque chose ..."

Dans la guerre sans y être ("ce pays qui n'est pas le mien"), elle porte un regard détaché et étonné sur l'Algérie des années 1960, et se trouve bien malgré elle beaucoup plus impliqué qu'elle le voudrait. D'après son expérience, Monique Rivet déroule un récit qui sonne juste, dans une prose simple mais efficace, entonnant un bel hymne à la tolérance et à l'humanisme, empreint d'une grande tristesse pour la terre et le peuple meurtris d'Algérie.

"Beaucoup d'Européens parlaient ainsi. Jusqu'au bout ... Quel est donc ce bout des choses, pensais-je, que nous attendons ? Quel cataclysme, quelles cruautés nouvelles, quelles horreurs constitueront-elles ce jusqu'au bout à quoi tant de gens se disaient disposés sans savoir eux-mêmes s'il marquerait le retour à la vie d'avant ou la fin de tout espoir ? Quelle est cette ligne de démarcation au-delà de laquelle nous allons déclarer forfait ? Célébrer une victoire ou déplorer une défaite ? Et après quelle traversée infernale où nous aurons perdu, chacun d'entre nous, un peu de notre estime de nous-mêmes, un peu de notre confiance dans les autres, à force d'avoir épié sur les visages familiers le grignotement douceâtre de la trahison ?"
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Après une longue période d'occultation des mémoires, la guerre d'Algérie a donné lieu à bon nombre de romans et de récits plus ou moins autobiographique ces dernières années.
« le Glacis » de Monique Rivet aurait pu n'être qu'un livre de plus sur la guerre d'Algérie. Ce n'est pourtant pas le cas.

Laure, une jeune parisienne de 25 ans, quitte son quartier latin pour enseigner le français dans un collège de filles en Algérie. Ses idéaux se heurtent alors à la dure réalité de la société algérienne des années 1950. Elle découvre un pays plongé en pleine guerre - que les Français s'acharnent à appeler « les événements » - où les injustices et la ségrégation sont omniprésentes, où elle est sans cesse épiée et jugée.

« le Glacis » est un roman initiatique où l'on suit le passage à l'âge adulte de Laure : elle découvre tout en même temps, un nouveau pays, son métier d'enseignante, l'engagement politique, etc. Encore amoureuse d'un avocat français, Jean-Paul, qui défend des poseurs de bombes, elle entame une aventure avec Felipe, un Espagnol mal vu dans le quartier et qui s'avère être accusé d'être sympathisant des rebelles.

Un roman autobiographique qui a une belle histoire puisque Monique Rivet a écrit ce livre alors qu'elle était elle-même jeune professeur en Algérie à la fin des années 1950 et qu'elle l'a publié aux éditions Métailié en 2012 alors qu'elle pensait qu'il ne verrait jamais le jour.

Au-delà du témoignage éclairant sur une époque trouble, ce livre a toutes les qualités d'un bon roman : des personnages forts, complexes et pour certains attachants, une écriture maîtrisée et un thème universel (la quête de la liberté et l'émancipation intellectuelle dans un pays en proie à la violence).

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"Ce qu'on appelait glacis, c'était une large avenue coupée d'un terre-plein et bordée, côté indigène, d'une rangée de boutiques arabes.".
Le glacis, c'est un quartier de la ville d'El-Djond dans laquelle Laure, vingt-cinq ans, vient y occuper un poste de professeur de lettres dans un lycée.
El-Djond, ville au nom fictif, est située en Algérie, et c'est au cours des années 50 que Laure y arrive, en pleine guerre qui ne veut pas encore dire son nom mais dont l'horreur est déjà bien installée de le quotidien de tous les habitants.
Laure est jeune, naïve, elle ne réfléchit ni à ce qu'elle dit ni à ses fréquentations, elle ne comprend pas vraiment ce qui se passe : "Le mur de verre qui nous séparait de leur quartier m'était d'autant plus invisible que tous les jours des individus le franchissaient pour venir travailler dans la ville européenne et qu'aucune loi ne nous interdisait à nous de le traverser, en sens inverse, si nous avions quelque chose à faire dans le "village nègre" - mais il était suspect d'avoir quelque chose à y faire ...", et elle mesure encore moins la portée de ses paroles et de ses actes, ni des conséquences qu'ils pourraient avoir.
Je nuance en précisant que Laure n'est pas inconsciente, son père est mort en déportation à Dachau et cela l'a profondément marquée, mais ce sont ses côtés légers et naïfs du fait de son âge qui l'empêchent de se rendre compte de la situation et ce n'est qu'au fur et à mesure des évènements qu'elle ouvrira les yeux et prendra conscience de bon nombre de choses.
Elle finira par se demander comment sera perçu son absence d'engagement par ses élèves : "Je pensais aussi : elles m'en voudront un jour ou l'autre de ne pas avoir pris le parti des leurs. de n'avoir pris parti pour rien, de ne m'être intégrée à rien, d'être restée dans mon splendide isolement.", quelle est la raison de sa présence et si l'exercice de son métier a encore une raison d'être : "Il me semblait que ma vie se terminait là, que quelque chose s'était cassé, j'avais tout raté, mon métier n'avait pas de sens, car à quoi bon mettre de la littérature ou de la grammaire dans la tête des gens si c'est pour qu'on les retourne du pied sur une voie de chemin de fer, un trou dans la poitrine ?".
Mais sa légèreté et sa naïveté seront définitivement anéanties avec son arrestation, sa journée passée en prison, l'interrogatoire qu'elle subira et la confiscation de ses papiers jusqu'à son expulsion d'Algérie : "Je suis prisonnière de ce pays qui n'est pas le mien, de cette ville sans âme, de cette guerre sans nom, où les employés des postes ont des manières de policiers, où on ne sait pas si on couchera dans son lit le soir ni, à supposer que l'on y couche, si l'on y sera pas égorgé par un émissaire dont personne ne saura jamais quelle cause il a prétendu servir en vous assassinant.".

Ecrit par Monique Rivet au même âge que celui du personnage de Laure, ce livre a dormi dans un tiroir pendant toutes ces années, ce qui est fort regrettable car il livre une vision sans concession de la Guerre d'Algérie.
Parce qu'à l'époque il n'était pas bien vu de parler de cette guerre, parce qu'il ne fallait surtout pas dire ce qui se passait en Algérie, parce qu'il fallait essayer à tout pris de conserver cette colonie française, parce que nous, français, n'avions pas encore compris que c'était inexorable et inévitable que l'Algérie devienne un pays indépendant.
Sans doute pour toutes ces raisons et pour bien d'autres encore, ce livre n'avait jamais été publié jusqu'à présent.
"Le glacis", c'est le récit initiatique de Laure, une jeune femme qui va beaucoup apprendre sur les autres et sur elle, et qui va évoluer et mûrir au cours de ce récit.
C'est aussi la rencontre et le télescopage de personnes aussi différentes les unes des autres.
Il y a de nombreux personnages dans ce roman, le principal étant Laure, ils apportent tous quelque chose au récit et ont un rôle à y jouer.
Et même si Monique Rivet a écrit ce livre très jeune, elle arrive à analyser avec finesse et justesse les relations difficiles et contradictoires entre les différents personnages : l'univers des français vivant en Algérie d'un côté, celui des algériens se battant pour obtenir leur indépendance de l'autre, et au milieu, quelques personnes qui essayent d'échanger, de se mélanger, de former un tout uni.
Ecrit dans un ton en majorité léger, à l'image de Laure, ce récit arrive à faire la part entre une narration à la première personne par Laure et une narration à la troisième personne pour tout ce qui concerne les évènements dramatiques, comme si ces derniers étaient vécus par un oeil extérieur, démontrant ainsi le recul pris par Laure sur le drame qui se déroule sous ses yeux.
Monique Rivet évoque avec pudeur et sans concession aucune les exactions commises par l'armée française en Algérie, elle arrive à dépeindre la cruauté de cette guerre et à faire circuler des émotions et un ressenti entre son récit et le lecteur.

"Le glacis" est un beau livre ayant valeur de témoignage, écrit avec beaucoup de pudeur et tout en retenu par une jeune femme dans les années 50, et qui lève une partie du voile sur la Guerre d'Algérie à travers le personnage de Laure en évoquant avec sincérité et réalisme les évènements qui s'y sont déroulés.
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Laure, vint-cinq ans, est nommée professeur de lettres dans une petite ville de l'oranais pendant la guerre d'Algérie, cette guerre, appelée pudiquement « événements » par ses compatriotes.
Laure est à l'image de « Marianne », elle croit à la devise patriotique LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE. Pour elle, ce ne sont pas de vains mots et, dans sa candeur, elle ne peut imaginer la noirceur de l'humanité.
Monique Rivet raconte comment Laure, qui débute sa vie de professionnelle, va se comporter et réagir face aux « événements », comment elle se retrouve au centre d'une guerre qu'elle ne reconnaît pas, une guerre qui n'est pas la sienne.
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Laure a 25 ans. Elle est professeur de lettres. Elle a été envoyée en Algérie parce qu'il y avait un poste à pourvoir au lycée français. Elle n'avait pas le choix mais s'attache à ses jeunes élèves. Elle termine une liaison amoureuse avec un avocat, et se lie intimement avec Felipe, un immigré espagnol, sans jamais s'engager réellement.
Nous sommes au milieu des années cinquante, au milieu des événements, de cette guerre qui ne veut pas dire son nom. Laure est insouciante, elle ne voit pas, elle ne comprend pas qu'elle n'est plus au Quartier Latin, et que les belles idées qui y sont professées, si elles restent belles, ne sont pas à dire dans cette ville coupée en deux. le Glacis est cette démarcation bien réelle entre la ville européenne et le village indigène. Impossible d'aller de l'un à l'autre sans suspicion, sans délation. La haine (racisme, antisémitisme) ne prend même pas la peine de se dissimuler. Il suffit d'un rien pour qu'elle éclate et que la violence se déchaîne.
J'ai pensé, maintes fois, que l'action aurait pu se passer dans un village français, pendant la seconde guerre mondiale, tant les attitudes étaient les mêmes, tels ces gens bien pensants qui mettent discrètement à l'écart les jeunes filles "indigènes" du lycée français, telles ces boutiques que les français pillent avec bonne conscience, sans se soucier de devenir l'ennemi intime de ceux qu'ils volent. Laure assiste à ce qui se passe mais, pour raconter la violence, sans pathos ni complaisance, elle abandonne le "je" pour adopter une tournure plus impersonnelle, mettant ainsi les deux camps à égalité dans leurs débordements.
Je ne voudrai pas non plus que vous pensiez que Laure est une passionnaria. Non : sa naïveté, sa légèreté l'empêchent de prendre conscience de la gravité des gaffes qu'elle commet. Ce n'est que peu à peu qu'elle se rend compte que son insouciance n'a pas droit de cité à El-Djond. S'aveugle-t-elle, elle dont le père est mort en déportation ? Est-elle trop égoïste pour s'engager dans un camp ou dans un autre ? Elle voit, pourtant, certains faits, et jusqu'au bout, refusera de voir les risques qu'elle prend ou qu'elle fait courir. Son départ (son expulsion serais-je tenté de dire)
Beaucoup de personnages dans ce court roman, écrit dans les années cinquante et publié en 2012 parce que la guerre qui ne dit pas son nom a enfin droit de cité. Ces brèves rencontres nous montrent toutes les facettes, les contradictions de ces gens qui, contrairement à Laure, ont du choisir leur camp.
Une belle lecture dans le cadre du Prix Océans.
Lien : http://deslivresetsharon.wor..
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